Annales de pathologie (2015) 35, 372—374

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CAS POUR DIAGNOSTIC

Un lipome rétropharyngé de présentation clinique inhabituelle An unusual retropharyngeal lipoma Anne Guyot a, Jean-Marc Prechoux b, Sylvain Cherrière b, Jean-Pierre Bessede b, Isabelle Pommepuy a, Bema Coulibaly a,∗ a

Laboratoire d’anatomie pathologie, CHU Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France b Service d’oto-rhino-laryngologie, CHU Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France Accepté pour publication le 18 janvier 2015 Disponible sur Internet le 26 mars 2015

Observation Un patient de 38 ans, sans antécédent particulier, consultait pour dysphagie et dysphonie. L’IRM retrouvait une volumineuse lésion kystique de la paroi pharyngée postérieure, bien limitée, sans envahissement des vaisseaux ni des muscles prévertébraux. Une exérèse par énucléation de la masse tumorale a été réalisée par voie endobuccale. L’examen macroscopique portait sur une lésion encapsulée pesant 40 g, mesurant 7 × 5 × 2,9 cm, rénitente. À la coupe, il s’agissait d’une tumeur de coloration jaune comportant des zones de remaniements myxoïdes. L’analyse histologique retrouvait une prolifération tumorale encapsulée, de faible densité cellulaire, constituée d’adipocytes matures et de cellules fusiformes, arrondies ou stellaires dépourvues d’atypies (Fig. 1 et 2) et au contact desquelles il existait des amas de collagène. De fac ¸on focale, on observait des cellules multinucléées « floret-like », dont les noyaux hyperchromatiques et dystrophiques présentaient une disposition radiaire (Fig. 3 et 4). Le stroma tumoral, myxoïde, comportait des remaniements kystiques et quelques mastocytes. Des vaisseaux grêles étaient également observés. La tumeur exprimait l’anticorps anti-CD34 de fac ¸on diffuse (Fig. 5). Les anticorps antiPS100, HMGA2, MDM2, CDK4 et MUC4 n’étaient pas exprimés par les cellules tumorales.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Coulibaly).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2015.01.010 0242-6498/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

Un lipome rétropharyngé de présentation clinique inhabituelle

Figure 1. Faible grandissement montrant une prolifération tumorale constituée d’adipocytes matures et de cellules fusiformes (HES, × 2,5). Low magnification showing a tumor that contains spindle cells and mature adipose tissue (HES, × 2.5).

Figure 2. Prolifération tumorale constituée d’adipocytes matures et de cellules fusiformes (HES, × 20). Encart soulignant le fond myxoïde après coloration par le bleu Alcian. The tumor contains spindle cells and mature adipose tissue (HES, × 20). Inset, Alcian blue shows a myxoid matrix.

Figure 3. Présence sur un fond collagène d’adipocytes matures et de cellules géantes multinucléées de type « floret » (HES, × 10). Mature adipose tissue and floret-like multinucleated cells in collagenous background (HES, × 10).

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Figure 4. Présence d’un mastocyte et d’une cellule géante multinucléée de type « floret » (HES, × 40). Mast cell and characteristic floret-like multinucleated cell (HES, × 40).

Figure 5. Expression diffuse des cellules avec le CD 34 (Obj, × 5). Diffuse staining for CD 34 (original magnification, × 5).

Quel est votre diagnostic ?

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Diagnostic Lipome à cellules fusiformes/pléïomorphes (diagnostic confirmé lors d’une réunion du réseau de référence en pathologie des sarcomes des tissus mous et des viscères — réseau RRePS).

Discussion Le lipome à cellules fusiformes/pléïomorphes (LCFP) est un continuum lésionnel, caractérisé par l’association en proportion variable de tissu adipeux mature, de cellules fusiformes et de cellules géantes multinucléées « floret-like ». Le LCFP se situe habituellement en localisation souscutanée au niveau de la face postérieure du cou, du tronc et des épaules, typiquement chez l’homme avec une moyenne d’âge autour de 55 ans (moins de 10 % des cas surviennent chez des femmes). Des localisations sont décrites de fac ¸on moins fréquente au niveau de la face, du front, du scalp, de la région péribuccale, du membre supérieur [1], de l’oropharynx [2], voire même de la région rétropharyngée [3]. Cliniquement, le LCFP se présente comme une masse sous-cutanée asymptomatique de croissance lente. Dans notre observation, du fait de sa topographie et de sa taille, la tumeur était responsable de signes de compression à type de dysphonie et de dysphagie. En macroscopie, le LCFP est une masse de consistance plus ferme qu’un lipome habituel, de couleur jaune ou blanc-grisâtre en fonction de la proportion de tissu adipeux ou de cellules fusiformes. Certains LCFP peuvent cependant avoir une consistance gélatineuse [1]. En histologie, le LCFP est un continuum lésionnel associant des adipocytes matures, des cellules fusiformes dépourvues de mitoses entourées d’amas de collagène ou d’une matrice myxoïde et de cellules géantes multinucléées dont les noyaux adoptent parfois une disposition radiale dite « floret-like ». Dans certains cas, les noyaux des cellules fusiformes peuvent adopter une disposition palissadique et s’associer à des vaisseaux à paroi hyalinisée, dont l’aspect peut faire évoquer à tort un schwannome. Par ailleurs, la présence de cellules « floret-like » multinucléées peut poser des problèmes de diagnostic différentiel avec un liposarcome. Les cellules fusiformes expriment fortement le CD34 et peuvent rarement exprimer la protéine S100 et occasionnellement la desmine [1]. Le LCFP présente quelques diagnostics différentiels qu’il convient d’écarter. L’hémangiopéricytome lipomateux (variant « fatforming » de la tumeur fibreuse solitaire extrapleurale ») est une variante de tumeur fibreuse solitaire comportant un contingent adipeux mature d’abondance variable et une vascularisation de type hémangiopéricytaire. Cette tumeur exprime le CD34, BCL2 et STAT 6. L’angiofibrome cellulaire est une lésion bien circonscrite des tissus mous de la région génitale. Elle est constituée de cellules fusiformes formant de courts faisceaux et des vaisseaux arrondis de petite taille ou de taille moyenne, à paroi hyalinisée. Elle peut comporter un contingent adipeux. Les

A. Guyot et al. cellules fusiformes expriment habituellement la vimentine, parfois le CD99 et les récepteurs hormonaux. En revanche, il n’existe pas d’immunomarquage avec la PS100 ni avec les marqueurs musculaires lisses. Les liposarcomes représentent 9 à 18 % de l’ensemble des sarcomes et seuls 4 à 9 % des liposarcomes surviennent dans la région tête et cou. Le LCFP peut être confondu avec une variante sclérosante d’un lipome atypique ou avec un liposarcome bien différencié. L’aspect circonscrit de la lésion, la localisation sous-cutanée, la présence de cellules géantes de type « floret », les amas de collagène, la positivité du CD34 et l’absence d’amplification de MDM2 plaident en faveur d’un LCFP. Les autres variantes de liposarcome (dédifférencié, myxoïde ou pléomorphe) ne posent habituellement pas de problème diagnostique. D’un point de vue génétique, le LCFP possède habituellement un caryotype déséquilibré avec de multiples pertes chromosomiques partielles après une analyse par CGH array, notamment en 13q et 16q. Par ailleurs, Chen et al. ont récemment montré que le gène suppresseur de tumeur RB1 codant la protéine du rétinoblastome et situé en 13q14 n’était pas exprimé dans les LCFP [4]. Dans notre observation, il n’existait pas d’expression en immuno-histochimie de RB1 (immuno-histochimie réalisée à l’Institut Bergonié, Pr Coindre). Devant la présentation clinique inhabituelle, une analyse par FISH (Pr Coindre et Dr Karanian-Philippe, Institut Bergonié, Bordeaux) n’a pas détecté d’amplification des gènes MDM2 et CDK4. Le LCFP est une tumeur bénigne et une exérèse en marge saine est suffisante, bien que de rares cas de récidive locale soient décrits.

Remerciements Les auteurs remercient le Pr Coindre et le Dr KaranianPhilippe (Institut Bergonié, Bordeaux) pour leur aide technique.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Miettinen MM, Mandahl N. Spindle cell/pleomorphic lipoma. In: Fletcher CDM, Bridge JA, Hogendoorn PCW, Mertens F, editors. World Health Organization classification of tumours of soft tissue and bone. Lyon: IARC Press; 2013. p. 29—30. [2] Gu MJ, Sohn KR, Park JH. Spindle cell/pleomorphic lipoma of the oropharynx. Korean J Pathol 2009;43:580—2. [3] Lee HK, Hwang SB, Chung GH, Hong KH, Jang KY. Retropharyngeal spindle cell/pleomorphic lipoma. Korean J Radiol 2013;14:493—6. [4] Chen BJ, Mari˜ no-Enriquez A, Fletcher CD, Hornick JL. Loss of retinoblastoma protein expression in spindle/pleomorphic lipomas and cytogenetically related tumors: an immunohistochemical study with diagnostic implications. Am J Surg Pathol 2012;36:1119—28.

[An unusual retropharyngeal lipoma].

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