Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, 414—420

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ARTICLE ORIGINAL

Apport des anti-VEGF dans le traitement de la néovascularisation du segment antérieur compliquant les occlusions veineuses rétiniennes夽 Anti-VEGF therapy in the treatment of anterior segment neovascularization secondary to central retinal vein occlusion T.B. Kabesha a,b,∗, A. Glacet-Bernard a, O. Rostaqui a, E.H. Souied a a

Centre hospitalier intercommunal de Créteil, hôpital Henri-Mondor, université Paris-Est-Créteil, 61, avenue du Général-de-Gaulle, 94010 Créteil, France b Clinique ophtalmologique de Bukavu, université de Bukavu, 231B, avenue P.E Lumumba, Bukavu, République démocratique du Congo ut 2014 ; accepté le 11 novembre 2014 Rec ¸u le 14 aoˆ

MOTS CLÉS Occlusion de la veine centrale de la rétine ; Ischémie rétinienne ; Néovascularisation irienne ; Glaucome néovasculaire ; Pression intraoculaire ; Injection intravitréenne ;

夽 ∗

Résumé Objectif. — Étudier l’effet des anti-VEGF dans la néovascularisation du segment antérieur (NVSA), redoutable complication des occlusions de la veine centrale de la rétine (OVCR) ischémiques. Méthodes. — Étude rétrospective de patients consécutifs avec NVSA compliquant une OVCR. Les données de l’examen clinique ont été relevées à chaque visite : mesure de la meilleure acuité visuelle, pression intraoculaire (PIO), examen de l’iris et gonioscopie, et le cas échéant angiographie à la fluorescéine et tomographie en cohérence optique. Le suivi minimum était de 6 mois. Résultats. — Dix-neuf patients étudiés ont rec ¸u des injections intravitréennes d’anti-VEGF associées à une photocoagulation panrétinienne. Pour les patients inclus au stade de rubéose simple sans hypertonie (n = 6), après une moyenne de 3 injections, l’AV était conservée chez 4 patients

Travail présenté au 120e congrès de la Société franc ¸aise d’ophtalmologie le lundi 12 mai 2014. Auteur correspondant. BP 144, Cyangugu, Rwanda. Adresse e-mail : [email protected] (T.B. Kabesha).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.11.007 0181-5512/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

Anti-VEGF dans la néovascularisation irienne des OVCR Anti-VEGF ; Photocoagulation panrétinienne ; Chirurgie filtrante

KEYWORDS Anti-VEGF; Central retinal vein occlusion; Rubeosis iridis; Neovascular glaucoma; Intraocular pressure; Intravitreal injection; Retinal ischemia; Panretinal photocoagulation; Filtering surgery

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et améliorée de 2 lignes chez 2 patients. Pour les patients au stade de glaucome néovasculaire (GNV) débutant (n = 13), la PIO diminuait une semaine après l’injection pour remonter autour du 45e jour alors que la rubéose avait définitivement disparu, suggérant que l’évolution de la PIO est indépendante de celle de la rubéose. Après 6 injections en moyenne associées à une chirurgie filtrante ou un cycloaffaiblissement, la PIO se stabilisait mais l’acuité visuelle s’est détériorée chez tous les patients ; 50 % des yeux au stade III sont passé au stade IV malgré les injections d’anti-VEGF. Conclusion. — Si les anti-VEGF ont permis de stopper la NVSA et d’équilibrer la PIO, la préservation de la vision n’a été obtenue que lorsque le diagnostic était fait au stade de rubéose irienne simple. Étant donné que seulement 32 % des patients étaient diagnostiqués à ce stade, les auteurs suggèrent une prévention de la NVSA par l’identification des patients à risque et la réalisation d’une PPR devant une non-perfusion rétinienne étendue avant le stade de rubéose. © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

Summary Purpose. — To evaluate the benefit of anti-VEGF in the treatment of anterior segment neovascularization (ASNV), a severe complication of ischemic central retinal vein occlusion (CRVO). Patients and methods. — This is a retrospective case series of consecutive patients with ASNV secondary to CRVO treated with anti-VEGF. Ophthalmic parameters were recorded for each visit: measurement of best visual acuity (VA), intraocular pressure (IOP), iris examination, gonioscopy and fundus examination, and as necessary, fluorescein angiography and optical coherence tomography. Minimum follow-up was 6 months. Results. — Nineteen patients (19 eyes) received intravitreal injections of anti-VEGF in association with panretinal photocoagulation (PRP). In patients who had uncomplicated rubeosis iridis without elevated IOP (n = 6), after a mean of 3 injections, VA was stable in 4 patients and improved by two lines in 2 patients. In patients with early neovascular glaucoma (NVG) (n = 13), IOP reduction was observed in all eyes within 1 week after injection but increased secondarily after an average of 45 days, although the rubeosis had definitively disappeared, which suggested that the change in IOP was independent of ASNV. After a mean of 6 injections in combination with filtering or cyclodestructive surgery, IOP finally stabilized, but VA decreased in all patients. Three patients (50%) with stage III ASNV progressed to stage IV ASNV in spite of anti-VEGF treatment. Conclusion. — In all eyes, anti-VEGF treatment stopped neovascularization and helped to control IOP. However, vision was preserved only in the eyes with uncomplicated rubeosis at the time of diagnosis. Since only 32% of eyes were diagnosed at this stage, the authors suggest the prevention of ASNV by careful screening and follow-up of patients at risk, and the performance of PRP in CRVO with extensive retinal non-perfusion prior to the onset of rubeosis. © 2015 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction La néovascularisation du segment antérieur (NVSA) est la complication majeure des rétinopathies ischémiques et est corrélée à l’étendue du territoire ischémique. Elle constitue une réponse de la rétine à l’hypoxie par la mise en jeu de facteurs angiogéniques. Son expression clinique est graduelle, allant de la néovascularisation irienne débutante ou « rubéose irienne » au véritable glaucome néovasculaire (GNV). L’apparition et le développement de néovaisseaux iriens conduisent à des modifications de l’angle irido-cornéen entraînant une élévation de la pression intraoculaire, qui aboutit à la cécité dans un contexte hyperalgique, voire à la perte du globe oculaire [1,2]. Contrairement aux autres rétinopathies ischémiques

d’évolution plus lente, le glaucome néovasculaire reste la complication redoutable des occlusions veineuses rétiniennes (OVR) ischémiques par sa rapidité d’évolution. En effet, il n’existe que quelques jours entre le début de la rubéose et l’état de GNV constitué. Il entraîne l’augmentation brutale de la pression intraoculaire qui aggrave les conditions circulatoires déjà très perturbées, ce qui conduit à une dégradation très rapide de l’acuité visuelle [3,4]. La stratégie thérapeutique classique dépend du stade évolutif de la maladie et de l’état fonctionnel de l’œil au moment du diagnostic. La prise en charge classique repose sur le traitement de l’ischémie par PPR au laser, toujours nécessaire et associé si besoin au traitement médical et chirurgical de l’hypertonie oculaire. Aujourd’hui, l’apport des

416 anti-angiogéniques (anti-VEGF) a révolutionné la prise en charge de la néovascularisation du segment antérieur. Les premières publications ont montré qu’au stade de rubéose, les anti-VEGF peuvent arrêter le développement de la néovascularisation irienne, stabiliser la tension intraoculaire et préserver la vision lorsque le traitement est précoce [1,2,5—9]. Dans les cas de glaucome néovasculaire, en plus de l’abaissement de la pression intraoculaire, les anti-VEGF peuvent apporter de bonnes conditions de réalisation d’une PPR et de bons résultats à la chirurgie filtrante, aboutissant ainsi à une amélioration anatomique [10]. Cette étude a pour but de déterminer l’apport de ce nouveau traitement dans la prise en charge de la néovascularisation du segment antérieur secondaire aux OVR, avec évaluation du pronostic final selon le stade de prise en charge. De plus, l’évolution de l’acuité visuelle et de la pression intraoculaire au cours du traitement des patients par anti-VEGF est analysée.

Patients et méthodes Tous les patients suivis pour occlusion veineuse compliquée de néovascularisation du segment antérieur entre janvier 2008 et mai 2013 ont été analysés pour cette étude. L’effet des anti-VEGF sur l’évolution de la pression intraoculaire et de l’acuité visuelle a été relevé. Les données initiales ont été analysées : âge, sexe, facteurs associés, type d’OVR. Les données ont été relevées sur une fiche de suivi préétablie et ont été analysées à l’aide du logiciel épi-info 3.2.2. Les patients ont été subdivisés en deux sous-groupes selon le stade évolutif noté lors de la présentation initiale : les patients diagnostiqués et traités au stade de rubéose irienne (groupe 1-rubéose), et ceux pris en charge au stade de glaucome néovasculaire confirmé (groupe 2-GNV).

Résultats Au total, sur 126 patients ayant développé une occlusion veineuse rétinienne centrale ou hémicentrale, 19 ont présenté une néovascularisation du segment antérieur, soit une fréquence de la NVSA dans cette étude de 15,1 %. L’âge moyen des patients était de 70 ans (59 à 85 ans). La maladie était équitablement répartie dans les deux sexes : 10 hommes et 9 femmes. Le glaucome à angle ouvert, l’hypertension artérielle et le diabète étaient les antécédents les plus fréquemment retrouvés chez les patients (Tableau 1). Il s’agissait d’une occlusion de la veine centrale de la rétine dans tous les cas sauf un qui était une occlusion hémicentrale ischémique. L’occlusion concernait l’œil droit dans 57,9 % (11 yeux) et l’œil gauche dans 42,1 % (8 yeux). Toutes ces OVR étaient de forme ischémique, avec une surface d’ischémie rétinienne majeure (supérieure à 50 %) au moment du diagnostic de la NVSA. Le délai moyen de diagnostic de la rubéose était de 94 jours après le début de l’OVR. Par contre, nous n’avons pas pu déterminer le délai d’évolution spontanée entre le début de la rubéose et celui du GNV car les patients ont été traités très rapidement après le diagnostic, ce qui a stoppé la progression de la néovascularisation. Si la NVSA

T.B. Kabesha et al. Tableau 1 Données épidémiologiques et cliniques des patients ayant présenté une néovascularisation du segment antérieur (NVSA). NVSA (19 yeux) Sexe masculin (%) 10 70,1 ans Âge moyen (extrêmes) Hypertension artérielle (%) 7 Glaucome chronique (%) 7 Diabète (%) 4 Aucun facteur de risque vasculaire 1 ni glaucome (%) Type d’occlusion veineuse rétinienne Veine centrale (%) 18 Hémicentrale (%) 1 Latéralité Œil droit atteint (%) 11 Œil gauche atteint (%) 8 Nombre de cas diagnostiqués au 6 stade de rubéose 94,2 jours Délai moyen entre le début de l’OVR et la rubéose (extrêmes) Nombre de cas diagnostiqués au 13 stade de GNV (%)

(52,6 %) (59—85 ans) (37 %) (37 %) (21 %) (5 %)

(95 %) (5 %) (57,9 %) (42,1 %) (31,6 %) (30—210) (68,8 %)

est survenue généralement à la fin du 3e mois comme c’est généralement le cas, deux patients avaient une OVCR plus ancienne qui s’était aggravée progressivement. Ces deux cas correspondaient à des patients diabétiques, pour lesquels le délai d’apparition de la NVSA était de 4,3 mois (128 jours). Les caractéristiques cliniques des patients sont résumées dans le Tableau 2. Tous les patients ont rec ¸u au moins une injection intravitréenne d’anti-VEGF, associée à la photocoagulation panrétinienne (PPR) et à un traitement médical (atropine, dexaméthasone collyre, collyres hypotonisants si besoin). Le bevacizumab (Avastin® ) était l’anti-VEGF administré chez la majorité des patients (14/19). La première IVT d’anti-VEGF a été pratiquée très rapidement après le diagnostic, souvent le jour même ou au plus tard le 8e jour (moyenne 4 jours).

Évolution du groupe 1—rubéose Les patients ont été divisés en deux groupes selon le stade de la NVSA au moment du diagnostic. Le groupe rubéose était constitué de 6 yeux (31,6 %). Dans ce groupe, la PIO moyenne au diagnostic était de 18,7 mmHg et la PIO finale 14,4 mmHg. L’acuité visuelle initiale était de 20/160, et l’acuité finale était évaluée à 20/64 (la Fig. 1 retrace l’évolution de l’AV dans ce groupe). Deux patients présentaient une NVSA de stade I (néovaisseaux visibles au sphincter) et quatre patients de stade II (néovaisseaux devant le stroma irien). Les patients ont rec ¸u trois injections intravitréennes d’anti-VEGF en moyenne (2 à 4), associées à la photocoagulation panrétinienne (4 séances en moyenne). Cette association a constitué l’essentiel du traitement, le bevacizumab (Avastin® ) étant la molécule la plus utilisée. Ce traitement a montré une grande efficacité pour arrêter le développement de la rubéose. Aucun cas n’avait évolué vers

Anti-VEGF dans la néovascularisation irienne des OVCR Tableau 2

417

Résultats du suivi des patients après traitement par anti-VEGF.

Paramètres surveillés

Groupe 1-rubéose (n = 6)

Groupe 2-GNV (n = 13)

PIO initiale moyenne (extrêmes) Évolution de la PIO AV initiale moyenne en LogMar (équivalent Snellen) AV finale moyenne en LogMar (équivalent Snellen) Évolution de l’acuité visuelle

8,7 mmHg (14—20mmHg) PIO stable 0,9 (20/160)

33,3 mmHg (29—50 mmHg) Fluctuante, (cf. Fig. 3) 1,3 (20/400)

0,5 (20/64)

1,7 (< 20/800) Stable ou aggravation (Fig. 2)

Évolution de la rubéose

Gain : 2 cas (2 lignes) Stable : 4 cas (Fig. 1) Angle libre : 2 cas 1 quadrant : 3 cas (50 %), 2 quadrants : 1 cas (16,7 %) Stade I : 2 cas Stade II : 4 cas Régression totale de la rubéose

Nombre moyen d’IVT Traitement

3 injections (2—4) IVT + PPR = 6 cas

Nombre moyen de séances de PPR(extrêmes) Durée moyenne de suivi Appréciation finale et réponse au traitement

4 séances (3—5)

Stade III (angle ouvert) : 6 cas Stade IV (angle fermé) : 7 cas Régression, mais 3 yeux (50 %) au stade 3 passent au stade 4 pendant le suivi 7 injections (6—11) IVT + PPR : 3 cas, IVT + PPR + CYCLO : 3 cas IVT + PPR + TRAB : 6 cas IVT + CRYO + VITRECT : 1 cas 7 séances (5—9)

6 mois (4—8) Préservation de l’AV, régression de la rubéose, PIO normale

18,2 mois (4—8) AV effondrée, régression de la rubéose, PIO normalisée

Gonioscopie initiale, étendue de la néovascularisation dans l’angle Stade initial de la maladie

AV en LogMar 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 0.3 0.2 0.1 0 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

jours

Figure 1. Suivi de l’acuité visuelle en LogMar après traitement par anti-VEGF chez les patients diagnostiqués au stade de rubéose simple.

le glaucome néovasculaire ni vers une récidive. La tension intraoculaire est restée stable au cours du suivi. Tous les patients ont conservé au moins leur vision initiale : deux d’entre eux (33,3 %) ont gagné 2 lignes et 4 patients (66,7 %) ont maintenu leur acuité visuelle initiale. La durée moyenne de suivi était de six mois après le début du traitement.

Évolution du groupe 2-GNV Le second groupe GNV comprenait 13 patients (68,2 %). Dans ce groupe, 6 yeux (46,2 %) étaient au stade III

3 quadrants : 6 cas 4 quadrants : 7 cas

(néovaisseaux dans l’angle encore ouvert) et 7 (53,8 %) au stade IV (angle fermé). La PIO moyenne à l’inclusion était de 29,8 mmHg au stade III et 36,3 mmHg au stade IV. La PIO finale était de 16 mmHg pour une durée moyenne de suivi de 18 mois. L’acuité visuelle initiale inférieure à 20/400 s’est dégradée au cours du suivi avec une acuité finale inférieure à 20/800 (Fig. 2). Les patients au stade III (néovaisseaux présents dans l’angle avec angle ouvert, n = 6) ont rec ¸u 6 injections d’anti-VEGF en moyenne et cinq séances de PPR. Trois yeux ont répondu positivement à ce traitement avec normalisation de la PIO. Dans les 3 autres cas, l’angle s’est fermé au cours du suivi malgré le traitement, ce qui a nécessité le recours à un traitement complémentaire : cryoapplication (2 yeux), cycloaffaiblissement (3 yeux), photothérapie thermodynamique (2 yeux). Chez les 7 patients au stade IV (néovaisseaux dans l’angle avec fermeture de l’angle), en plus des injections, de la photocoagulation et du cycloaffaiblissement, la chirurgie filtrante a été indispensable pour normaliser la PIO. L’acuité visuelle s’est dégradée au fur et à mesure des fluctuations de la PIO. En ce qui concerne l’évolution de l’acuité visuelle, tous les patients diagnostiqués au stade de glaucome néovasculaire ont perdu la vision à la fin du suivi malgré le traitement et la normalisation finale de la PIO. Dans le groupe de patients GNV avec élévation de la PIO au moment du diagnostic, l’évolution de la PIO était très stéréotypée après chaque IVT d’anti-VEGF : la tension intraoculaire diminuait très rapidement après

418

T.B. Kabesha et al.

AV en Logmar 1.8 1.7 1.7 1.7

1.6 1.6 1.6

1.5 1.4 1.4 1.4

1.3 1.3

1.2 1.2 1.2 1.2 1.2

1.1

1.3 1.3 1.3 1.3 1.3 1.3 1.3 1.3 1.2

1.1

1 0.9

J540

J510

J480

J420

J450

J360

J390

J300

J330

J240

J270

J210

J180

J150

J120

J90

J45

J60

J15

J30

J8

0.9 J1

0.8

Période de suivi en jours

Figure 2.

Suivi de l’acuité visuelle en LogMar après traitement par anti-VEGF chez les patients diagnostiqués au stade de GNV.

Pression intraocculaire en mmHg

l’injection, parallèlement à la régression de la rubéose irienne. La PIO restait abaissée jusqu’au 30e jour, puis remontait vers le 45e jour, en l’absence de réapparition de la néovascularisation irienne (Fig. 3). Une nouvelle injection d’anti-VEGF était administrée, avec le même profil de réponse tensionnelle. Quatre injections étaient en moyenne indiquées pour des raisons tensionnelles, alors que la néovascularisation irienne semblait bien contrôlée par une IVT et 4 à 5 séances de PPR. L’administration d’un traitement complémentaire à visée hypotonisante permettait ensuite d’obtenir une stabilisation plus durable de la PIO.

Discussion Bien que le but de cette étude n’était pas de vérifier la prévalence de la néovascularisation du segment antérieur secondaire à une occlusion veineuse, le pourcentage de cas retrouvé était de 15,1 %, comparable à celui rapporté généralement dans la littérature, se situant entre 14—20 % [3]. Cette complication survenait toujours dans les formes avec ischémie rétinienne étendue. De même, l’âge moyen des patients de 70 ans, les facteurs de risque associés et le délai de survenue de cette complication était conforme à ce qui est publié [3,11—13].

40 35 30

25 20 15 10 5 0 PIO/JO

PIO/J8

PIO/J15

PIO/J30

PIO/J45

PIO/J60

PIO/J90 PIO/J120

Figure 3. Suivi de la pression intraoculaire moyenne après traitement par anti-VEGF chez les patients diagnostiqués au stade de GNV, montrant une remontée régulière de la PIO 30 à 45 jours après l’injection. En bleu : 1re IVT (n = 13), en rouge : 2e IVT (n = 13), en vert : 3e IVT (n = 13), en mauve : 4e IVT (n = 10).

Anti-VEGF dans la néovascularisation irienne des OVCR Chez les patients traités au stade de rubéose débutante (n = 6), l’injection intravitréenne d’anti-VEGF (trois en moyenne) a permis dans tous les cas la régression de la rubéose, la prévention du GNV et la préservation de la fonction visuelle, avec un résultat persistant après un suivi minimum de six mois. L’efficacité d’un traitement précoce confirme les résultats d’études antérieures [6—8]. Les injections d’anti-VEGF permettaient également de pratiquer la PPR plus efficacement sans précipitation, sur un œil calme et normotone, et sur une rétine moins œdémateuse, en plusieurs séances, en prenant le temps de compléter le traitement jusqu’en extrême périphérie, et progressivement dans des zones initialement couvertes par des hémorragies. Chez les patients diagnostiqués au stade de glaucome néovasculaire (n = 13), les anti-VEGF ont permis de diminuer la pression intraoculaire et, chez certains patients, de réaliser une chirurgie filtrante dans de bonnes conditions, ce qui concorde avec les résultats de la littérature [2,6—16]. Cependant, le résultat visuel était beaucoup moins favorable et dépendait principalement de l’état d’envahissement de l’angle lors du diagnostic et du début du traitement. Dans ce groupe, l’évolution de la PIO après chaque injection était très stéréotypée : la tension intraoculaire diminuait très rapidement après l’injection, parallèlement à la régression de la rubéose irienne. La PIO restait abaissée jusqu’au 30e jour, puis remontait vers le 45e jour, en l’absence de réapparition de la néovascularisation irienne. Une nouvelle injection d’anti-VEGF était administrée, avec le même profil tensionnel. La connaissance de cette évolution de la PIO est importante pour planifier le calendrier de suivi des patients. Un contrôle entre 4 et 6 semaines après l’IVT est indispensable pour vérifier une éventuelle remontée de la PIO. Cette observation n’a pas encore été rapportée dans la littérature, et peut suggérer, dans les OVCR compliquées de NVSA, un rôle spécifique de l’anti-VEGF sur la PIO, indépendant de celui sur la néovascularisation irienne. Les traitements associés (PPR, cycloaffaiblissement, cryothérapie, photothérapie dynamique, chirurgie filtrante) gardent leur importance pour prolonger l’effet des antiVEGF sur la PIO dans les cas de GNV débutant [17—20]. En effet, chez les patients au stade III le recours à ces traitements s’est avéré utile dans la moitié des cas. De même, tous les patients au stade IV ont nécessité, en plus des injections d’anti-VEGF et de la PPR, une chirurgie filtrante et/ou un cycloaffaiblissement pour normaliser la pression intraoculaire. Laplace a décrit une prise en charge similaire [7]. Dans le groupe de 41 yeux avec NVSA publié par Wakayabashi et al. et traités par bevacizumab [6], un traitement chirurgical complémentaire avait été nécessaire dans 71 % des cas (12/17) de GNV à angle ouvert, et 93 % des cas (14/15) de à GNV avec angle fermé, ce qui est globalement similaire aux résultats de notre étude. Par contre, dans cette étude, les patients n’avaient rec ¸u qu’une seule injection initialement et un taux de récidive de 44 % de la NVSA a été observé. Dans notre étude, l’administration de 3 IVT d’anti-VEGF a permis une régression totale de la rubéose dans le premier groupe et la réalisation d’une PPR complète et efficace, ce qui explique qu’aucune récidive ne s’est déclarée par la suite avec un recul de 6 mois. Nos résultats sont cependant comparables à ceux de plusieurs auteurs tels Laplace,

419 Avery, et Saito et al., qui ont retrouvé dans leurs études l’effet bénéfique des anti-VEGF sur la rubéose irienne en association avec la chirurgie dans le traitement du glaucome néovasculaire [8—10,14—18,20]. Nous n’avons pas observé l’augmentation de la PIO décrite dans les 48 premières heures post-IVT par Semoun et al. [21]. Dans notre étude, les patients étaient traités le plus souvent en externe et n’ont pas eu systématiquement de contrôle de la PIO le lendemain. Parmi ceux qui étaient hospitalisés (n = 3), la PIO était souvent très élevée au départ et était traitée par acétazolamide (Diamox® ). Cela explique peut-être en partie le fait que la PIO était généralement nettement abaissée dès le lendemain de l’injection. Deux patients, qui avaient une PIO très élevée au départ et qui ont eu une normalisation très rapide de la PIO associée à la régression de la rubéose dès le lendemain de l’IVT de bevacizumab, ont décrit des douleurs oculaires très intenses dans la nuit qui a suivi l’injection. Dans cette étude, malgré l’IVT rapide d’anti-VEGF, 3 patients (50 % des stades III) sont passés du stade III de NVSA au stade IV. Cette évolution illustre la progression bien connue du GNV, qui n’est malheureusement pas freinée par l’anti-VEGF. Même si la néovascularisation est stoppée et/ou régresse sous l’effet du traitement anti-angiogénique, c’est la rétraction de la membrane fibreuse qui entoure les néovaisseaux qui est à l’origine de la fermeture secondaire de l’angle. L’évolution de cette membrane « porte-vaisseaux » fibreuse et rétractile ne semble donc pas influencée par le traitement anti-VEGF. La différence de pronostic visuel qui existe entre nos 2 groupes souligne que la précocité du traitement est fondamentale, et qu’il est extrêmement important d’intervenir avant l’envahissement de l’angle par les néovaisseaux. L’IVT d’anti-VEGF est donc une urgence absolue devant un début de rubéose irienne. Pour cela, la bonne connaissance et la détection des signes cliniques de rubéose débutante sont fondamentales pour faire un diagnostic précoce à un stade où l’angle camérulaire peut encore être préservé [22]. Néanmoins, malgré un suivi classique de l’OVCR, le diagnostic de NVSA a été fait dans cette étude au stade de rubéose débutante dans un peu moins d’un tiers des cas, et au stade de GNV dans un peu plus de deux tiers des cas ; à ce stade, l’évolution était régulièrement défavorable malgré le traitement anti-VEGF. La rapidité extrême de développement de la NVSA particulière aux OVCR explique cette situation ; en effet, la progression des néovaisseaux entre le sphincter et l’angle camérulaire ne prend que quelques jours. Cette situation rend très probable le risque de passer à côté du diagnostic de rubéose débutante avec un suivi seulement mensuel des patients. La prévention de la NVSA, qui consiste à identifier et suivre de manière rapprochée les patients à risque et à réaliser une PPR devant une OVCR ischémique, devrait être considérée pour apporter au patient les meilleures chances de préserver l’intégrité de l’angle camérulaire et donc sa fonction visuelle.

Conclusion Cette étude montre une différence très importante en ce qui concerne le pronostic visuel entre les patients pris en charge au stade de rubéose débutante sans atteinte de l’angle

420 camérulaire (32 %), et ceux pris en charge au stade de GNV débutant avec élévation de la PIO (68 %) pour lesquels le pronostic final reste réservé. Dans les cas où le diagnostic et le traitement interviennent avant le stade de GNV, cette étude confirme que le traitement anti-VEGF de la NVSA secondaire aux OVR permet de stopper le développement de la rubéose, de stabiliser la tension intraoculaire, de préserver la vision, de pratiquer le traitement au laser sur un œil calme et normotone, sans précipitation. Plusieurs injections sont nécessaires d’emblée pour obtenir une régression totale de la néovascularisation parallèlement à la réalisation d’une PPR complète, dans le but d’éviter la récidive de la néovascularisation qui aurait une issue très défavorable pour la vision finale. Ces résultats soulignent l’intérêt d’un traitement ultraprécoce du début de NVSA qui constitue une véritable urgence thérapeutique. Vu la rapidité du développement de la NVSA dans les OVCR ischémiques, expliquant que la grande majorité des yeux ont été diagnostiqués au stade de GNV débutant malgré un suivi mensuel classique de l’OVCR, ces résultats incitent à prendre en considération l’intérêt du traitement préventif de la NVSA par l’identification et la surveillance rapprochée des patients à risque d’une part, et d’autre part par la réalisation d’une PPR devant les OVCR ischémiques sévères avant l’apparition de la rubéose irienne.

Déclaration d’intérêts T. B. Kabesha déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. A. Glacet-Bernard : consultant pour le laboratoire Novartis. O. Rostaqui : intervention ponctuelle comme orateur pour le laboratoire Novartis. E. H. Souied : consultant pour le laboratoire Novartis.

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[Anti-VEGF therapy in the treatment of anterior segment neovascularization secondary to central retinal vein occlusion].

To evaluate the benefit of anti-VEGF in the treatment of anterior segment neovascularization (ASNV), a severe complication of ischemic central retinal...
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