Ne´phrologie & The´rapeutique 10 (2014) 475–477

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La cristallurie dans l’intoxication a` l’e´thyle`ne glycol Crystalluria in ethylene glycol intoxication Richard Montagnac a,*, Maxime Thouvenin b, Gre´goire Luxey a, Adeline Schendel a, Xavier Parent c a

Service de ne´phrologie-he´modialyse, hoˆpital de Troyes, 101, avenue Anatole, 10003 Troyes cedex, France Laboratoire de microbiologie, hoˆpital de Troyes, 101, avenue Anatole, 10003 Troyes cedex, France c Laboratoire de biochimie, hoˆpitaux civils de Colmar, 68024 Colmar cedex, France b

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 26 fe´vrier 2014 Accepte´ le 19 avril 2014

Certains facie`s de cristaux d’oxalate de calcium monohydrate´ (whewellite) sont caracte´ristiques de l’intoxication a` l’e´thyle`ne glycol et, lorsqu’ils sont mis en e´vidence, peuvent aider a` son diagnostic quand les circonstances anamnestiques ne sont pas clairement e´tablies. ß 2014 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Cristallurie E´thyle`ne glycol Intoxication Oxalate de calcium monohydrate´ Whewellite A B S T R A C T

Keywords: Calcium oxalate monohydrate crystal Crystalluria Ethylene glycol Intoxication Whewellite

When seen, some habits of calcium oxalate monohydrate crystals (whewellite) are so typical of ethylene glycol intoxication that they may be helpful for its diagnosis when circumstances are not clearly established. ß 2014 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction La pre´sence d’une cristallurie exprime une sursaturation des urines, en une ou plusieurs substance(s), que l’on peut retrouver dans nombre de situations pathologiques. Ses caracte´ristiques peuvent apporter une aide diagnostique, comme a` l’occasion des deux intoxications a` l’e´thyle`ne glycol que nous avons observe´es dans notre service a` deux semaines d’intervalle. 2. Observations 2.1. Premie`re observation Un homme aˆge´ de 31 ans consulte aux Urgences le 11 novembre 2013 pour des douleurs abdominales, une alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral, ainsi que des nause´es depuis la veille. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Montagnac).

Aucun point d’appel n’est retrouve´ tant cliniquement qu’iconographiquement, mais le bilan biologique met en e´vidence une hyperleucocytose a` 21 700/mm3, dont 89 % de polynucle´aires neutrophiles, une cre´atinine´mie a` 154 mmol/L et une hyperkalie´mie a` 6,15 mmol/L. Il est hospitalise´ dans le service d’urologie ou`, le lendemain, la cre´atinine´mie est a` 299 mmol/L, la natre´mie a` 133 mmol/L, la kalie´mie a` 5,14 mmol/L avec une acidose me´tabolique a` 18,4 mmol/L. Le bilan he´patique est normal. L’examen des urines du 12 novembre retrouve des cristaux d’oxalate de calcium monohydrate´ (Fig. 1), avec majoritairement des cristaux de forme hexagonale allonge´e, e´vocateurs d’une intoxication a` l’e´thyle`ne glycol. L’oxalurie est de 6 mmol/L (normale : < 0,30 mmol/L) pour une cre´atininurie de 6,2 mmol/L. Un nouvel interrogatoire ame`ne le patient a` avouer la prise d’environ 200 mL d’e´thyle`ne glycol la veille de son hospitalisation, sous forme d’antigel, dans un but suicidaire. Il est alors transfe´re´ dans notre service, ou` il be´ne´ficie d’une alcalinisation intraveineuse (IV) permettant la correction de l’acidose de`s le 15 novembre.

http://dx.doi.org/10.1016/j.nephro.2014.04.003 1769-7255/ß 2014 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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Fig. 1. Cristaux de whewellite de forme hexagonale allonge´e (longueur moyenne : 30–35 mm). A. Observe´s en microscopie optique standard. B. Observe´s en lumie`re polarise´e.

Apre`s une augmentation jusqu’a` 481 mmol/L le 16 novembre, la cre´atinine´mie commence ensuite a` diminuer pour eˆtre a` 396 mmol/L le 18 novembre. Rassure´ par cette de´croissance des chiffres et probablement pour e´chapper a` sa prise en charge psychiatrique, le patient s’enfuit malheureusement du service. 2.2. Seconde observation Retrouve´e par le SAMU inconsciente a` son domicile, une femme aˆge´e de 49 ans est hospitalise´e en service de re´animation le 25 novembre 2013 pour un score de Glasgow a` 3, une tempe´rature a` 36,38C, une acidose me´tabolique majeure avec un trou anionique a` plus de 35, et une glyce´mie a` 3,79 g/L. Elle est connue pour alcoolisme et intoxication tabagique chroniques, e´pisodes de´pressifs majeurs, parfois entache´s de tentatives d’autolyse. L’enqueˆte e´tiologique re´ve`le qu’il s’agit cette fois d’une intoxication volontaire a` l’e´thyle`ne glycol, sous forme de 500 mL d’antigel. La concentration plasmatique, spe´cifiquement e´value´e par chromatographie en phase gazeuse, est de 3305 mg/L (seuil de de´tection a` 10 mg/L), alors que l’analyse effectue´e par spectrome´trie de masse couple´e a` la chromatographie en phase liquide ne retrouve trace d’aucun autre toxique. L’analyse des urines retrouve des cristaux de forme majoritairement en navette (Fig. 2), avec quelques e´le´ments hexagonaux allonge´s. L’oxalurie est de 1 mmol/L pour une cre´atininurie basse de 0,9 mmol/L. La patiente est traite´e par alcalinisation et traitement antidotique par e´thanol. Pour la persistance d’une insuffisance re´nale anurique, elle be´ne´ficie de se´ances d’he´mofiltration continue jusqu’a` son transfert en service de ne´phrologie le 29 novembre, dans le cadre de la poursuite de la prise en charge. Trois se´ances d’he´modialyse conventionnelle et la mise sous furose´mide seront encore ne´cessaires avant que la reprise de la diure`se et l’ame´lioration de la fonction re´nale n’en permettent l’arreˆt.

Fig. 2. Cristaux de whewellite en forme de navette allonge´e (longueur moyenne : 35–40 mm). A. Observe´s en microscopie optique standard. B. Observe´s en lumie`re polarise´e.

3. Commentaires Lors d’une intoxication a` l’e´thyle`ne glycol, une atteinte re´nale [1] peut s’observer a` partir de la 24e heure, ge´ne´ralement sous forme d’une insuffisance re´nale aigue¨, souvent anurique, classiquement lie´e a` la pre´cipitation intratubulaire de cristaux d’oxalate de calcium monohydrate´. Une prote´inurie, une glycosurie, une he´maturie microscopique, une leucocyturie, ou encore une cylindrurie peuvent eˆtre constate´es. Une cristallurie peut s’observer dans environ la moitie´ des cas, d’abondance variable, faite de cristaux d’oxalate de calcium a` la forme tre`s particulie`re, pratiquement pathognomonique de cette intoxication. De fac¸on ge´ne´rale, l’oxalate de calcium peut cristalliser dans les urines sous 3 formes mole´culaires [2,3] :  monohydrate´e (whewellite) en cas d’hyperoxalurie ;  dihydrate´e (weddellite) essentiellement en cas d’hypercalciurie, avec ou sans hyperoxalurie ;  trihydrate´e (caoxite) dans des circonstances particulie`res d’hyperoxalurie, mais beaucoup plus rare que la whewellite.

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Les cristaux de whewellite, bire´fringents en lumie`re polarise´e, pre´sentent souvent un facie`s ovale a` de´pression centrale plus ou moins marque´e et un renflement a` chaque extre´mite´, pouvant donner un aspect en « halte`re » ou en « cacahue`te » lorsqu’ils sont vus de profil. En revanche, en cas d’intoxication par e´thyle`ne glycol, contexte particulier d’hyperoxalurie massive avec hyperacidite´ des urines, les cristaux d’oxalate de calcium monohydrate´ re´sultent de la pre´cipitation de calcium avec l’oxalate, me´tabolite de l’e´thyle`ne glycol excre´te´ par les reins. Un tel apport majeur d’oxalate aboutit a` des cristaux au facie`s tre`s diffe´rent des autres cristaux de whewellite vus chez les lithiasiques. Ils se pre´sentent sous formes de losanges e´tire´s, d’hexagones allonge´s et/ou, tout a` fait caracte´ristiques, de navettes e´tire´es [2–5]. Lorsqu’une intoxication est vraisemblable, qu’elle s’accompagne d’une acidose me´tabolique se´ve`re avec un trou anionique important non clairement explique´, mais que son enqueˆte anamnestique est impossible ou peu fiable, la recherche d’une cristallurie peut se montrer tre`s utile si elle met en e´vidence les cristaux de whewellite typiques qui vont eˆtre extreˆmement suggestifs d’une intoxication a` l’e´thyle`ne glycol, dont le diagnostic pre´coce permet alors de mettre en route rapidement le traitement spe´cifique. Cependant, cette cristallurie n’est pas constante (50 % des cas) et ne pre´juge pas de la se´ve´rite´ de l’intoxication. Le traitement de celle-ci doit eˆtre initie´ au plus vite, s’appuyant sur les mesures suivantes :

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 l’e´thanol, substrat compe´titif de l’ADH, facilement disponible ˆ teux. Il s’administre par voie IV ou par voie orale et peu cou mais, du fait de son maniement et de ses effets secondaires, ne´cessite une e´troite surveillance des patients qui, finalement, ˆ t du traitement, augmente le cou  le 4-me´thylpyrazole ou fome´zipole, inhibiteur compe´titif de l’ADH, dont l’efficacite´, la simplicite´ d’utilisation et l’innocuite´ en font l’antidote de choix lorsqu’il est disponible, mais dont le ˆ t est e´leve´. cou

4. Conclusion Lorsqu’elle est recherche´e et pre´sente, la cristallurie observe´e lors d’une intoxication et dont le diagnostic n’est pas e´vident d’emble´e, offre des caracte´ristiques suffisantes pour affirmer le diagnostic d’intoxication a` l’e´thyle`ne glycol et entreprendre ainsi au plus vite le traitement adapte´. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences

 l’e´vacuation gastrique, qui n’a d’inte´reˆt que si elle peut eˆtre re´alise´e peu de temps apre`s l’ingestion ;  la perfusion de bicarbonates (sous surveillance de la calce´mie) afin de corriger l’acidose me´tabolique ;  l’e´limination de l’e´thyle`ne glycol et de ses me´tabolites toxiques par l’he´modialyse qui a, de plus, l’avantage de pallier les perturbations me´taboliques et l’insuffisance re´nale ;  mais surtout le traitement antidotique qui bloque l’alcool deshydroge´nase (ADH), l’une des enzymes responsables du me´tabolisme de l’e´thyle`ne glycol, e´vitant ainsi la formation finale de cristaux d’oxalate. Il fait appel, selon leur disponibilite´ et l’expe´rience locales, a` l’un des deux inhibiteurs suivants dont l’administration est bien codifie´e [6] :

[1] Bouattar T, Madani N, Hamzaoui H, Alhamany Z, El Quessar A, Benamar L, et al. Intoxication grave a` l’e´thyle`ne glycol par voie transcutane´e. Nephrol Ther 2009;5:205–9. [2] Daudon M, Jungers P, Lacour B. Inte´reˆt clinique de l’e´tude de la cristallurie. Ann Biol Clin 2004;62:379–93. [3] Daudon M. La cristallurie : un marqueur diagnostique et pronostique des pathologies cristalloge`nes et des lithiases re´nales. Rev Francophone Lab 2013;455:67–73. [4] Morfin J, Chin A. Urinary calcium oxalate crystals in ethylene glycol intoxication. Images in clinical medicine. N Engl J Med 2005;353:e21. [5] Takayesu JK, Bazari H, Linshaw M. Case records of the Massachusetts General Hospital. Case 7-2006. A 47-year-old man with altered mental status and acute renal failure. N Engl J Med 2006;354:1065–72. [6] Rietjens SJ, de Lange DW, Meulenbelt J. Ethylene glycol or methanol intoxication: which antidote should be used, fomepizole or ethanol? Neth J Med 2014;72:73–9.

[Crystalluria in ethylene glycol intoxication].

When seen, some habits of calcium oxalate monohydrate crystals (whewellite) are so typical of ethylene glycol intoxication that they may be helpful fo...
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