Revue de Pneumologie clinique (2014) 70, 357—361

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CAS CLINIQUE

Kyste bronchogénique diaphragmatique : une localisation exceptionnelle Diaphragmatic bronchogenic cyst: An exceptional location A. Legras a, P. Mordant a, L. Gibault b, A. Hernigou c, F. Le Pimpec Barthes a, M. Riquet a,∗ a

Département chirurgie thoracique et transplantation pulmonaire, université Paris-Descartes, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France b Service de cytologie et d’anatomie pathologique, université Paris-Descartes, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris, France c Service de radiologie, université Paris-Descartes, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris, France ut 2014 Disponible sur Internet le 15 aoˆ

MOTS CLÉS Tumeur ; Diaphragme ; Poumon ; Lésion bénigne ou congénitale ; Embryologie



Résumé Un homme de 64 ans se plaignait d’une dyspnée persistante et d’une douleur basithoracique avec irradiation scapulaire. Le scanner thoracique avait révélé la présence d’une masse hétérogène de l’hémi-diaphragme gauche, caractérisée en imagerie par résonance magnétique hypo-T1 et hyper-T2. Aucun hypermétabolisme n’avait été décelé à la tomographie par émission de positrons. Un abord chirurgical thoracique vidéo-assisté avait été décidé. À l’inspection, la tumeur apparaissait au sein de la portion costale postérieure du diaphragme. La résection de la tumeur avait nécessité d’étendre la résection à un segment diaphragmatique de 8 cm se prolongeant jusqu’au pilier. Le diaphragme avait été réparé par des points séparés non résorbables. Les suites postopératoires furent simples. Le diagnostic anatomo-pathologique avait conclu à un kyste bronchogénique intra-diaphragmatique, une localisation exceptionnelle. Les tumeurs primitives diaphragmatiques sont très rares et le diagnostic ne peut être affirmé en préopératoire. Les hypothèses embryologiques (migration le long de l’œsophage ou inclusion dans les structures à l’origine du diaphragme d’un bourgeon pulmonaire surnuméraire anormal) sont discutées en intégrant de récentes données moléculaires de voies dérégulées (fibroblast growth factor-10 et NOTCH). © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Riquet).

http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2014.05.002 0761-8417/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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KEYWORDS Tumour; (Diaphragm); Lung (benign or congenital lesions); Embryology

A. Legras et al.

Summary A 64-year-old man complained of persistent dyspnea and bilateral basi-thoracic pain with shoulder irradiation. Chest computed tomography revealed a heterogeneous left diaphragmatic mass, while magnetic resonance imaging showed hypo-T1 and hyper-T2 signal. Positron-emission tomography did not show any hypermetabolism. Video-assisted thoracic surgery was decided. At inspection, tumour appeared within the posterior costal part of the diaphragmatic muscle. Tumour resection was extended to a 8-cm-long portion of the lumbar part of diaphragm. Diaphragm was repaired with non-absorbable interrupted sutures. Postoperative course was uneventful. Final pathology revealed an intra-diaphragmatic bronchogenic cyst, which is an exceptional condition. Primary diaphragmatic tumours are very rare and preoperative diagnosis cannot be affirmed. Embryologic hypotheses (migration along the oesophagus or envelopment within diaphragmatic precursors of an abnormal supernumerary lung bud) including recent molecular findings of deregulated pathways (fibroblast growth factor-10 and NOTCH) are discussed. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les tumeurs diaphragmatiques primitives sont exceptionnelles et leur diagnostic difficile. La prise en charge thérapeutique inclut une résection chirurgicale. Le cas d’un kyste intra-diaphragmatique, dont la nature exacte n’a pu être définie en préopératoire, est présenté.

simples et le patient quittait l’hôpital au 6e jour postopératoire. L’examen anatomo-pathologique révélait la présence d’un kyste multiloculé bordé d’un épithélium respiratoire (épithélium cilié cuboïde à pseudostratifié), recouvrant une paroi de tissu de soutien fibreux incluant des glandes séro-mucineuses et du cartilage (Fig. 1d). Le muscle diaphragmatique adjacent était par ailleurs normal, confirmant le diagnostic de kyste bronchogénique ectopique intradiaphragmatique.

Observation Un homme de 64 ans se plaignait d’une dyspnée et d’une douleur basi-thoracique avec irradiation scapulaire, persistantes depuis une chute 2 ans auparavant. La radiographie thoracique était normale. Le scanner thoracique avait révélé la présence d’une masse hétérogène du pilier diaphragmatique gauche (Fig. 1a). La fibroscopie bronchique était normale. Aucun hypermétabolisme n’avait été décelé à la tomographie par émission de positrons. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) avait montré au niveau de la masse un hyposignal T1 et un hypersignal T2 (Fig. 1b et c). Un kyste mésothélial était suspecté. Cependant, dans la mesure où un fibrome pleural ou un fibrosarcome ne pouvait être exclus, l’indication d’une exploration chirurgicale avait été statuée. L’exploration chirurgicale était réalisée par chirurgie thoracique vidéo-assisté. Aucun épanchement pleural n’était constaté. La tumeur apparaissait au sein de la portion costale du diaphragme, en arrière (Fig. 1a et c). La résection de la tumeur nécessitait d’étendre la résection à un segment diaphagmatique de 8 cm se prolongeant jusqu’au pilier. Le péritoine diaphragmatique était respecté. À l’examen macroscopique, la tumeur était kystique, multiloculée et contenait un liquide sombre, évocateur d’une hémorragie ancienne. L’examen histologique extemporané décelait la présence de glandes, sans cellule tumorale. L’examen direct du liquide était négatif et les cultures stériles. Le diaphragme était réparé par des points séparés non résorbables. Les suites postopératoires furent

Discussion L’envahissement tumoral du diaphragme peut être observé en cas : • de lésion métastatique, bénigne (endométriose) ou plus fréquemment maligne ; • d’extension directe par contiguïté d’une tumeur provenant d’un organe adjacent ; • de tumeur pleurale avec une atteinte exclusive de la plèvre diaphragmatique (mésothéliome pleural, tumeur fibreuse solitaire de la plèvre) ; • de lésion primitive, comme rapporté ici. Les tumeurs diaphragmatiques primitives sont très rares (moins de 150 cas décrits) et classées comme bénignes ou malignes [1]. Elles sont bénignes dans près de 60 % des cas. Cliniquement, ces tumeurs atteignent plus fréquemment les femmes (54 %), n’ont pas de latéralisation préférentielle et sont souvent associées à des douleurs thoraciques. Les lésions bénignes les plus fréquentes sont les kystes diaphragmatiques (26 % des tumeurs primaires du diaphragme) et les lipomes (9 %) [1]. Les tumeurs malignes les plus fréquentes sont le rhabdomyosarcome (10 %) et le fibrosarcome (6 %) [1]. Les kystes diaphragmatiques sont soit mésothéliaux, provenant de reliquats cœlomiques, soit bronchogéniques. Malgré les progrès récents, l’imagerie diaphragmatique n’est pas assez performante pour définir précisément le diagnostic. En IRM, les signaux prennent l’aspect d’une structure kystique indéterminée (hypo-T1,

Kyste bronchogénique diaphragmatique : une localisation exceptionnelle

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Figure 1. a : tomodensitométrie thoracique, coupe axiale, montrant la masse de l’hémi-diaphragme gauche ; b : IRM, T1, coupe frontale, montrant un hypersignal spontané ; c : IRM, ultra-fast gradient echo (LAVA), coupe sagittale ; d : épithélium respiratoire (*) à proximité des fibres diaphragmatiques (**) ; coloration hématéine-éosine × 200.

hyper-T2), et donc manquent de spécificité. Dans certains cas, le signal est hyper-T1 et hyper-T2, sans chute de signal en FAT-SAT, en rapport avec le contenu hyperprotéique. La biopsie percutanée n’est pas recommandée, compte tenu de la difficulté technique de la procédure liée aux mouvements respiratoires, et du risque d’ensemencement pariétal en cas de sarcome. Au total, compte tenu de la grande variété de diagnostics, l’exploration chirurgicale et la résection aussi complète que possible restent l’approche optimale. Le seul cas d’exception est le kyste mésothélial typique de l’angle cardiophrénique, peu volumineux, a fortiori en cas de comorbidités associées. Les kystes bronchogéniques sont des anomalies du développement dérivées de l’intestin antérieur et sont génériquement appelés dans la littérature internationale foregut cysts. Ils sont habituellement situés dans le médiastin ou le parenchyme pulmonaire. Les localisations ectopiques sont rares, et comprennent le tissu sous-cutané, le péricarde, le rétropéritoine et le tube digestif, de la langue à l’intestin grêle. La localisation diaphragmatique est également très rare, rapportée uniquement sous forme de cas cliniques [1—18]. Les kystes bronchogéniques sont des bourgeons aberrants de l’arbre trachéo-bronchique en position anormale. La théorie conformément admise est la suivante : un bourgeon pulmonaire surnuméraire, en position caudale par rapport à l’emplacement normal du bourgeon pulmonaire, migre en direction caudale le long de l’œsophage en développement. Le timing au cours de l’embryogenèse, et non pas la nature exacte du kyste en termes qualitatifs, semble déterminer l’emplacement

final du kyste, par analogie à la formation de la séquestration intra-lobaire — le bourgeon pulmonaire accessoire se développe précocement, avant le développement de la plèvre — et extralobaire — le bourgeon pulmonaire accessoire se développe tardivement, lorsque la plèvre s’est déjà formée [19]. Ainsi, les kystes bronchogéniques sont proximaux, dans le médiastin, si le bourgeon surnuméraire apparaît au cours de la 3e semaine, ou distaux dans le parenchyme pulmonaire si le bourgeon apparaît au cours de la 4e semaine. Cependant, les kystes bronchogéniques péricardiques et intra-diaphragmatiques proviennent probablement d’un bourgeonnement anormal, qui apparaît dans ces cas à une localisation plus caudale que ceux à l’origine des kystes bronchogéniques médiastinaux ou pulmonaires. Ensuite, deux hypothèses sont débattues : • ce bourgeon migre le long de l’œsophage ; • est enveloppé par les différentes structures en croissance qui fusionnent pour former le diaphragme à la 6e semaine de développement (membranes pleuropéricardiques) [2]. Cependant, aucune étude expérimentale n’a été entreprise pour explorer ces hypothèses, et aucune explication embryologique claire n’a été fournie concernant la localisation diaphragmatique. Seuls 18 cas de kystes bronchogéniques diaphragmatiques avec localisation précise ont été rapportés (Tableau 1). Parmi eux, 13 cas (72 %) étaient proches de l’œsophage ou des piliers diaphragmatiques et 5 cas (28 %) étaient dans les coupoles ; 12 cas (66 %) étaient à gauche et 6 (34 %) à droite, laissant envisager les deux

360 Tableau 1

A. Legras et al. Revue de la littérature — kyste bronchogénique diaphragmatique.

Auteurs

Année de publication

Côté

Localisation

Symptômes

Amendola et al. [2] Ichihashi et al. [3] Dagenais et al. [4] Izumi et al. [5] Hoang et al. [6] Itoh et al. [7] Msika et al. [8] Liou et al. [9] Hamaguchi et al. [10] Ingu et al. [11] Chatti et al. [12] Anile et al. [13] Chang et al. [14] Elemen et al. [15] Zügel et al. [16] Piton et al. [17] Jiang et al. [18] Notre cas clinique

1982 1994 1995 1996 1999 1999 2000 2001 2002 2002 2003 2006 2006

Droit Gauche Droit Gauche Gauche Gauche Droit Gauche Gauche Gauche Gauche Gauche Droit Gauche Droit Droit Gauche Gauche Gauche

Pilier Pilier Coupole Pilier Pilier Pilier Coupole Pilier Pilier Pilier Pilier Pilier Pilier Coupole Coupole Coupole Pilier Pilier Pilier

Dyspnée — — Épigastralgie Non disponible Douleur Douleur brutale — Non disponible — Douleur abdominale Hocquet — Toux Fièvre Hocquet — — Dyspnée, douleur basi-thoracique

2008 2008 2012 2013 2014

hypothèses précédentes possibles (migration le long de l’œsophage ou inclusion dans les structures à l’origine du diaphragme). Néanmoins, des travaux récents ont permis d’identifier des voies moléculaires potentiellement impliquées dans les malformations pulmonaires congénitales. Ces travaux suggèrent que la dérégulation des voies de signalisation de fibroblast growth factor-10 (FGF10) et de NOTCH pourrait être responsable de la présence d’un phénotype bronchique proximal dans l’arbre bronchique distal [20]. Cette nouvelle théorie suggère qu’un « crash moléculaire » pourrait survenir lors de l’embryogenèse pulmonaire, et être responsable de différentes malformations congénitales — à savoir bronchique et/ou vasculaire systémique — en fonction du type d’événement moléculaire et du timing de survenue au cours de l’embryogenèse.

Conclusion Les tumeurs diaphragmatiques primitives sont exceptionnelles et de diagnostic difficile. La chirurgie est le pilier de la prise en charge diagnostique et thérapeutique, indispensable dans la quasi-totalité des cas. Les nouvelles approches moléculaires doivent nous permettre de clarifier la genèse de ces kystes bronchogéniques.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Kyste bronchogénique diaphragmatique : une localisation exceptionnelle [15] Elemen L, Tugay M, Tugay S, Gürcan NI, Erkus B, Gurbuz Y. Bronchogenic cyst of the right hemidiaphragm mimicking a hydatid cyst of the liver: report of the first pediatric case. Pediatr Surg Int 2008;24:957—9. [16] Zügel NP, Kox M, Lang RA, Hüttl TP. Laparoscopic resection of an intradiaphragmatic bronchogenic cyst. JSLS 2008;12:318—20. [17] Piton N, Gobet F, Werquin C, Landréat A, Lefebvre H, Pfister C, et al. Retroperitoneal bronchogenic cyst. Ann Pathol 2012;32:267—70.

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[Diaphragmatic bronchogenic cyst: an exceptional location].

A 64-year-old man complained of persistent dyspnea and bilateral basi-thoracic pain with shoulder irradiation. Chest computed tomography revealed a he...
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