Journal des Maladies Vasculaires (2013) 38, 373—376

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CAS CLINIQUE

Anévrysme de l’aorte abdominale sous-rénale rompu inaugural d’une maladie de Takayasu chez un homme de 39 ans夽 Acute rupture of an abdominal aortic aneurysm revealing Takayasu arteritis

S. Mleyhi a,∗, F. Ghédira a, J. Ziadi a, B. Gara Ali a, I. Ben Gorbel b, K. Kaouel a, M. Ben Mrad a, R. Denguir a, T. Kalfat a, A. Khayati a a

Service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, faculté de médecine de Tunis, université Tunis ELMANAR, CHU la Rabta, rue Jebbari, 1001 Tunis, Tunisie b Service de médecine interne, faculté de médecine de Tunis, université Tunis ELMANAR, CHU la Rabta, Tunis, Tunisie Rec ¸u le 21 f´ evrier 2013 ; accepté le 9 juillet 2013

MOTS CLÉS Anévrysme ; Aorte ; Artérite ; Takayasu ; Pontage

KEYWORDS Aneurysm; Aorta; Arteritis; Takayasu; Graft

夽 ∗

Résumé Les anévrysmes artériels sont localisés le plus fréquemment au niveau de l’aorte abdominale sous-rénale où ils sont observés dans 60 % des cas. L’étiologie inflammatoire ne représente que 10 % des cas. Un anévrysme abdominal sous-rénal révélant une maladie de Takayasu est inhabituel. La maladie de Takayasu est une vascularite rare qui touche les artères de gros calibre du sujet jeune. Elle est 10 fois plus fréquente chez la femme. Nous rapportons l’observation d’un anévrysme de l’aorte abdominale sous-rénale rompu révélant une maladie de Takayasu chez un homme de 39 ans sans antécédent pathologique. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Arterial aneurysms are most commonly (60% of cases) located in the infrarenal abdominal aorta. An inflammatory mechanism is involved in only 10% of cases. Infrarenal abdominal aortic aneurysms revealing Takayasu’s disease is unusual. Takayasu’s disease is a rare vasculitis affecting large arteries in young people. It is 10 times more common in women. We report the case of an acute rupture of an abdominal aortic aneurysm revealing Takayasu arteritis in a 39-year-old man with an uneventful medical history. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Communication affichée présentée au 47e congrès du Collège franc ¸ais de pathologie vasculaire, Paris, 20—22 mars 2013. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Mleyhi).

0398-0499/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2013.09.005

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S. Mleyhi et al.

Introduction Les anévrysmes artériels sont localisés le plus fréquemment au niveau de l’aorte abdominale sous-rénale où ils sont observés dans 60 % des cas [1,2]. L’origine inflammatoire ne représente qu’environ 10 % de tous les anévrysmes abdominaux, avec des chiffres variables selon les séries de 1,1 à 18 % [3]. C’est une variante anatomopathologique inhabituelle, pouvant être responsable de problèmes thérapeutiques, majorant les taux de morbidité et de mortalité chirurgicales habituellement faibles. Un anévrysme aortique révélant une maladie de Takayasu est exceptionnel.

Observation Il s’agit d’un homme âgé de 39 ans, sans antécédent pathologique notable, ayant présenté des lombalgies associées à un syndrome grippal évoluant depuis 2 semaines. À l’examen, l’état général était moyen. Le patient était fébrile à 38,5◦ C, les constantes hémodynamiques étaient stables, l’auscultation cardiopulmonaire normale avec des pouls périphériques présents et symétriques. Le patient présentait une diminution de l’acuité visuelle avec absence d’aphtose buccale ou génitale. L’abdomen était souple et dépressible avec présence d’une masse battante expansive périombilicale douloureuse. Il existait un syndrome inflammatoire biologique avec une CRP à 96 mg/L et des globules blancs à 19 700/uL. La fonction rénale était normale et l’hémoglobine à 13 g/dL. Les radiographies du rachis et l’échographie abdominale étaient sans anomalies. Un scanner abdominopelvien mettait en évidence un anévrysme de la bifurcation aortique de 36 mm (Fig. 1) nécessitant une prise en charge chirurgicale en urgence. L’intervention révélait un anévrysme aortique d’aspect inflammatoire avec rupture postérieure. Des adhérences périvasculaires rendaient la dissection, pour le contrôle de l’aorte et des deux artères iliaques, laborieuse. Une mise à plat de l’anévrysme était faite (Fig. 2), suivie d’un pontage aorto-bi-iliaque par prothèse bifurquée no 16/8 mm et d’une réimplantation de l’artère mésentérique inférieure sur la prothèse (Fig. 3). Les suites opératoires étaient simples. L’examen bactériologique de la pièce opératoire était négatif. L’étude anatomopathologique montrait une paroi vasculaire épaissie, tapissée en périphérie par un enduit fibrinoleucocytaire. Il s’y associait un infiltrat inflammatoire mononucléé fait de nombreux lymphocytes et plasmocytes (Fig. 4) qui était en faveur d’une maladie de Takayasu. Un suivi trimestriel du malade pendant un an et demi montrait une évolution favorable avec un examen physique sans anomalie, un bilan inflammatoire normal (CRP à 0,3 mg/Let GB à 7000/uL) et l’absence de complications ou d’autres localisations artérielles sur le contrôle angioscanographique. Un traitement immunosuppresseur n’était pas jugé nécessaire.

Figure 1 Angioscanner : anévrysme de la bifurcation aortique. CT angiography : aneurysm of the aortic bifurcation.

Discussion La maladie de Takayasu est une artériopathie inflammatoire granulomateuse à cellules géantes dont la pathogénie est inconnue. C’est une vascularite qui touche les artères de gros calibre du sujet jeune et son incidence est variable,

Figure 2

Mise à plat de l’anévrysme.

Opening the aneurysm.

Anévrysme de l’aorte abdominale sous-rénale rompu et maladie de Takayasu

Figure 3 Pontage aorto-bi-iliaque avec réimplantation de l’artère mésentérique inférieure. Aorto-bi-iliac graft with reimplantation of the inferior mesenteric artery.

allant de 100 cas/million par an (Japon) à 2,6 cas/million par an (États-Unis) [4,5]. Elle prédomine dans la population féminine avec des pourcentages variables selon les séries (55 à 97 %) [2,4].

Figure 4 Image anatomopathologique d’une coupe de la pièce opératoire. Histology slide of the surgical specimen.

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La maladie de Takayasu est difficile à diagnostiquer et sans doute, son diagnostic insuffisamment fait. Elle doit être évoquée chez le sujet jeune devant toute hypertension artérielle évoluant dans un contexte inflammatoire. Le mode de révélation peut être atypique surtout dans la population masculine. Noyer et al. [4] ont rapporté la découverte d’une maladie de Takayasu chez un garc ¸on de 11 ans présentant des dorsalgies isolées associées à un syndrome inflammatoire biologique comme dans notre observation. Zamani et al. [6] ont décrit l’observation d’un garc ¸on de 16 ans ayant une symptomatologie faite de douleurs abdominales chroniques avec des nausées et des vomissements en rapport avec un angor mésentérique révélant une maladie de Takayasu. L’évolution de cette inflammation aboutit au développement de sténoses, occlusions, dilatations et anévrysmes. Les examens radiologiques (angiographie, échographie, scanner et angio-IRM) ont fortement contribué au diagnostic par la mise en évidence des lésions pariétales affectant simultanément les quatre territoires artériels les plus fréquemment touchés : aorte thoracique (48 %), aorte abdominale (48 %), artères rénales droite (52 %) et gauche (48 %) [4,6]. L’extension de la maladie en hauteur et son siège sont variables d’un patient à l’autre ainsi que la sévérité des lésions de l’aorte. Vingt-trois malades dont sept hommes de la série de Lacombe ont été opérés entre 1978 et 2000 pour atteinte sévère réno-aortique avec la nécessité d’un pontage aortique chez 7 patients [7]. Les lésions anévrismales sont décrites dans 11 à 27 % des cas, touchant plus souvent l’aorte que ses branches. Il s’agit d’anévrysmes sacciformes ou fusiformes, rarement disséquants (5 %). Dans la série d’El Asri et al. [8] incluant 47 malades dont 4 hommes (8,5 %), l’aorte abdominale était atteinte dans 40,5 % des cas et isolément sans autre atteinte artérielle dans 6,3 % des cas. Cette lésion est de nature anévrismale chez seulement 4,2 % de malades. Basraoui et al. ont rapporté l’observation d’un anévrysme disséquant thoraco-abdominal chez une jeune femme de 36 ans porteuse de la maladie de Takayasu [9], alors que, l’atteinte de notre patient était uniquement aortique sousrénale sous la forme d’un anévrysme sacciforme de la bifurcation aortique de 36 mm de grand axe rompu en postérieur. Les indications du traitement chirurgical semblent de plus en plus restreintes et sont réservées aux larges remplacements aortiques, aux lésions anévrismales, à l’insuffisance valvulaire aortique majeure, aux sténoses serrées des artères rénales et pulmonaires et aux échecs de l’angioplastie. Dans la littérature, les résultats de la chirurgie sont souvent satisfaisants, avec une mortalité réduite, surtout pour la chirurgie de l’artère rénale, de l’aorte et des remplacements valvulaires aortiques. Un succès thérapeutique est obtenu à long terme dans 80 à 90 % des cas [3,10]. Dans la série de Saadoun et al. incluant 79 patients atteints de la maladie de Takayasu, 166 revascularisations artérielles ont été faites dont 29 cures chirurgicales d’anévrysmes. Le volet endovasculaire n’a pas été employé dans ce type de lésion. Le risque de survenue des complications après chirurgie était de 37 % pour un suivi de 6,5 ans et ces complications sont sept fois plus fréquentes

376 quand le bilan inflammatoire est perturbé au moment de l’acte opératoire [11]. Des travaux récents ont montré les bons résultats sur la morbi-mortalité du traitement endovasculaire des anévrysmes inflammatoires de l’aorte abdominale et certains l’indiquent en première intention quand l’anatomie est favorable [12,13]. Plusieurs auteurs insistent également sur l’intérêt d’une corticothérapie préalable à la chirurgie [9]. Chez notre malade, malgré l’aspect inflammatoire de l’aorte malade, l’absence de signe net en faveur de l’origine infectieuse ainsi que la qualité des berges aortiques après la mise à plat de l’anévrysme nous ont permis de faire un pontage aorto-bi-iliaque avec réimplantation de l’artère mésentérique inférieure sur la prothèse.

Conclusion La survenue de lombalgies inflammatoires inexpliquées chez un adulte sans antécédent pathologique particulier doit faire évoquer un anévrysme de l’aorte abdominale qui peut constituer le mode révélateur d’une maladie inflammatoire. Un anévrysme rompu de l’aorte abdominale sous-rénale révélant une maladie de Takayasu chez un homme jeune est très rare et à notre connaissance, il s’agit du premier cas rapporté dans la littérature. Le diagnostic rapide de cette complication artérielle est indispensable car le pronostic vital à court terme peut être engagé.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

S. Mleyhi et al.

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[Acute rupture of an abdominal aortic aneurysm revealing Takayasu arteritis].

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