Rec¸u le : 13 septembre 2013 Accepte´ le : 16 octobre 2013 Disponible en ligne 26 novembre 2013

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E´ditorial

Responsabilite´ du pe´diatre et signalement Liability of the pediatrician and court reporting of child abuse R. Bouveta,*,b, M. Pierrea,c, M. Le Gueuta,b a Service de me´decine le´gale et me´decine pe´nitentiaire, centre hospitalier universitaire, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, France b Faculte´ de me´decine, universite´ de Rennes 1, 2, avenue du Professeur-Le´on-Bernard, 35043 Rennes cedex, France c De´partement de me´decine de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier universitaire, 16, boulevard de Bulgarie, 35203 Rennes cedex 2, France

1. Introduction Les dernie`res de´cennies ont vu l’encadrement normatif de la me´decine croıˆtre de manie`re exponentielle. Cet encadrement est d’abord juridique, le´gislatif et re´glementaire, et aborde a` la fois des questions d’humanisme, de technique ou de conditions d’exercice de la profession : droits des malades, fin de vie, se´curite´ du me´dicament, soins psychiatriques, bioe´thique ou recherche sur la personne humaine. Paralle`lement, se de´veloppe un corpus hybride de normes techniques sans valeur impe´rative – avis, recommandations, consensus – mais non de´nue´es d’autorite´ aupre`s des praticiens. . . en attendant de connaıˆtre leur re´ception par le juge. Cette inflation de normes et l’e´cho me´diatique donne´ a` quelques affaires, en particulier en matie`re de se´curite´ sanitaire des produits de sante´, contribuent a` l’e´mergence de ce que l’on pourrait qualifier de « sentiment d’inse´curite´ » chez les me´decins. Pour autant, cette crainte de voir sa responsabilite´ recherche´e, tant sur le plan re´pressif qu’indemnitaire, n’est pas fonde´e. Une re´cente e´tude portant sur dix ans de contentieux le de´montre en estimant ce risque a` 23 requeˆtes pour 100 000 admissions a` l’hoˆpital et a` 5 requeˆtes pour 1 million d’actes re´alise´s en ville [1]. Les poursuites sont donc rares eu e´gard au volume d’actes re´alise´s et les condamnations le sont encore davantage. Outre la jurisprudence, les donne´es de sinistralite´ des compagnies d’assurance permettent d’objectiver le risque. En 2011, les 3466 pe´diatres socie´taires de la MASCF – soit environ 50 % des pe´diatres franc¸ais – ont adresse´ 22 de´clarations a` leur assureur [2]. L’essentiel de ces re´clamations, qui n’ont pas ne´cessairement conduit a` * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (R. Bouvet).

une condamnation, est de nature technique, la recherche d’une faute d’humanisme restant rare. Pour exceptionnelles qu’elles soient, ces situations n’en sont pas moins e´clairantes en termes d’e´valuation des pratiques. En te´moigne, la condamnation re´cente d’un pe´diatre libe´ral dans les suites d’un signalement judiciaire.

2. L’affaire Le signalement litigieux concernait les conditions de garde de deux enfants de 6 et 8 ans chez leur pe`re. Les enfants, entendus sans la pre´sence de leur me`re, avaient rapporte´ les faits suivants : le pe`re ne vient pas les chercher a` l’heure et il lui arrive d’eˆtre en e´tat d’e´brie´te´, ils sont expose´s a` la fume´e de cigarette, ils dorment dans une chambre qu’ils doivent ce´der a` leur pe`re et a` sa compagne le matin, ils n’ont pas de draps, les toilettes ne sont pas nettoye´es, il n’y pas de repas pre´pare´s, l’aıˆne´e des enfants a pu trouver son pe`re et sa compagne nus sur le lit, les couchers sont tre`s tardifs, le pe`re emploie devant eux un langage ordurier. Suspectant une possible maltraitance, le pe´diatre avertit l’autorite´ judiciaire. Une enqueˆte est diligente´e et le droit de visite et d’he´bergement du pe`re suspendu. Quelques semaines plus tard, le parquet classe sans suite, les faits s’e´tant re´ve´le´s inexacts. Le pe`re a alors recherche´ la responsabilite´ du pe´diatre devant le juge civil en demandant re´paration des conse´quences de cette de´nonciation qu’il estimait fautive. Il a e´galement saisi la juridiction disciplinaire de l’Ordre des me´decins, conside´rant que le pe´diatre avait manque´ a` ses obligations de´ontologiques. Par des motivations similaires, les deux juridictions ont condamne´ le pe´diatre a` raison de ce signalement pour absence fautive de prudence et de circonspection, conditions requises par le Code de la sante´ publique [3]. Le juge civil

0929-693X/$ - see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.10.019 Archives de Pe´diatrie 2014;21:1-2

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R. Bouvet et al.

comme le juge disciplinaire ont par ailleurs releve´ que les faits de´nonce´s ne constituaient pas des se´vices ou des mauvais traitements. La cour d’appel a indemnise´ le pre´judice moral subi par le pe`re d’avoir du ˆ se soumettre a` l’enqueˆte sociale a` hauteur de 1000 euros [4]. La chambre disciplinaire de premie`re instance de l’Ordre a inflige´ au praticien la sanction de l’avertissement [5].

3. Qu’en conclure pour la pratique pe´diatrique ? Tout d’abord que la faute ne re´side pas dans le fait d’avoir signale´. Il ne s’agit de remettre en cause ni le bien-fonde´ du signalement aux autorite´s judiciaires ou administratives – de´rogation le´gale au principe du secret professionnel –, ni l’immunite´ du me´decin qui le transmet [6]. Ensuite, que le signalement, potentiel de´clencheur de l’action publique, re´pond a` des exigences, parmi lesquelles la prudence et la circonspection. Le de´pistage de l’enfance en danger est inhe´rent a` la pratique pe´diatrique de ville ou hospitalie`re. Certaines situations sont dramatiquement simples – violences physiques manifestes, atteintes sexuelles – et le signalement s’impose presque me´caniquement [7,8]. D’autres situations s’appre´hendent de manie`re plus de´licate, lorsque la situation de danger ne reveˆt pas un caracte`re d’e´vidence. Le doute s’impose alors, de manie`re salutaire car il proce`de de la prudence, mais l’inte´reˆt de l’enfant doit eˆtre prote´ge´, en meˆme temps que celui de la socie´te´. C’est donc en conscience que le professionnel doit prendre sa de´cision. Dans les de´cisions commente´es, les juges ont fait grief au pe´diatre, praticien traitant des enfants informe´ du caracte`re conflictuel du divorce, de ne pas avoir cherche´ a` joindre le pe`re par te´le´phone pour s’assurer de la ve´racite´ des propos des enfants et appeler son attention sur les carences e´ducatives alle´gue´es. Conduite d’autant plus approprie´e, selon les juges, que la situation de´nonce´e ne relevait pas d’une urgence particulie`re. On pourrait discuter de la notion d’urgence et de sa relativite´, mais ces recommandations des juges nous semblent poser question a` un autre niveau. Le signalement du pe´diatre, protecteur de l’inte´reˆt de l’enfant, repose sur un doute le´gitime base´ sur des faits alle´gue´s, doute qui doit eˆtre dissipe´ par des investigations. Pour autant, il reste un professionnel de sante´ qui n’a ni vocation, ni compe´tence a` enqueˆter. La manifestation de la ve´rite´ rele`ve de l’autorite´ judiciaire et d’elle seule, le cas e´che´ant avec l’appui des services sociaux. S’assurer de la ve´racite´ des propos du tiers mis en cause n’estce-pas de´ja` outrepasser sa mission de soignant ?

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S’il ne fallait, a` notre sens, ne retenir qu’un enseignement de cette affaire, c’est que la prise en charge des situations dans lesquelles le danger ou l’urgence ne sont pas incontestables ne doit pas reposer sur un professionnel isole´. De`s lors que le doute est palpable et que des investigations non me´dicales s’imposent, l’approche multidisciplinaire est requise [7,9]. C’est le sens de la transmission d’information pre´occupante aux services de´die´s des conseils ge´ne´raux, dote´s de pouvoirs d’investigation. C’est aussi le sens d’un recours a` des confre`res spe´cialise´s, pe´diatres, le´gistes, ou pe´dopsychiatres qui apporteront un e´clairage comple´mentaire sur une situation complexe.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Remerciements Les auteurs remercient le greffe de la chambre disciplinaire de premie`re instance de l’Ordre des me´decins de Rhoˆne-Alpes de leur avoir communique´ la version inte´grale de´marque´e du jugement du 22 octobre 2009. Aides financie`res : ne´ant. Communication ou publication pre´liminaire : un commentaire juridique des de´cisions rapporte´es dans cet e´ditorial a e´te´ soumis par les auteurs pour publication a` la Revue de me´decine le´gale (accord des re´dacteurs en chef des Archives de pe´diatrie et de la Revue de me´decine le´gale).

Re´fe´rences [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9]

Laude A, Pariente J, Tabuteau D. La judiciarisation de la sante´. Paris: E´ditions de sante´; 2012. http://www.risque-medical.fr. Article R. 4127-44 du code de la sante´ publique. CA Grenoble. 25 septembre 2012, no 11/01152. Chambre disciplinaire de premie`re instance de l’Ordre des me´decins de Rhoˆne-Alpes. 22 octobre 2009, no 2009.52. Le Gueut M. Secret professionnel. In: Le Gueut M, editor. Me´decine le´gale, droit de la sante´. Paris: Ellipses; 2012. Gue´ry C. Le de´faut de protection de l’enfance par le professionnel: un nouveau de´lit ? Recueil Dalloz;. 2001;3293. Kamkar C. Concilier secret professionnel et non-assistance a` personne en danger. Droit Deontol Soin 2004;4:205–6. Instruction interministe´rielle cabinet/DGAS no 2001-52 du 10 janvier 2001 relative a` la protection de l’enfance, NOR : MESC0130021J

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