COMMUNICATION

BREVE

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A propos de deux cas d'infection nasosinusienne Scedosporium apiospermum S. GUEZ*, V. CALAS**., B. COUPRIE***, D. STOLL**, G. CABANIEU*

R6sum6 -Nous rapportons 2 cas d'atteinte nasosinusienne ~ Scedosporium apiospermum, I'une de la fosse nasale, I'autre du sinus maxillaire. U~volution s'av~re variable selon le terrain immunitaire. Elle est simple chez le sujet sain (cas 1), avec gu~rison totale par traitement chirurgical. Elle est compliqu~e d'une extension locale avec symptomatologie pseudotumorale et lyse de la cloison intersinusonasale chez le sujet immunod~prim~ (cas 2), le traitement chirurgical pr~coce associ~ ~ un antifongique sp~cifique in situ assurant la gu~rison locale apparente, le patient d~c~dant quelques mois plus tard. La revue de la litt~rature confirme le potentiel invasif de ce champignon qui sur un terrain immunod~prim~ (li~ ~1un traitement immunosupresseur ou ~ une affection d~bilitante) devient un opportuniste redoutable. La culture du pr~l~vement sur milieu de Sabouraud permet d'une part le diagnostic mycologique precis de I'affection, d'autre part la r~alisation d'un antifongigramme, le miconazole (Daktarin) ~tant le plus r~guli~rement efficace. Alors que, chez un sujet sain, ]e traitement de I'atteinte nasale ou sinusienne est seulement chirurgical, celui-ci dolt 8tre associ~, sur tout terrain immunod6prim~, ~. un traitement m~dical antifongique compl~mentaire.

Mots-cl~s : MYCOSE NASALE--SINUSITE F O N G I Q U E - - S C E D O S P O R I U M APIOSPERMUM. Rev M e d Interne 1992 ; 13 : 145-148.

Le Scedosporium apiospermum est un champignon responsable le plus souvent de myc~tomes en pays temp6r~s (1). Cependant il peut se d~velopper accidentellement dans diff6rents organes, dont les cavit6s nasosinusiennes (2). Si I'atteinte est le plus souvent b~nigne, ce champignon poss~de un pouvoir invasif (3) qui en fait un agent opportuniste parfois redoutable chez I'immunod~prim& Dans ces formes diss~min6es, le traitement chirurgica[ se double alors d'un traitement antifongique sp~cifique, les produits actifs sur I'aspergillus (agent le plus souvent rencontr~ dans les sinusites fongiques) @ant sans efficacit(~ sur le Scedosporium. Nous rapportons iei deux cas d'atteinte nasosinusienne ~a Scedosporium, I'un chez un sujet sain et I'autre chez un

immunod~prim~, qui illustrent les deux modes d'~volution possible de I'affection selon le terrain avec leurs consequences therapeutiques. Ces observations t6moignent par ailleurs de la fr~quence actuellement croissante de cette affection opportuniste au niveau de la sphOre O R L

OBSERVATION Cas 1 : Une femme de 78 arts, landaise, en bon ~tat g6n6ral, prOsente une rhinosinusite d'al[ure banale, dont la s6m~iologie associe : c6phal~es occipitales, jetage postOieur mucopurulent et une cacosmie, ce dernier signe orientant vers une affection fongique. Un scanner est pratique, r6v~lant une opacit~ totale du

* Service de M~decine Interne et Maladies Allergiques (Pr CABANIEU) ; HOpital Pellegrin ; Place Am~lie Raba-L~on ; 33076 BORDEAUX C~dex. ** Clinique Universitaire d'Oto-Rhino-Laryngologie (Pr BEBEAR) ; HOpila I Pellegrin ; Place Am~lie Raba-L6on ; 33076 BORDEAUX C6dex. *** Laboratoire de Parasitologie-Mycologie (Pr RIPER7) ; Universit6 de Bordeaux 2 146 rue L~o-Saignat ; 33076 BORDEAUX C6dex.

TirEs~ part : Dr S.GUEZ; 3bmeaile 3 ; H6pita[ Pe[[egrin; PlaceAm61ieRaba-L~on 33076 BORDEAUXC6dex.

1992 - Tome XIII Num~ro 2

Re~:u[e 06-2-1991 Renvoipour correction ]e 09-4-1991 Acceptationd~finitive le 06-7-1991

A p r o p o s de deux cas d'in[Oction nasosinusienne ?t Scedosporium apiospermum

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sinus sph6noidal gauche sans ost6olyse des parois, un 6paississement de la muqueuse des cellules 6thmo~'dales post~rieures gauches et une opacit6 polypoi'de de densit~ tissulaire du plafond de la fosse nasale gauche. Uexploration chirurgicale du sinus sph6noldal par voie endonasale d6couvre dans la fosse nasale, pros du plafond et en avant de la surface sph~noldale, une masse gris~tre 6vocatrice d'une truffe aspergillaire baignant dans un pus jaune. II existe une hypertrophie oed~mateuse consid6rable de la muqueuse. Uostium sinusal est perm6able ~ I'exploration instrumentale qui r6v~le un sinus simplement combl~ par une muqueuse hypertrophique. La masse est extraite facilement, et I'examen anatomopathologique montre des filaments myc61iens. L'examen mycologique direct r~v61e la pr6sence de ~ brun fonc6 ovo'fdes (figure 1), 61iminant ainsi le diagnostic d'aspergillose. La culture en 5 jours sur milieu de Sabouraud permet I'identification d'un Scedosporium apiospermum. La patiente revue 6 mois apr~s I'intervention est totalement asymptomatique.

Figure 2 :

Examen tomodensitom6trique : coupe coronale (1 : truffe myc61ienne du sinus maxillaire gauche • avec effraction de la cloison intersinusonasale) [cas 2] Figure I :

Filaments myc~liens avec conidies, sp~cifiques du Scedosporium apiospermum Cas 2 : Un homme de 65 ans, landais, pr~sente un terrain d'immunod6pression secondaire. En effet, il est r6guli~rement suivi pour une cirrhose avec h6mochromatose secondaire, compliqu~e d'une hypertension portale et d'une insuffisance h@atocellulaire s0v6re. Une epistaxis rebelle avec obstruction nasale gauche progressive condu it ~ u n examen ORL, qui d~couvre une turn,faction ext@ioris6e d'allure polypo'ide au niveau du m~at moyen. Ce tableau pseudotumoral est confirm~ par le scanner qui montre une opacit(~ totale du sinus maxillaire et de la fossenasalegauche, avec une lyse de la cloison intersinusonasale (figure 2). La biopsie r(~alis~eau niveau du m6at permet de diagnostiquer une affection fongique, I'histologie notant la pr(~sence de nombreux filaments myc~liens. Lors de I'intervention de CaldwelI-Luc, la tumeur se pr6sente macroscopiquement comme une masse de couleur blanc gris~tre remplissant totalement le sinus, de consistance p~teuse s'~vacuant facilement ~ la curette, et ~voquant une truffe aspergillaire. L'exploration du sinus confirme la lyse de la cloison intersinusonasale. C'est I'examen mycologique r~alis~ sur la pi6ce op~ratoire qui fera le diagnostic

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de sc~dosporiose, confirm6 par I'lnstitut Pasteur sur les cultures obtenues en 5 jours sur milieu de Sabouraud. L'intervention est satisfaisante sur le plan local, le traitement chirurgical d'ex&~se ~tant compl6t6 par un traitement local m6dical : lavage du sinus par du miconazole (Daktarin) pendant 15 jours. Le patient d~c~de quelques mois plus tard, sans v~rification n~cropsique permettant d'imputer le d6c6s ~ I'affection sous-jacente (insuffisance h@atocellulaire) ou ~ une dissemination secondaire I'affection fongique.

DISCUSSION Le Scedosporium apiospermum, anamorphe de Pseudallescheria boydii, est un champignon ubiquitaire et banal, le plus souvent non pathog~ne. II est reconnu depuis Iongtemps comme I'agent responsable d'une affection cutan~e mycosique en pays tropical : le pied de Madura (5). Darts les zones temp~r(~es, la contamination est le plus souvent accidentelle, par ingestion ou inhalation d'eau stagnante ou de boue, expliquant le d~veloppement surtout rural de ces affections. Tous les organes peuvent 6tre alors atteints, avec une predilection pour le poumon (6). L'(~volution de I'affection est fonction du terrain immunitaire. Chez le sujet immunocomp6tent, le champignon se d6veloppe lentement en raison de son faible pouvoir pathog~ne. La

La Re rue de Mddecine Interne Mars - A vril

symptomatologie est variable gelon I'organe atteint. Par contre chez le sujet immunod6prim~ soit par prise m6dicamenteuse : cortico'fdes ou chimioth@apie, soit par affection d~bilitante, le Scedosporium peut se d6velopper de fa~zon invasive et se transformer en dn agent opportuniste redoutable. Ainsi, ont 6t~ d~crits des septic~mies ~ point de d6part pulmonaire chez des patients trait~s pour leuc(!mie (7, 8), des abc~s c~r(~braux multiples chez des ~thyliques chroniques (9) avec porte d'entr~e souvent pulmonaire, une diffusion gdn@ale partir d'une affection des tissus sous-cutanOs (10) chez un patient sous cortico'l'des. L'~volution la plus fr6quente est alors le ddc~g du sujet malgr~ le traitement. Les cavit~s nasosinusiennes de la face repr(~sentent un milieu particuli~rement favorable au d~veloppement d'agents fongiqueg. Si I'aspergillus reste le plus fr6quent, d'autres agents tels qu'Histoplagma, Mucor, Scedosporium et Candida (I 1) peuvent 6tre en cause. Nous avons rapport~ ici 2 cas de sc~dosporiose, I'un atteignant la fosse nasale et I'autre le sinus maxillaire. Aucune circonstance accidentelle precise n'a pu 6tre mige en ~vidence pour expliquer le d~veloppement de cette affection chez ces patients. En particulier, le panoramique dentaire n'a pas montr~ de protrusion de mat6riel d'obturation dentaire dansles sinus maxillaires. Dansles 2 cas, il s'agit de sujets d'origine landaise, confirmant la predominance rurale de cette mycose. La clinique est superposable aux affections aspergillaires, avec soit un tableau de rhinosinusite trainante (cas 1) o~ une cacosmie peut ~tre un ~l~ment d'orientation vers une affection mycosique, soit une forme pseudotumorale rapidement 6volutive chez le sujet immunod(~prim6 (cas 2). Le TDM en coupes axiales et coronales est ~ ['heure actueile I'examen de r~f6rence de la pathologie nasosinusienne. II prOcise le si~ge, et surtout permet d'appr~cier I'int(!grit~ ou non des contours osseux. Le diagnostic de mycose egt 6vident h I'intervention devant I'aspect macroscopique de la masse [ongique qui est molle et gris~tre. Le diagnostic diff~rentiel ne se pose gu~re qu'avec I'aspergillose, et c'est l'examen mycologique qui tranchera non tant sur I'aspect des filaments qui sont un peu plus fins et moins ramifids, que sur I'aspect sp6cifique des conidies obtenues au 5 ~ jour de culture en milieu de Sabouraud (12). Dans tous leg cas le traitement egt chirurgical, comportant une ex~r~se totale de la truffe myc~lienne, compl@~e par un geste d'a~ration du sinus. Ce traitement est suffisant et entraine la gu&ison si I'affection est non invasive sur un terrain sain (13). Par contre chez le sujet immunod(~prim(!, le risque invasif Iocor~gional avec possibilit~ d'abc?~s c~rObral par contigu'~t~, justifie un traitement m6dical compl(~mentaire, le plus souvent par vole g~n~rale (14, 15). Le choix de I'antifongique repose sur I'antifongigramme, leg m~dicaments actifs sur I'aspergillus ne I'@ant pas le plus souvent sur

le Scedosporium. Le miconazole (Daktarin) est le plus r6guli?~rement efficace (14). L'itraconazole nouvel antifongique triazol~ gemble donner de bons r(~sultatg in vitro, I'exp~rience d inique de ce m~dicament @ant cependant encore timit~e. Dans notre cas 2, il y avait une effraction de la paroi osseuse, mais pag encore d'extension Iocor6gionale ou g~n@ale. Compte tenu du terrain, un traitement antifongique compl(~mentaire a suivi [e geste chirurgical, I'ensemble amenant ~ une gu@ison locale apparente. Ce malade ayant @t~ perdu de vue, il n'a pag ~t6 possible de pr~ciser la cause exacte du d(~c@ssurvenu quelques mois plus tard. On ne peut (~liminer une dissemination gecondaire surajout~e ~ I' affection h6patiq ue sou s-j acente, d'autant q u'il n'avait pas ~t6 proc(~d6 ~ un traitement antifongique par voie g(!n(~rale. Les sc~dogporioses nasosinusienneg semblent actuellement en augmentation, peut-@tre en raison de I'utilisation de plus en plus fr~quente des immu nosupresseurs. Curieusement aucun cas n'a ~t6 rapport(~ dansle SIDA, sans que I'on puisse en donner une explication satigfaisante. Affection banale chez le sujet sain la sc~dosporiose peut @tregrave gur certain terrain immunod~prim(~ en raison du potentiel invagif du Scedosporium. Le traitement pr6coce doit alors associer au geste chirurgical gyst6matique, un traitement antifongique par vole g~n@ale.

Summary--Scedosporiumapiospermum

nasosinusal

infection. Report of two cases. We report two cases of nasosinusal infection caused by Scedosporium apiospermum and involving the nasal fossa in one case and the maxillary sinus in the other. The course of the disease varied according to the patient's immune status. The otherwise healthy patient (case n ° 1) was completely cured by surgery, whereas the immunosuppressed patient (case n ° 2) had local extension with pseudotumoral symptoms and lysis of the inter-sinusonasal septum ; an early surgical treatment combined with local administration of a specific antifungal agent resulted in an apparent cure, but the patient died a few months later. A review of the literature confirmes the invasive potential of this fungus which in immunosuppressed patients (by therapeutic immunosuppressants or by a debilitating disease) becomes a dangerous opportunistic organism. Cultures on Sabouraud's medium provide an accurate diagnosis and enable antifungal drugs to be tested, miconazole being the most regularly effective of them. In healthy subjects surgery is the sole treatment of nasal or sinusal lesions, while in all immunocompromised patients it must be combined with an antifungal treatment.

Key-words:NASAL MYCOSIS - - FUNGAL SIN USITIS - SCEDOSPORIUM APIOSPERMUM.

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L a R e v u e de M ~ d e c i n e I n ter n e Mars - Avril

[Apropos of 2 cases of Scedosporium apiospermum nasosinusal infection].

We report two cases of nasosinusal infection caused by Scedosporium apiospermum and involving the nasal fossa in one case and the maxillary sinus in t...
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