Annales de pathologie (2013) 33, 418—420

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CAS POUR DIAGNOSTIC

Une atrophie villositaire colorée A colourful villous atrophy Jérémy Augustin a, Nadia Hoyeau a, Harry Sokol b, Jean-Franc ¸ois Fléjou a, Magali Svrcek a,∗ a

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France b Service de gastroentérologie et nutrition, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France Accepté pour publication le 23 octobre 2013 Disponible sur Internet le 21 novembre 2013

Observation Un homme de 50 ans était suivi pour un déficit immunitaire commun variable avec entéropathie exsudative. Son traitement comportait des immunoglobulines intraveineuses, des inhibiteurs de la pompe à proton, des corticoïdes (budésonide), des antibiotiques de classe macrolide (azithromycine) et de la vitamine D (cholécalciférol). En raison de deux infections récentes des voies aériennes supérieures et d’une augmenation de la clairance fécale de l’alpha-1 antitrypsine (129 mL/24 h, N < 20 mL/24 h), malgré un poids de selles normal (127 g/24 h, N < 200 g/24 h), une endoscopie digestive haute était réalisée. L’endoscopie montrait une sténose du deuxième duodénum. Des biopsies de cette sténose et des biopsies antrales étaient effectuées. L’examen microscopique des biopsies duodénales retrouvait une muqueuse duodénale siège d’une atrophie villositaire sub-totale, sans augmentation de la lymphocytose intra-épithéliale. Le chorion était inflammatoire, avec des lymphocytes et des polynucléaires neutrophiles et éosinophiles (Fig. 1). La musculaire muqueuse était épaissie, dissociée par les mêmes éléments inflammatoires et apparaissait pigmentée. Le pigment était localisé dans le cytoplasme des cellules musculaires lisses, apparaissait brun sur la coloration standard, fait d’amas de taille une à deux fois celle d’un noyau de cellule musculaire lisse (Fig. 2). Ce pigment était PAS positif, Perls et Fontana négatif (Fig. 3). Il n’était pas observé d’agent pathogène, notamment pas de lambliase. Les prélèvements réalisés au niveau de l’antre retrouvaient le même pigment qu’au niveau du duodénum.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Svrcek).

0242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.019

Une atrophie villositaire colorée

Figure 1. Muqueuse duodénale atrophique et inflammatoire. Musculaire muqueuse épaissie et inflammatoire. Inflammatory infiltrate and atrophy in the duodenal mucosa. Thickened muscularis mucosae with inflammatory cells.

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Figure 3. Coloration de PAS positive sur le pigment présent dans les cellules musculaires lisses (PAS × 200). Pigment in smooth muscle cells is positive for PAS staining (PAS × 200).

Quel est votre diagnostic ?

Figure 2. Cellules musculaires lisses (musculaire muqueuse) contenant un pigment brunâtre (HE × 200). Brown pigment in smooth muscle cells (muscularis mucosae) (HE × 200).

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Diagnostic proposé Syndrome de l’intestin tatoué.

Discussion Le syndrome de l’intestin tatoué (Brown Bowel Syndrome dans la littérature anglophone) est une entité rare traduisant l’accumulation de lipofuscines insolubles dans les cellules musculaires lisses de la paroi digestive. Cette lésion a été décrite pour la première fois par Wagner en 1861 [1]. Depuis, cette entité a été reconnue comme associée à une carence en vitamine E résultant d’un état de malabsorption avancé [2]. Toutes les pathologies responsables d’une malabsorption des vitamines liposolubles (A, D, E et K), notamment un déficit immunitaire variable avec entéropathie exsudative, sont donc susceptibles d’entraîner un syndrome de l’intestin tatoué. Plusieurs études ultrastructurales ont démontré l’origine mitochondriale des lipofuscines s’accumulant dans les cellules musculaires lisses de la paroi digestive [2,3]. Au niveau de ces cellules, Horn et al. ont montré des formes de transition entre des mitochondries normales, des mitochondries dégénératives et des agrégats de lipofuscines étayant la théorie mitochondriale [3]. Ces lipofuscines sont colorées par le Periodic Acid Schiff (PAS), mais pas par la coloration de Fontana [3]. Au niveau de la mitochondrie, la vitamine E agit comme un puissant anti-oxydant empêchant l’oxydation des lipoprotéines membranaires par les radicaux libres lors de la phosphorylation oxydative. L’accumulation importante de lipofuscines dans les cellules musculaires lisses peut entraîner une myopathie musculaire lisse, potentiellement responsable d’une atonie intestinale, et donc d’épisodes sub-occlusifs répétés [2—5]. D’une part, ces épisodes digestifs pseudo-obstructifs aggravent l’état de malabsorption. D’autre part, la cause des ces épisodes peut être mise sur le compte de la pathologie responsable de la malabsorption et non sur le compte de la myopathie intestinale secondaire à la carence en vitamine E. Dans le syndrome Mitochondrial Neuro Gastro Intestinal Encephalomyopathy (MNGIE), forme de cytopathie mitochondriale, la physiopathologie est différente et ne mène pas à la formation de lipofuscines. En effet, le déficit en thymidine phosphorylase entraîne l’accumulation de thymidine aberrante, responsable d’une altération de l’ADN mitochondrial et donc de la chaîne respiratoire mitochondriale. Cette déficience de la chaîne respiratoire est à l’origine de mégamitochondries, et non de lipofuscines [6]. Devant la présence d’un syndrome de l’intestin tatoué, il est nécessaire de rechercher une malabsorption responsable d’une stéatorrhée et d’une hypoalbuminémie. Il faut également doser le taux sérique des vitamines liposolubles, notamment la vitamine E, afin de mettre en évidence une carence. Si cette dernière est objectivée, il paraît licite de

J. Augustin et al. mettre en place un traitement diététique riche en protéines, de faire une supplémentation en vitamines liposolubles et de traiter la cause de la malabsorption [2]. Malgré un traitement bien conduit, les lésions pigmentaires et la myopathie intestinale peuvent persister [3]. Le syndrome de l’intestin tatoué peut être facilement distingué des autres causes de pigmentation du tube digestif qui sont principalement la maladie de Whipple et la mélanose colique. Dans ces deux cas, le pigment est situé dans les macrophages du chorion. Dans le syndrome de l’intestin tatoué, la lipofuscinose implique tout le temps la musculeuse et atteint rarement la musculaire muqueuse, comme dans le cas que nous présentons. Le grêle proximal est constamment touché tandis que l’œsophage, l’estomac et le côlon peuvent être épargnés [3]. En résumé, devant la mise en évidence de pigment dans les cellules musculaires lisses de la paroi digestive, des colorations spéciales (PAS, Fontana, Perls) et des examens biologiques (stéatorrhée, albumine, vitamines liposolubles) suffisent à objectiver un syndrome de l’intestin tatoué et une malabsorption. Il ne faut pas méconnaître la myopathie musculaire lisse due au syndrome de l’intestin tatoué, et il faut savoir y penser devant des épisodes digestifs pseudoocclusifs dans un contexte de malabsorption sévère. Les mesures diététiques, la supplémentation en vitamine E et le traitement de la cause de la malabsorption sont le trépied du traitement, même s’ils ne permettent pas dans tous les cas la disparition de la lipofuscinose musculaire digestive.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Wagner E. Uber eine eigenthiimliche primare Fettrnetamorphose der Muskelhaut des Dünndarms. Arch Heilkunde 1861;2:455—9. [2] Foster CS. The brown bowel syndrome: a possible smooth muscle mitochondrial myopathy? Histopathology 1979;3:1—17. [3] Horn T, Svedsen LB, Nielsen LR. Brown bowel syndrome. Review of the literature and presentation of cases. Scand J Gastroenterol 1990;25:66—72. [4] Connolly CE, Kennedy M, Stevens FM, McCarthy CF. Brown bowel syndrome occurring in coeliac disease in the West of Ireland. Scand J Gastroenterol 1994;29:91—4. [5] Robinson MHE, Dowling BL, Clarck JV, Mason CH. Brown bowel syndrome: an unusual cause of massive dilatation of the colon. Gut 1989;30:882—4. [6] Giordano C, Sebastiani M, De Giorgio R, Travaglini C, Tancredi A, Valentino ML, et al. Gastointestinal dysmotility in mitochondrial neurogastrointestinal encephalomyopathy is caused by mitochondrial DNA depletion. Am J Pathol 2008;173: 1120—8.

[A colourful villous atrophy].

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