Revue des Maladies Respiratoires (2015) 32, 271—274

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CAS CLINIQUE

Mésothéliome et fièvre méditerranéenne familiale : quelle relation ? Mesothelioma and familial Mediterranean fever: A relationship? S. Challita a, A. Guerder a, M.-C. Charpentier b, M. Daher a, F. Giraud a, N. Roche a,∗ a

Service de pneumologie et soins intensifs respiratoires, groupe hospitalier Cochin Broca Hôtel-Dieu, université Paris Descartes, AP—HP, Paris, France b Service d’anatomopathologie, groupe hospitalier Cochin Broca Hôtel-Dieu, université Paris Descartes, AP—HP, Paris, France Rec ¸u le 17 novembre 2013 ; accepté le 14 juin 2014 Disponible sur Internet le 6 aoˆ ut 2014

MOTS CLÉS Fièvre méditerranéenne familiale ; Mésothéliome ; Plèvre ; Maladie périodique ; Séreuses

Résumé Introduction. — La majorité des mésothéliomes pleuraux ou péritonéaux sont liés à une exposition à l’amiante. Dans 20 % des cas aucune exposition n’est retrouvée. Une inflammation chronique des séreuses est retrouvée dans le cadre de maladies périodiques. Observation. — Nous rapportons un cas de mésothéliome pleural chez une femme libanaise, de 50 ans, sans argument pour une exposition à l’amiante mais porteuse d’une fièvre méditerranéenne familiale avec inflammations des séreuses à répétition malgré le traitement par colchicine. Discussion. — Plusieurs cas sont rapportés de mésothéliomes péritonéaux chez des patients ayant une fièvre méditerranéenne familiale. C’est le deuxième cas de mésothéliome pleural associé à une maladie périodique. Du fait de la rareté de ces deux pathologies, des publications supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir étayer l’hypothèse d’un lien de causalité. Il est donc important de rapporter les cas au cours desquels cette association est rencontrée. © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant. Pneumologie et soins intensifs respiratoires, groupe hospitalier Cochin Broca Hôtel-Dieu, site HIA du Val-de-Grâce 4eC, 74, boulevard de Port-Royal, 75005 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] (N. Roche).

http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.06.029 0761-8425/© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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S. Challita et al.

KEYWORDS Familial Mediterranean fever; Mesothelioma; Pleura; Periodic disease; Serositis

Summary Introduction. — The majority of pleural and peritoneal mesotheliomas are linked to asbestos exposure but, in around 20% of cases, no history of such exposure is found. Periodic disease is associated with recurrent serositis, which could favor the development of mesothelioma. Case report. — We report a case of pleural mesothelioma in a 50-year-old Lebanese woman, with no detectable exposure to asbestos but suffering from periodic disease (familial Mediterranean fever) with recurrent episodes of serositis. Discussion. — Many cases of peritoneal mesothelioma in patients with FMF are reported in the literature. This is the second reported case of pleural mesothelioma associated with periodic disease. Because of the low incidence of both diseases, further publications are required to support the hypothesis of a causal link. It is important, therefore, that all cases of an association of periodic disease and mesothelioma are reported. © 2014 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Abréviations EMA FMF MEFV SV 40

epithelial membrane antigen fièvre méditerranéenne familiale Mediterranean fever gene simian virus 40

Introduction Quatre-vingt pour cent des mésothéliomes pleuraux et péritonéaux sont liés à une exposition à l’amiante [1]. Dans les autres cas le mésothéliome peut être dû à d’autres expositions telles que le mica, le talc, les anhydrides, le béryllium, les radiations nucléaires, ou associé à un lymphome [1,2]. Dans un certain nombre de cas, aucune exposition n’est trouvée et deux hypothèses ont été émises. La première est une hypothèse virale liée à la contamination du vaccin de la poliomyélite par le virus simien 40 (SV40) entre les années 1957 et 1963 [3]. La seconde évoque la responsabilité d’une inflammation chronique de la plèvre et du péritoine [4]. Dans la littérature, il n’est publié qu’un seul cas de mésothéliome pleural mais plusieurs cas de mésothéliomes péritonéaux chez des patients atteints de fièvre méditerranéenne familiale (FMF), responsable d’une inflammation chronique des séreuses, sans toutefois pouvoir affirmer une liaison directe entre la FMF et le mésothéliome. Nous rapportons un cas de mésothéliome pleural chez une femme sans argument pour une exposition à l’amiante mais atteinte d’une FMF avec inflammations péritonéales à répétition malgré le traitement par colchicine.

Observation Il s’agit d’une femme d’origine libanaise, âgée de 50 ans, vivant en France depuis l’âge de 20 ans (depuis 1983), vaccinée contre la poliomyélite après l’ère du vaccin contenant le virus SV-40. Durant son enfance, elle a présenté des épisodes récidivants de douleurs abdominales avec une appendicectomie à l’âge de 9 ans et une cholécystectomie à l’âge de

Figure 1. Tomodensitométrie thoracique. Coupe axiale, montrant un épanchement pleural gauche loculé.

25 ans. Finalement, la FMF a été diagnostiquée à l’âge de 25 ans sur les critères cliniques. Un traitement par colchicine a été initié, permettant de réduire la fréquence et la sévérité des crises, avec toutefois leur persistance à intervalles de deux mois. La patiente n’a jamais présenté de crises douloureuses thoraciques compatibles avec l’hypothèse d’une inflammation pleurale chronique. En novembre 2012 est mis en évidence un épanchement pleural (Fig. 1), exsudatif, lymphocytaire contenant des cellules mésothéliales régulières. La tomodensitométrie thoracique retrouvait cet épanchement, sans plaque pleurale ou atteinte parenchymateuse. Une biopsie pleurale par thoracoscopie chirurgicale a montré un aspect évocateur de mésothéliome pleural, hypothèse confirmée par l’examen anatomopathologique du matériel biopsique. L’examen macroscopique des larges fragments obtenus en pleuroscopie a montré une plèvre épaissie de fac ¸on hétérogène. Cet épaississement nodulaire s’associait, de fac ¸on inhabituelle, à des kystes. Histologiquement les zones d’épaississement répondaient à une infiltration tumorale creusée de kystes de toute taille (Fig. 2). La prolifération tumorale et le revêtement des kystes étaient le fait de cellules mésothéliales, comme l’attestait l’expression des pancytokératines marquées par la KL1 (Immunotech), la calrétinine (Fig. 3), de WT1, l’absence d’expression de l’ACE et de CD15. Le

Mésothéliome et fièvre méditerranéenne

273

Discussion

Figure 2. Aspect de la plèvre tumorale renfermant des cavités kystiques (flèches épaisses). Plèvre normale : flèche fine. Coloration hématoxyline-éosine, ×5.

Figure 3. Prolifération tumorale constitué de cellules mésothéliales exprimant des pancytokératines et la calrétinine (Dako, DAKcalret-1). ×20.

diagnostic de mésothéliome a été confirmé par le groupe Mésopath. Un interrogatoire approfondi a été mené, sans trouver aucune exposition documentée à l’amiante : enfant, elle habitait dans une région rurale au sud du Liban puis, arrivée en France, elle a habité un studio de la Cité Universitaire de Paris pendant 5 ans puis dans un appartement neuf et enfin dans un bâtiment construit en 1988. Elle a travaillé comme institutrice dans une école à Paris. Aucun cas d’exposition documentée à l’amiante, de mésothéliome ou d’autre pathologie liée à l’amiante n’a été diagnostiqué chez un membre de sa famille jusqu’à la date de l’écriture de ce texte. Aucun membre de la famille proche de la patiente n’est diagnostiqué avoir une fièvre méditerranéenne familiale. La décision de la réunion de concertation pluridisciplinaire de pneumologie et oncologie thoracique a été de proposer une chimiothérapie comprenant pemetrexed et platine. Le traitement par colchicine a été poursuivi. Après 6 cures de chimiothérapie, il a été constaté une régression partielle du mésothéliome conduisant à une suspension de la chimiothérapie, reprise récemment en raison d’une progression après un intervalle libre de plusieurs mois. Notons que, durant les périodes sous chimiothérapie, la patiente n’a pas présenté de poussée de maladie périodique.

Les manifestations thoraciques de la FMF sont fréquentes et bien connues. Elles incluent les pleurites inflammatoires, les pneumopathies infectieuses à répétition, l’amyloïdose pulmonaire, les thromboembolies, la protection contre l’asthme et les manifestations pulmonaires des vascularites [14]. Les groupes de recherches israéliens et turcs spécialement concernés par la FMF n’ont pas pu jusqu’à maintenant trancher sur un lien de causalité avec le mésothéliome, en raison du très faible nombre de cas rapportés [5]. La FMF est une maladie périodique autosomale récessive, de grande prévalence chez les habitants du bassin méditerranéen. Elle se manifeste par des poussées inflammatoires et douloureuses au niveau des séreuses (péritonite, pleurite et synovite) [6]. La mutation du gène Mediterranean fever gene (MEFV), qui se trouve sur le chromosome 16, est responsable de la maladie. Ce gène est responsable du codage de la protéine pyrin qui a un rôle anti-inflammatoire [1]. Cette mutation est responsable de la sérite inflammatoire avec prolifération mésothéliale subaiguë ou chronique [2]. Concernant les risques liés aux inflammations chroniques des séreuses, plusieurs cas de cancers ont été rapportés dans la littérature, le plus illustratif étant celui d’un mésothéliome chez un patient ayant une diverticulose avec diverticulite récidivante [4]. Plusieurs cas de mésothéliomes péritonéaux et un cas de mésothéliome pleural ont été décrits dans la littérature chez des patients ayant une FMF sans exposition à l’amiante (Tableau 1). L’hypothèse d’une relation causale entre la fièvre méditerranéenne familiale et le cancer peut être envisagée car : • l’inflammation chronique des séreuses pourrait favoriser les néoplasies à leur niveau, comme le suggère le cas publié de mésothéliome digestif chez un patient ayant de fréquentes poussées de diverticulite [4] ; • alors que la localisation thoracique des mésothéliomes est la plus fréquente dans la population générale, les mésothéliomes péritonéaux sont plus fréquents chez les patients ayant une FMF. Cette différence peut être expliquée par le fait que l’inflammation péritonéale (sérite) est présente chez 95 % des patients ayant une FMF [11] alors que l’inflammation pleurale n’est présente que chez 30 % de ces patients [12]. Dans notre cas, alors que la patiente présentait des crises de douleurs exclusivement abdominales, la localisation du mésothéliome est pleurale. Des poussées inflammatoires pleurales infracliniques ne peuvent pas être éliminées. Dans cette hypothèse, bien qu’il n’y ait pas de lésion inflammatoire visible sur la plèvre actuellement tumorale, les kystes observés peuvent être les témoins de phénomènes inflammatoires guéris mais responsables d’invaginations pleurales ; • le gène MEFV est un suppresseur oncogénique. Sa mutation pourrait donc favoriser le développement de néoplasies. Toutefois, le registre des cancers Israélien ne constate aucune augmentation du risque de néoplasie chez les patients ayant une FMF [1] ; • ce même registre et le centre médical de recherche Heller Institute of Medical Research ont conclu qu’une relation semble exister entre ces deux maladies, mais que l’existence et la confirmation de ce lien nécessite plus de preuves [1].

274 Tableau 1 familiale.

S. Challita et al. Cas de mésothéliome rapportés dans la littérature chez des patients atteints de fièvre méditerranéenne

Auteurs

Année

Âge du patient

Siège du mésothéliome

Type Histologique

Exposition amiante

Survie

Hershcovici et al. [7]

2006

Patient 1 : homme de 61 ans Patient 2 : femme de 38 ans

Patients 1 et 2 : péritonéal

Patients 1 et 2: épithélioïde

Non

Non mentionnée

Bani-Hani et Gharaibeh [8]

2005

Homme de 49 ans

Péritonéal

Non mentionné

Non

13 mois

Belange et al. [2]

1998

Homme de 60 ans

Péritonéal

Épithélioïde

Non

2 mois

Gentiloni et al. [9]

1997

Homme de 39 ans

Péritonéal

Épithélioïde

Non

6 mois

Chahinian et al. [10]

1982

Homme, âge non mentionné

Péritonéal

Non mentionné

Non

Non mentionné

Livneh et al. [1]

1999

Femme de 75 ans ayant une polyarthrite rhumatoïde

Pleural

Non mentionné

Non

3 mois

Il existe d’autres particularités dans notre cas. Durant la chimiothérapie (6 cures sur une durée de 5 mois, très supérieure au délai habituel entre les poussées de FMF), la patiente n’a présenté aucune manifestation de sa FMF. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette observation ; la première est un effet des corticoïdes [13] qui ont dû être administrés (pendant de très courtes périodes) dans un but anti-émétisant, la deuxième est l’effet anti-prolifératif de la chimiothérapie. Une autre particularité tient aux caractéristiques anatomopathologiques associant mésothéliome malin de type épithélioïde et plages kystiques, aspect non décrit à ce jour chez des patients atteints de FMF. En ce qui concerne les limites de cette observation, nous n’avons pas effectué de lavage bronchiolo-alvéolaire pour éliminer la présence d’amiante, en raison d’un état respiratoire précaire durant son hospitalisation. Toutefois, aucune fibre n’a été mise en évidence sur les prélèvements thoracoscopiques. Par ailleurs, le diagnostic de FMF a été posé chez elle durant les années 1980, avant que les tests génétiques soient disponibles.

Conclusion Le mésothéliome pleural n’est pas reconnu actuellement comme une complication de la FMF. Le sera-t-il un jour ? Du fait de la rareté de ces deux pathologies, des publications supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir étayer cette hypothèse. Il est donc important de rapporter tous les cas au cours desquels cette association est rencontrée.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Livneh A, Langevitz P, Pras M. Pulmonary associations in familial Mediterranean fever. Curr Opin Pulm Med 1999;5:326—31. [2] Belange G, Gompel H, Chaouat Y, et al. Mésothéliome péritonéal malin survenant au cours d’une maladie périodique : à propos d’un cas. Rev Med Intern 1998;19:427—30. [3] Sari´ c M, Curin K, Varnai VM. The role of polio-vaccine in pleural mesothelioma — an epidemiological observation. Coll Antropol 2008;32:479—83. [4] Riddell RH, Goodman MJ, Moossa AR. Peritoneal malignant mesothelioma in a patient with recurrent peritonitis. Cancer 1981;48:134—9. [5] Lidar M, Pras M, Langevitz P, et al. Thoracic and lung involvement in familial Mediterranean fever (FMF). Clin Chest Med 2002;23:505—11. [6] Livneh A, Langevitz P, Zemer D, et al. The changing face of familial Mediterranean fever. Semin Arthritis Rheum 1996;26:612—27. [7] Hershcovici T, Chajek-Shaul T, Hasin T, et al. Familial Mediterranean fever and peritoneal malignant mesothelioma: a possible association? Isr Med Assoc J 2006;8:509—11. [8] Bani-Hani KE, Gharaibeh KA. Malignant peritoneal mesothelioma. J Surg Oncol 2005;91:17—25. [9] Gentiloni N, Febbraro S, Barone C, et al. Peritoneal mesothelioma in recurrent familial peritonitis. J Clin Gastroenterol 1997;24:276—9. [10] Chahinian AP, Pajak TF, Holland JF, et al. Diffuse malignant mesothelioma. Prospective evaluation of 69 patients. Ann Intern Med 1982;96:746—55. [11] Ben-Chetrit E, Levy M. Familial Mediterranean fever. Lancet 1998;351:659—64. [12] Lidar M, Livneh A. Familial Mediterranean fever: clinical, molecular and management advancements. Neth J Med 2007;65:318—24. [13] Ozturk MA, Kanbay M, Kasapoglu B, et al. Therapeutic approach to familial Mediterranean fever: a review update. Clin Exp Rheumatol 2011;29:S77—86. [14] Wirtz G, Andrès E, Kessler R. Atteintes thoraciques de la fièvre méditerranéenne familiale : revue de la littérature. À propos d’un cas Rev Pneumol Clin 2009;65:313—7.

[Mesothelioma and familial Mediterranean fever: A relationship?].

The majority of pleural and peritoneal mesotheliomas are linked to asbestos exposure but, in around 20% of cases, no history of such exposure is found...
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