Éditorial

Éditorial J. Raymond1,*, H. Haas2, E. Grimprel3,4, R. Cohen5,6,7,8 1Université Paris-Descartes, Service de bactériologie, hôpital Cochin, 2, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France 2Service de pédiatrie, CHU Lenval, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice, France 3Université Pierre-et-Marie-Curie, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France 4Service de pédiatrie, hôpital Armand-Trousseau, 26, avenue du Docteur Arnold-Netter, 75012 Paris, France 5ACTIV (Association clinique et thérapeutique infantile du Val-de-Marne), 27, rue Inkermann, 94100 Saint-Maur-des-Fossés, France 6Centre de recherche clinique (CRC) et Centre hospitalier intercommunal (CHI), 40, avenue de Verdun, 94010 Créteil, France 7AFPA (Association française de pédiatrie ambulatoire), 4 rue Parmentier, 54270 Essey-les-Nancy, France 8Unité court séjour, petits nourrissons, service de néonatologie, CHI de Créteil, 40, avenue de Verdun, 94010 Créteil, France

S

treptococcus pyogenes ou streptocoque du groupe A (SGA) est

2 cas pour 100 000 entre 2000 et 2006 à 5,7 cas pour 100 000 en

une bactérie extra-cellulaire dont le seul réservoir connu est

2007  [3], positionnant le SGA à la cinquième place des agents

l’homme. Il est responsable d’un grand nombre d’infections

pathogènes responsables de bactériémies, soit 5 % des bactériémies

dans le monde, allant d’infections bénignes (pharyngite, impétigo,

communautaires  [4]. Les dermohypodermites et les bactériémies

anite…) à des infections sévères, voire mortelles (fasciite nécrosante,

représentent 20  à 40  % des infections invasives dues au SGA. Les

septicémies et syndrome du choc toxique streptococcique), en pas-

infections ORL, ostéo-articulaires et pleuro-pulmonaires surviennent

sant par les complications immunes post-infectieuses telles que le

principalement chez des enfants de moins de 15 ans. Au Canada, une

rhumatisme articulaire aigu (RAA) ou la glomérulonéphrite aiguë. Il

augmentation de l’incidence des infections invasives à SGA a été

était classé par l’Organisation mondiale de la santé comme la neu-

observée entre 1995 et 1997, passant de 1,05 à 3,32 pour 100 000 [5].

vième cause d’infection mortelle et était responsable de 1,8 millions

Cependant, après la mise en œuvre de la vaccination contre la vari-

de nouveaux cas d’infections sévères par an et de 517 000 décès en

celle en 2006, si le nombre d’infections invasives de type fasciite a

2005  [1]. L’incidence de ces infections est plus forte dans les pays

diminué, le nombre global d’infections invasives est resté stable, en

en développement qui paient encore un lourd tribut en raison des

partie du fait de l’augmentation des infections pleuro-pulmonaires.

séquelles de RAA puisque l’on estime que près de 20  millions de

Historiquement, le typage du SGA était basé sur l’utilisation d’an-

personnes vivent avec une maladie cardiaque rhumatismale [2]. En

tisérums dirigés contre la protéine  M, antigène immunodominant

2005, 90 % des pharyngites symptomatiques, 96 % des infections

et facteur de virulence clé. Aujourd’hui, la caractérisation des

invasives graves et 97  % des décès dus au SGA se produisaient

souches est basée sur l’hétérogénéité de la séquence nucléotidique

dans ces pays. Malgré la constante sensibilité de cette bactérie aux

de la région variable  5’  du gène emm codant la protéine  M, dont

β-lactamines, une résurgence des infections sévères a été observée

225 génotypes différents ont été décrits [6]. Des études épidémio-

depuis ces 30 dernières années. En France, l’incidence des infections

logiques ont montré une variabilité géographique et socio-écono-

invasives à SGA chez l’enfant de moins de 5 ans a augmenté de 1,5 à

mique dans la distribution des génotypes emm dans les différentes régions du monde. Si les génotypes emm  1, emm  3, emm  12  et emm 28 représentent 40 % des isolats dans les pays industrialisés, ils sont beaucoup moins fréquemment retrouvés dans d’autres régions du monde  [7]. La plus grande diversité génétique des

*Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (J. Raymond).

souches isolées dans les pays en développement témoigne d’une circulation importante des souches de SGA. Certains génotypes S51

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:s51-s53

J. Raymond et al.

Archives de Pédiatrie 2014;21:s51-s53

emm sont plus souvent associés à des tableaux cliniques spéci-

tenir un résultat. Ce délai peut empêcher le clinicien de prendre une

fiques  : emm  1, emm  3  et emm  49  avec les maladies invasives  ;

décision quant à l’indication d’un antibiotique à l’issue de la consul-

emm 2, emm 4, emm 6, emm 12 avec des infections superficielles

tation, ou au contraire conduire à une prescription abusive sachant

et emm 28 avec la fièvre puerpérale et les infections périnéales de

que seulement 30 à 40 % des angines sont causées par le SGA. Les

l’enfant [8]. En France, les souches de génotype emm 1 représentent

TDR ne sont malheureusement pas assez utilisés en France dans les

20  % des souches responsables d’infections ostéo-articulaires,

angines  : alors que 9  à 10  millions d’angines sont diagnostiquées

32,7  % des souches de dermohypodermite nécrosante, 48,8  %

tous les ans en France, seulement 2  millions de TDR sont distribués

des souches responsables d’infections pleuro-pulmonaires et 41  %

par l’assurance maladie. Une méta-analyse récente rapporte une

des syndromes de choc toxique streptococcique selon les données

sensibilité moyenne des TDR de 85 % (allant de 65,6 à 96,4 %) et une

du CNR-Strep (Centre national de référence des streptocoques).

spécificité moyenne d’environ 95  % (allant de 68,7  à 99,3  %)  [14].

De même, les génotypes les plus fréquemment retrouvés chez

Toutefois, de nombreux facteurs sont susceptibles de faire varier la

l’enfant de moins de 15  ans sont les génotypes emm  1 (36,8  %),

sensibilité du TDR, en particulier l’expérience du préleveur. Dans leur

emm  12 (12,9  %) et emm  4 (9,5  %)  [9]. Cependant, la protéine  M

travail effectué au sein du groupe ACTIV, Cohen et al. concluent que

est loin d’être le seul facteur de virulence. Le SGA produit un large

la valeur prédictive négative des TDR semble suffisamment haute

répertoire de facteurs de virulence, souvent intriqués, responsables

(≈  95  %) pour écarter la présence du SGA et que l’utilisation des

des différents aspects cliniques. Parmi ces facteurs de virulence,

TDR permet de réduire la consommation d’antibiotiques d’au moins

certains favorisent l’invasion et l’adhésion (pili, protéine  M,  etc.)

30  %  [15]. D’autres utilisations inhabituelles des TDR devraient

tandis que d’autres subvertissent les défenses naturelles de l’hôte

aussi être promues. L’étude réalisée par les pédiatres d’ACTIV sur les

(résistance à la phagocytose, opsonisation des anticorps, résistance

TDR dans les infections extra-pharyngées retrouve des indices de

aux peptides antimicrobiens, inhibition du complément, action

performances diagnostiques élevés : sensibilité de 96 % (IC 95 % :

sur les neutrophiles)  [10]. Parmi ces facteurs de virulence, l’im-

92-99 %), spécificité de 81 % (IC 95 % : 75-86 %), valeur prédictive

plication des superantigènes dans les infections invasives à SGA

négative de 97 % (IC 95 % : 93-99 %), et valeur prédictive positive

reste controversée  [11]. La plupart des souches appartenant à un

de 79 % (IC 95 % : 73-85 %) [16]. Ces résultats sont comparables à

génotype emm donné partage un même profil de gènes codant des

ceux obtenus dans l’angine streptococcique. La sérologie antistrepto-

superantigènes. Un exemple est fourni par la grande variabilité des

coccique, quant à elle, manque de sensibilité et de spécificité et n’est

emm types des souches isolées de méningites dans l’étude du GPIP-

utile que pour confirmer l’étiologie streptococcique de manifestations

ACTIV [12]. Les auteurs rapportent 35 cas de méningites à SGA entre

cliniques évocatrices d’un syndrome post-streptococcique.

2001 et 2012 (0,7  % des bactéries isolées). Le génotypage effectué

Les SGA demeurent constamment sensibles aux ß-lactamines et

pour 12  souches montre une grande variété de génotypes emm  :

aux glycopeptides. Par contre, la résistance aux macrolides et aux

emm 1 (n = 4), emm 6 (n = 3), et 1 cas pour chaque emm 3, emm 12,

lincosamides varie dans le temps : elle est principalement observée

emm 28, emm 44 et emm 102 [12].

chez les souches de génotypes emm  28  et emm  11  (55  %) et en

La muqueuse oropharyngée est le principal site de colonisation du

rapport avec le gène erm (B) codant une méthylase responsable de

SGA et représente le réservoir primaire de la bactérie favorisant la

la méthylation de la cible des macrolides. Au contraire, les souches

transmission. Cette colonisation peut se compliquer de pharyngite,

porteuses du gène mef  (A) codant la synthèse d’une pompe

d’infection cutanée (de l’impétigo à l’érysipèle) ou d’infections péri-

d’efflux appartiennent majoritairement au clone génotypique

néales (anales, vulvovaginites ou balanites) [13]. Outre les atteintes

emm  4 de répartition européenne. Entre 2000 et 2006, le taux

périnéales, certaines localisations et tableaux cliniques sont très

de résistance aux macrolides chez l’enfant de moins de 15  ans en

évocateurs du SGA et ne sont malheureusement pas assez connus

France a dépassé 25  %, puis entre 2007 et 2011 il a diminué de 5,8

des cliniciens, conduisant souvent à des antibiothérapies lourdes ou

à 1,8  % comme dans d’autres pays. Cette diminution du taux de

des interventions chirurgicales inutiles : il s’agit des tournioles, des

résistance à l’érythromycine peut s’expliquer en partie par la baisse

adénites cervicales parfois très impressionnantes cliniquement, des

du nombre de prescriptions de macrolides en France depuis 2002,

rhinites croûteuses ou hémorragiques, d’otorrhées spontanées du

mais surtout par la disparition du clone résistant emm  28. Les

grand enfant. L’expression contrôlée de gènes bactériens facilite la

pénicillines orales, pénicilline  V (10  jours) et amoxicilline (6  jours)

transition entre infection superficielle et infection invasive.

représentent le traitement de référence de la plus fréquente des

Le diagnostic bactériologique des infections à SGA repose essentielle-

infections streptococciques  : l’angine. Cependant, malgré un trai-

ment sur la mise en évidence directe du SGA au niveau d’un prélève-

tement bien prescrit et bien suivi, le SGA n’est pas éradiqué dans

ment biologique soit par culture soit par recherche du polyoside C de

environ 15  à 20  % des cas, et dans une proportion moindre, les

paroi, spécifique du SGA, à l’aide d’un test de diagnostic rapide (TDR).

patients traités par pénicillines présentent à nouveau des signes

La culture nécessite un minimum de 48 heures de délai avant d’ob-

cliniques. Différentes hypothèses ont été soulevées pour expliquer

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ces échecs d’éradication et ces récidives cliniques. Elles ont conduit à proposer des traitements alternatifs dans ces situations : association amoxicilline-acide clavulanique, céphalosporines, macrolides. La gravité potentielle des infections invasives à SGA chez l’enfant nécessite leur identification précoce afin d’adapter au mieux la stratégie thérapeutique. Les ß-lactamines sont la pierre angulaire du traitement de ces infections sévères. L’association d’emblée avec la clindamycine à la posologie de 40 mg/kg/j en trois injections est recommandée en cas de fasciite nécrosante ou de signes toxiniques (éruption, troubles hémodynamiques, troubles digestifs). Durant les 20  dernières années, des avancées considérables dans la connaissance du SGA, de ses facteurs de virulence et de sa faculté à déjouer les défenses du système immunitaire inné ont été rapportées. Malgré ces progrès, les mécanismes moléculaires des syndromes post-streptococciques demeurent encore mal élucidés, et le SGA reste parmi les premières bactéries les plus pathogènes. Tous ces éléments font espérer l’arrivée d’un futur vaccin [17].

Liens d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts relatif à cet article.

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