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matoires sans lien direct avec le cancer chez des patients fragiles. Une telle consultation pourrait être préconisée dans d’autres CLCC. Il serait utile d’évaluer le service rendu aux patients et à leurs cancérologues. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Legoupil D, Davaine AC, Karam A, Peu Duvallon P, Dupré D, Greco M, et al. Évaluation d’une consultation d’urgence en dermatologie. Ann Dermatol Venereol 2005;132:857—9. [2] Chen AP, Setser A, Anadkat MJ, Cotliar J, Olsen EA, Garden BC, et al. Grading dermatologic adverse events of cancer treatments: the Common Terminology Criteria for Adverse Events Version 4.0. J Am Acad Dermatol 2012;67:1025—39. [3] Mertes PM, Malinovsky JM, Jouffroy L, Working Group of the SFAR and SFA, Aberer W, Terreehorst I, et al. Reducing the risk of anaphylaxis during anesthesia: 2011 updated guidelines for clinical practice. J Investig Allergol Clin Immunol 2011;21:442—53.

M. Reigneau a,∗ , F. Granel-Brocard a , L. Geoffrois b , C. Poreaux a , D. Peiffert c , J.-F. Cuny a , A.-C. Bursztejn a , J. Waton a , J.-L. Schmutz a , A. Barbaud a a

Service de dermatologie, bâtiment des spécialités, hôpitaux de Brabois, CHU de Nancy, 6, rue du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France b Service d’oncologie médicale, institut de cancérologie de Lorraine, 6, rue de Bourgogne, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy, France c Service de radiothérapie, institut de cancérologie de Lorraine, 6, rue de Bourgogne, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Reigneau)

Rec ¸u le 13 octobre 2013 ; accepté le 3 mars 2014 Disponible sur Internet le 12 avril 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.03.002

La mesure de la marge histologique en chirurgie oncologique cutanée : un miroir aux alouettes ? Measuring the histological margin in cutaneous oncological surgery: An illusion? L’exérèse d’une tumeur cutanée maligne se fait, en chirurgie classique, en monobloc emportant la tumeur elle-même et une marge de sécurité de peau saine péri-tumorale dénommée marge chirurgicale. L’examen histologique standard de cette pièce comporte, avant inclusion en paraffine, un premier temps macroscopique qui consiste à la découper en tranches. Ces tranches de 3 à 4 mm d’épaisseur sont le

Figure 1. a et b : schéma des docteurs Thierry Clérici et Ute Zimmermann.

plus souvent obtenues par des coupes verticales perpendiculaires aux bords de la pièce opératoire (technique dite « en pain de mie » dans la littérature de langue anglaise) (Fig. 1a) et c’est le long de ces tranches que sont réalisées les coupes microscopiques de 5 microns qui seront, elles, examinées au microscope : ces coupes microscopiques sont parallèles aux coupes macroscopiques et donc également perpendiculaires à l’incision chirurgicale. Dès lors, la distance entre les bords de la tumeur et les limites latérales et profondes du prélèvement peut être mesurée en millimètres : c’est la marge histologique. Cette mesure, de plus en plus souvent mentionnée dans les comptes-rendus anatomo-pathologiques, est effectuée parfois à la demande de l’opérateur. Elle est donnée à titre indicatif et n’a aucune valeur en termes de recommandation pour la prise en charge thérapeutique (à l’inverse de la marge chirurgicale), mais elle constitue une donnée dont la pertinence n’est peut-être pas suffisamment analysée par le clinicien. Or, sous son aspect scientifique irréfutable (une mesure au 1/10 de mm, c’est sérieux !), cette pratique doit, à mon avis, être questionnée car : • l’élasticité de la peau réalise une contraction tissulaire bien visible lors du prélèvement de la pièce d’exérèse ; le formol aggrave encore cette contraction. La rétraction des tissus qui en résulte minore la marge histologique mesurée : on estime de 25 à 30 % la diminution de la marge réelle ; • l’extension infra-clinique des tumeurs cutanées malignes rend aléatoire le positionnement des coupes macroscopiques (il est toutefois recommandé de positionner une coupe macroscopique sur la zone de plus petite marge d’exérèse visible à l’œil nu sur la pièce opératoire, mais cela ne constitue pas une garantie) : le positionne-

Lettres à la rédaction ment des coupes microscopiques qui permettent cette mesure est donc lui aussi aléatoire ; • la marge histologique mesurée concerne le seul plan de coupe examiné : cette mesure est valable sur les seuls 5 microns de berges examinés — sur une pièce d’exérèse de 20 mm par exemple, si on réalise 40 coupes de 5 microns on pourra visualiser 200 microns de berges latérales et profondes, soit 1 % (200/20 000) des limites globales de la pièce opératoire. Ce 1 % n’est pas nécessairement le reflet fidèle de la marge sur les 99 % restant de la pièce d’exérèse. . . La mesure précise d’une aussi faible proportion des berges doit donc être interprétée très prudemment. Si la tumeur est très proche des berges d’exérèse, une mesure précise (par exemple 0,1 mm) est inutile, si ce n’est à titre indicatif pour alerter le clinicien : dans ce cas et sans qu’il soit besoin de mesure, le praticien sait que son exérèse est « limite » et que si la tumeur est agressive avec des critères histo-pronostiques péjoratifs (tumeur récidivante, type histologique agressif. . .), une reprise chirurgicale devra sans doute être envisagée. Si la tumeur paraît au contraire à distance des berges d’exérèse, une mesure précise est tout aussi inutile car l’information dont la pertinence est validée n’est pas la mesure de la marge histologique mais le respect, par l’opérateur, de la marge chirurgicale recommandée pour la tumeur traitée. Dans cette seconde éventualité, il convient encore de distinguer deux situations. La première est celle d’une tumeur peu agressive, comme la plupart des carcinomes cutanés que nous avons à traiter en pratique courante, d’extension tumorale infra-clinique probablement faible, avec un mode de propagation tumorale contiguë à large front (gros nodules d’un carcinome basocellulaire nodulaire par exemple). Dans ce cas, les marges chirurgicales proposées par les recommandations pour la pratique clinique sont établies sur un mode probabiliste pour obtenir 95 % d’exérèses complètes ; si ces marges chirurgicales ont été bien respectées, la probabilité que les berges d’exérèse soient envahies est quasi nulle et l’examen histologique après un échantillonnage macroscopique standard est suffisant, car le 1 % visualisé est très probablement globalement représentatif de l’ensemble des berges. La seconde situation est celle d’une tumeur agressive, dont l’extension infra-clinique probablement importante, voire très importante, peut se faire de fac ¸on anarchique, avec des extensions imprévisibles, asymétriques et irrégulièrement distribuées autour du foyer tumoral visible : la propagation tumorale par des cordons tumoraux filiformes au sein d’un stroma fibreux peut glisser sur une aponévrose ou sur un périoste ou les envahir, s’infiltrer dans des zones de fusions embryonnaires ou dans une gaine périnerveuse, parfois bien à distance du corps tumoral. Les dimensions variables et imprévisibles de cette extension justifient des marges d’exérèse larges, mais ces dernières ne garantissent pas pour autant une exérèse complète si le contrôle histologique est réalisé selon l’examen macroscopique standard : la visualisation de 1 % des berges d’exérèse ne donne ici aucune fiabilité à la réponse « exérèse complète », comme le prouvent les récidives observées dans les formes primitives de carcinome basocellulaire sclérodermiforme ou micronodulaire, de carcinome épidermoïde desmoplas-

379 tique, de carcinome annexiel microkystique, de mélanome de Dubreuilh non invasif, de léiomyosarcome superficiel ou de dermatofibrosarcome, et plus encore dans leurs formes récidivantes. La mesure d’une marge histologique éventuellement large, par exemple 3 mm, peut donner un sentiment de sécurité bien trompeur. Certains foyers tumoraux résiduels peuvent ne pas être détectés. Les récidives après exérèse dite complète en histologie standard sont en réalité le plus souvent des récidives à partir de ces foyers tumoraux non visualisés. Dans ces tumeurs agressives, le contrôle microscopique de la totalité des berges est donc indispensable : c’est le principe de la chirurgie micrographique, qui associe un contrôle microscopique au repérage topographique d’éventuels foyers tumoraux résiduels. La marge chirurgicale est ainsi adaptée à l’extension réelle de la tumeur afin de réaliser une exérèse réellement complète en une ou, si nécessaire, plusieurs étapes. La visualisation de la totalité des berges ne se fait pas en multipliant les coupes perpendiculaires (4000 coupes de 5 microns pour 20 mm. . .) mais en plac ¸ant les coupes, macroscopiques et microscopiques, sur un plan parallèle aux lignes d’incision chirurgicale (Fig. 1b). Dès lors, avec seulement quelques coupes la totalité des berges d’exérèse peut être examinée. L’exérèse complète est obtenue lorsque l’ensemble des limites ainsi examinées sont saines. Soulignons que ces plans de coupe parallèles aux lignes d’incision chirurgicale ne permettent pas de déterminer une marge d’exérèse, mais seulement de répondre par oui ou par non : berge tumorale ou berge saine. Le concept de marge histologique, au sens d’une distance entre l’incision chirurgicale et les bords de la tumeur, ne peut pas s’appliquer ici car cette distance reste inconnue après une chirurgie micrographique : l’objectif n’est pas d’obtenir une marge mais une exérèse complète. De telles coupes macroscopiques parallèles à l’incision chirurgicale peuvent être pratiquées par l’anatomopathologiste sur une pièce d’exérèse chirurgicale standard. Cette technique est utilisée de longue date par Breuninger et al. en Allemagne, plus récemment en France sous le nom de « technique verticale modifiée ». Enfin, trois points doivent être soulignés : • le caractère prédictif de la mesure de la marge histologique vis-à-vis du risque de récidive repose sur une seule étude rétrospective de Dixon et al. [1] : les caractéristiques cliniques et histologiques de 30 carcinomes basocellulaires (CBC) récidivants ont été comparées rétrospectivement à 74 CBC non récidivants ; 60 % des CBC récidivants avaient une berge d’exérèse envahie par la tumeur lors de l’exérèse initiale contre seulement 10 % des CBC non récidivants : il s’agissait donc ici clairement d’exérèses incomplètes qui auraient dû être reprises. Dans les 40 % restant, soit 12 CBC, la marge histologique était de 0,3 mm versus 0,8 mm pour les CBC non récidivants, différence considérée comme statistiquement significative dans l’article. . . ce qui laisse perplexe étant donné la faible taille de l’échantillon. Par ailleurs, des marges aussi étroites indiquent clairement qu’une marge chirurgicale de sécurité n’avait sans doute pas été appliquée à l’époque, ce qui ne correspond pas aux pratiques actuelles respectant les recommandations émises pour la prise en charge chirurgicale des carcinomes ;

380 • cette marge histologique mesurée en millimètres crée pour certains une confusion avec la marge chirurgicale : il n’est pas rare de voir des reprises chirurgicales effectuées sur des tumeurs d’exérèse complète mais dont la marge histologique, par exemple 2 mm, ne correspondait pas à la marge chirurgicale recommandée de 5 mm, d’où une reprise chirurgicale inutile de 3 mm de peau supplémentaire ; • nos collègues pathologistes doivent parfois ressortir les lames pour effectuer cette mesure à la demande du clinicien, ce qui constitue un travail supplémentaire inutile. Une mention telle que « marge très étroite » pourrait peut-être remplacer la mesure pour alerter le clinicien. En définitive, bien plus que la mesure de la marge histologique, il est important de choisir des modalités chirurgicales adaptées à la gravité de la tumeur. Les critères qui permettent d’évaluer cette gravité sont connus : ils ont présidé à l’élaboration des recommandations pour la prise en charge des carcinomes basocellulaires et épidermoïdes cutanés. Ils sont cliniques (taille, localisation et caractère primitif ou récidivant) et anatomo-pathologiques (par exemple sclérodermiforme pour un CBC). Cette évaluation pré-opératoire reste sans doute perfectible mais permet de différencier, d’une part, des tumeurs peu agressives, requérant une exérèse classique avec les marges recommandées et un examen histologique standard ; et, d’autre part, des tumeurs agressives, pour lesquelles il faut préférer une chirurgie micrographique avec des marges adaptées « sur mesure », associée à un contrôle histologique exhaustif des limites pour une exérèse réellement complète. Notons qu’ici la tumeur elle-même doit être toujours analysée en coupes sériées perpendiculaires, car ces coupes permettent une mesure cette fois pertinente : celle de l’épaisseur tumorale, qui apparaît comme un facteur pronostique majeur, déjà

Lettres à la rédaction bien connu dans le mélanome avec l’indice de Breslow mais aussi plus récemment dans les carcinomes épidermoïdes. En conclusion, la simple possibilité de mesurer la marge histologique implique la réalisation de coupes macroscopiques perpendiculaires à l’incision chirurgicale et donc une visualisation anatomo-pathologique nécessairement incomplète des berges d’exérèse. Il est dès lors impossible d’affirmer la réalité d’une exérèse complète, qui est l’objectif du traitement chirurgical. La dimension de la marge histologique ne peut être qu’une des données de l’évaluation de cet objectif et doit donc être interprétée par le clinicien dans le contexte de la tumeur traitée et des marges chirurgicales utilisées. En aucun cas, cette mesure ne devrait constituer un miroir aux alouettes, un leurre aveuglant susceptible de donner un faux sentiment de sécurité à l’opérateur. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Dixon AY, Lee SH, McGregor DH. Factors predictive of recurrence of basal cell carcinoma. Am J Dermatopathol 1989;11:222—32.

J.-F. Sei 2, place André-Malraux, 78100 Saint-Germain-en-Laye, France Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 19 novembre 2013 ; accepté le 3 mars 2014 Disponible sur Internet le 8 avril 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.03.008

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