E´ditorial

Me´decine et Sante´ Tropicales 2014 ; 24 : 229-231

Épidémie à virus Ebola en Afrique de l'Ouest : réalités et perspectives Ebola virus epidemic in West Africa: facts and prospects Rapp Christophe

Copyright © 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 27/12/2016.

Service des maladies infectieuses et tropicales, hoˆpital d’instruction des arme´es Be´gin, Saint-Mande´, France Correspondance : C Rapp

doi: 10.1684/mst.2014.0400

Un constat e´difiant Plus de six mois apre`s la notification par l’Organisation mondiale de la sante´ (OMS) de cette premie`re e´pide´mie a` virus Ebola en Afrique de l’Ouest, le 23 mars 2014, le visage de cette fie`vre he´morragique virale africaine orpheline, circonscrite habituellement a` des foyers ruraux d’Afrique Centrale, s’est transforme´ en une « crise humanitaire de dimension mondiale ». A` ce jour, en de´pit d’une strate´gie de riposte connue et mise en place par l’OMS et par les diffe´rents acteurs institutionnels et humanitaires (Me´decins sans frontie`res en teˆte), le constat est alarmant : la situation e´pide´miologique n’est pas maıˆtrise´e dans les pays les plus se´ve`rement touche´s (Guine´e, Sierra Leone et Liberia), et le risque d’importation dans les pays du Nord, juge´ faible initialement, est de´sormais une re´alite´, comme en te´moigne l’acce´le´ration du rythme des e´vacuations sanitaires par voie ae´rienne de personnels de sante´ internationaux depuis cet e´te´. Apre`s une phase d’inertie et d’impuissance pour de nombreux E´tats et institutions internationales, l’ampleur de la trage´die humaine et les conse´quences e´conomiques attendues ont conduit l’OMS a` qualifier cette e´pide´mie de maladie a` virus Ebola d’urgence de sante´ publique de porte´e internationale au titre du Re`glement sanitaire international (RSI 2005) le 8 aouˆt 2014. Depuis lors, de nombreux acteurs se sont mobilise´s, les annonces politiques se multiplient, la dernie`re en date e´tant l’adoption le 18 septembre 2014 de la re´solution 2177 par le conseil de se´curite´ des Nations unies. Sur le terrain, malgre´ l’engagement des soignants, les insuffisances sont criantes et la mate´rialisation de l’aide internationale tarde a` venir. Afin de mieux comprendre l’ampleur de la proble´matique, revenons sur la gene`se de l’e´pide´mie actuelle (figure 1). L’e´picentre de l’e´pide´mie a e´te´ identifie´ en Guine´e, ou` le cas index, un enfant de 2 ans de´ce´de´ en de´cembre 2013 a` Me´liandou (pre´fecture de Gue´cke´dou) a e´te´ confirme´ a posteriori. L’e´pide´mie s’est ensuite propage´e a` la faveur de soins non prote´ge´s ou de rites fune´raires dans des villages voisins, puis a touche´ des centres urbains comme Conakry, la capitale de la Guine´e.

La particularite´ de cette e´pide´mie est la diffusion a` plusieurs pays voisins : la Sierra Leone en mai, le Liberia en juin (en traversant les frontie`res terrestres), le Nigeria (par l’interme´diaire d’un seul voyageur ae´rien) et le Se´ne´gal (par l’interme´diaire d’un voyageur arrive´ par voie terrestre). Le virus a` l’origine de cette e´pide´mie a e´te´ identifie´ par l’e´quipe du Centre national de re´fe´rence sur les fie`vres he´morragiques virales de Lyon (Institut Pasteur) : il s’agit de l’espe`ce Zaı¨re. Selon le dernier bilan de l’OMS, 7 157 cas ont e´te´ notifie´s entre le 30 de´cembre 2013 et le 30 septembre 2014, dont 3 300 de´ce`s. Parmi eux, figurent pre`s de 7 a` 8 % de personnels soignants qui e´taient en premie`re ligne dans les centres de traitement Ebola (CTE). Ces estimations minorent probablement la re´alite´ du nombre de cas et de de´ce`s. Dans les re´gions touche´es, de nombreux patients n’ont pas eu acce`s aux centres de soins et circulaient dans les communaute´s ; la majorite´ des de´ce`s inexplique´s y ont e´te´ inhume´s sans diagnostic e´tiologique.

Des obstacles nombreux L’ampleur de l’e´pide´mie actuelle ne s’explique pas par une virulence ou des caracte´ristiques de transmissibilite´ particulie`res de ce virus Ebola. La dure´e d’incubation, le taux de reproduction R01 (entre 1,5 et 2), la pre´sentation clinique et la le´talite´ estime´e a` 70 % ne diffe`rent pas de celles constate´es lors des e´pide´mies pre´ce´dentes de maladie a` virus Ebola. Parmi les principaux facteurs a` l’origine de la propagation exponentielle de l’e´pide´mie qui, selon les experts, pourrait atteindre au total plus de 20 000 cas a` la fin de l’anne´e 2014, il faut citer : – d’une part, les caracte´ristiques des populations touche´es : populations pauvres, denses et mobiles, avec de nombreux e´changes transfrontaliers, – d’autre part, la fragilite´ des syste`mes de sante´ avec un manque d’infrastructures (hoˆpitaux, laboratoires)

1 R0, le taux de reproduction : nombre de cas secondaires ge´ne´re´s par un cas index au sein d’une population susceptible.

Pour citer cet article : Rapp C. E´pide´mie a` virus Ebola en Afrique de l’Ouest : re´alite´s et perspectives. Med Sante Trop 2014 ; 24 : 229-231. doi : 10.1684/mst.2014.0400

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C. RAPP

Gam bia

Senegal

Guinée Bissau

Guinée TELIMELE

PITA

Mali

SIGUIRI

KONADOUGU

KOUROUSSA

DABOLA

BOFFA FRA H H Conakry

KOINADUGU

L KAMBIA

KOSSIDOUGOU BOMBALI

Freetown

PORT LOKO

GUEOCEDOU L H KOND

TONKOUU

MACENTA

H H L H

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MOYAMBA BO

Sierra Leone

LOFA NZEREKORE

L H KAILAHUN KENEMA

YOMOU

BONTHE PUJEHUN

GRAND CAPE MOUNT MONTSERRADO BOMI

Monrovia

Côte d’lvoire BONG

NIMBA

MARGIBI

H L

GRAND BASSA RIVERCESS

Libéria H

CTE

L

Laboratoire de terrain

L

Laboratoire national Capitale nationale

N

W

Pas de transmission active du virus Régions avec cas confirmés et probables Régions avec cas suspects

E

S

0

25

50

100 miles

0

37.5

75

150 kilomètres

Figure 1. E´pide´mie de maladie a` virus Ebola en Afrique de l’Ouest (CDC adapte´ InVS). Figure 1. Ebola virus epidemic in West Africa (CDC).

et de ressources humaines (agent de sante´, me´decins, hygie´nistes, e´pide´miologistes, anthropologues), en particulier au Liberia ou en Sierra Leone ou` les guerres civiles et les conflits ont fait reculer la couverture sanitaire des populations, – enfin, l’inertie des re´ponses locales et internationales, incapables de mettre en place les mesures de lutte efficaces : de´pistage pre´coce et isolement des cas, prise en charge symptomatique de qualite´, enterrements se´curise´s, surveillance et suivi des contacts, mobilisation de la communaute´. Contrairement aux e´pide´mies pre´ce´dentes, la diffusion de l’e´pide´mie et l’importance du nombre de cas ont mis a` mal les capacite´s des e´tats et des ONG. Insuffisance de personnels soignants forme´s, e´puisement des stocks d’e´quipement de protection individuelle (EPI), manque de moyens de diagnostic, de de´sinfectants et de me´dicaments, sans oublier les de´boires logistiques (eau, e´lectricite´) et les proble`mes de se´curite´ des e´quipes humanitaires locales et internationales. Ces obstacles ont e´te´ majore´s par les de´cisions irrationnelles et inefficaces de certains E´tats qui, contre l’avis des autorite´s de l’OMS et de l’ONU ont ferme´ les frontie`res et les corridors ae´riens indispensables a` l’acheminement des personnels et des moyens logistiques. De fait, au cœur de l’e´pide´mie, au Liberia et en Sierra Leone, les CTE sont de´borde´s et refusent des malades qui ont recours a` des soins communautaires culturellement acceptables mais a` risque de diffusion de la maladie dans l’entourage. Les

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soignants, dont il faut saluer l’engagement, sont de´borde´s, a` l’image des e´quipes de Me´decins sans frontie`res qui avouent leur incapacite´ a` maıˆtriser l’e´pide´mie. La fatigue physique et psychique majorant ainsi le risque d’exposition au virus Ebola, comme en te´moigne le nombre croissant d’accidents d’exposition et de contaminations. Paralle`lement, la mobilisation des ressources vers les CTE fragilise les structures sanitaires classiques. La prise en charge des autres urgences infectieuses (paludisme en particulier) devient difficile, conduisant a` une perte de chance pour certains patients. Sur un plan anthropologique, de la meˆme fac¸on que pour les e´pide´mies ante´rieures, la peur des populations, le recours aux tradipraticiens et les re´actions irrationnelles sont des obstacles supple´mentaires au controˆle de l’e´pide´mie, en particulier dans le suivi des contacts.

La vulne´rabilite´ de la sous-re´gion Dans le cadre de la riposte a` l’e´pide´mie Ebola, l’OMS a mis en place une e´valuation des risques et des capacite´s a` ge´rer un cas importe´ au niveau du continent africain, en particulier en Coˆte d’Ivoire ou au Se´ne´gal, qui a accueilli a` Dakar un cas ` ce jour, importe´ de Guine´e, par voie terrestre, le 29 aouˆt 2014. A sur les quarante et un pays d’Afrique e´value´s, seuls la moitie´ disposent d’un syste`me de surveillance e´pide´miologique fonctionnel. Un tiers d’entre eux ont un protocole de prise en charge des voyageurs suspects et une capacite´ d’isolement dans un centre de´die´. Des laboratoires agre´e´s par l’OMS, susceptibles de re´aliser les diagnostics virologiques, sont re´pertorie´s dans vingt-huit pays (68 %) ; parmi eux figurent les laboratoires de l’Institut Pasteur de Dakar, d’Abidjan et de Bangui. Enfin, seuls quinze pays disposent d’un syste`me de suivi des contacts ope´rationnel.

Un risque d’importation re´el Le risque d’importation dans les pays du Nord, juge´ faible jusqu’alors pour les voyageurs par les instances internationales, est de´sormais une re´alite´ pour les soignants, avec pre`s d’une dizaine de personnels soignants humanitaires contamine´s cet e´te´ (quatre aux E´tats-Unis, deux en Espagne, un en Angleterre, un en Allemagne et un en France) et e´vacue´s vers des e´tablissements re´fe´rents des pays du Nord. Ainsi, la premie`re infirmie`re franc¸aise contamine´e au Liberia a e´te´ admise a` l’hoˆpital militaire Be´gin de Saint-Mande´ (Val-deMarne) le 19 septembre 2014 (figure 2). Ce risque devrait croıˆtre avec le de´ploiement d’un nombre de plus en plus important de personnels humanitaires des pays du Nord dans les prochains mois. De fac¸on plus inquie´tante, le premier cas importe´ chez un voyageur d’origine libe´rienne a e´te´ rapporte´ au Texas (E´-U) le 30 septembre 2014. Ce voyageur, actuellement en cours de prise en charge, fait redouter l’apparition de cas secondaires dans son entourage (famille) ou dans le service d’accueil des urgences qui l’ont pris en charge, sans e´voquer le diagnostic, a` son retour de Monrovia, le 26 septembre. Ne´anmoins, dans les pays du Nord, le niveau de vigilance et la qualite´ des syste`mes de sante´ rendent peu probable la diffusion e´pide´mique du virus Ebola dans la population ge´ne´rale. Me´decine et Sante´ Tropicales, Vol. 24, N8 3 - juillet-aouˆt-septembre 2014

Copyright © 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 27/12/2016.

Ebola en Afrique de l’Ouest

Figure 2. Biologie de´localise´e sous tente, HIA Be´gin. Figure 2. Delocalized biology under tent, HIA Be´gin.

Une mobilisation massive urgente Les donne´es e´pide´miologiques actuelles montrent que le combat sera plus rude et bien plus long que pre´vu. Est-il encore possible d’endiguer cette e´pide´mie en Afrique de l’Ouest ? Quelles actions prioritaires doivent-elles eˆtre engage´es en urgence ? Comment ame´liorer la coordination internationale ? Quels fonds sont-ils ne´cessaires pour les ONG et la compensation des pertes de revenus des E´tats touche´s ? C’est a` ces questions que doivent re´pondre les nombreux experts re´unis par l’OMS et les Nations unies ces derniers jours.

Figure 3. Centre de traitement Ebola de Donka, Conakry, Guine´e. Figure 3. Ebola treatment center of Donka, Conakry, Guinea.

Me´decine et Sante´ Tropicales, Vol. 24, N8 3 - juillet-aouˆt-septembre 2014

Pour les lecteurs de la revue Me´decine et Sante´ Tropicales, dont un grand nombre sont des acteurs de terrain, la re´ponse est e´vidente. Le controˆle de l’e´pide´mie justifie une mobilisation massive et urgente des personnels de sante´, des experts en sante´ publique et des chercheurs des pays du Nord. Dans les pays francophones, plusieurs actions comple´mentaires, en cours d’e´laboration, semblent pertinentes : – la cre´ation d’un corridor ae´rien humanitaire via le Se´ne´gal, ouvert depuis le 25 septembre, devrait permettre d’acheminer en urgence des ressources humaines, du mate´riel et des ressources alimentaires vers les zones touche´es, – le de´ploiement de moyens humains et logistiques en Guine´e (site de Macenta) devrait augmenter la capacite´ d’accueil de nouveaux patients, ame´liorer la qualite´ des soins de support et in fine diminuer la le´talite´ (figure 3), – l’appui technique au ministe`re de la Sante´ guine´en par l’envoi d’experts en sante´ publique en charge de la coordination de la riposte, – la mise a` disposition d’aides budge´taires cible´es sur le plan de riposte Ebola : investissement dans un laboratoire de se´curite´ biologique de niveau 3 (LSB 3) de l’Institut Pasteur, livraison d’EPI, – la mise en place d’une coordination europe´enne des e´vacuations sanitaires et de prise en charge hospitalie`re indispensable pour se´curiser les missions des personnels de sante´ internationaux expose´s ou infecte´s.

Des perspectives A` court terme, la mise a` disposition des the´rapeutiques innovantes et des vaccins a` large e´chelle n’est pas re´aliste. Tout au plus ces options seront-elles disponibles pour la prochaine e´pide´mie. Les espoirs fonde´s dans les traitements expe´rimentaux (anticorps monoclonaux, antiviraux, se´rum de convalescents) administre´s a` quelques personnels soignants doivent eˆtre tempe´re´s par la ne´cessite´ de mettre en place des e´tudes standardise´es. A` ce titre, l’essai the´rapeutique pilote´ par l’Inserm qui devrait eˆtre conduit en Guine´e avec le favipiravir, un antiviral oral, s’inscrit dans cette logique. Les deux candidats vaccins, cAd3-ZEBOV, de´veloppe´ par GlaxoSmithKline, et rVSV-ZEBOV, de´veloppe´ par l’Agence de sante´ publique du Canada, vont faire l’objet d’essais cliniques qui devront respecter des re`gles strictes de se´curite´ et d’e´thique. Les essais de phase II de´buteront au printemps 2015. A` long terme, l’anticipation des nouvelles e´pide´mies invite a` renforcer les syste`mes de sante´. La mise en place d’outils de surveillance e´pide´miologique, l’ame´lioration de l’hygie`ne hospitalie`re et de la se´curite´ des soins offrent des perspectives importantes en termes de formation et de coope´ration technique. Dans l’urgence, les diffe´rentes mesures de lutte e´bauche´es suffiront-elles a` casser la transmission au Liberia et en Sierra Leone ? Rien n’est moins suˆr, et il faut peut-eˆtre inventer d’autres strate´gies telles que le confinement des foyers e´pide´miques pour vaincre cette e´pide´mie. Acteurs de la francophonie, mobilisons-nous ; chaque jour, chaque minute compte.

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