Table ronde Myocarde (FCPC)

Fonction myocardique et pathologie endothéliale dans la drépanocytose M. de Montalemberta*, M. Kossorotoffb, D. Bonnetc aService

de Pédiatrie Générale et Centre de la Drépanocytose de l’hôpital Universitaire Necker-Enfants Malades, AP-hP ; Université Paris Descartes. 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France bService de Neurologie Pédiatrique et Stroke Centre de l’hôpital Universitaire Necker-Enfants Malades, AP-hP, France cUnité M3C de l’hôpital Universitaire Necker-Enfants Malades, AP-hP, Université Paris Descartes, France

L

a drépanocytose est une maladie génétique affectant un enfant sur 700 naissances en Ile-de-France, 1  enfant sur 2 000  naissances sur l’ensemble du territoire métropolitain. Elle est caractérisée par la présence d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S, qui polymérise en situation désoxygénée, ce qui réduit la déformabilité des globules rouges. Les cycles d’hypoxie et de réoxygénation induisent un processus inflammatoire et une activation de l’endothélium vasculaire. L’expression des molécules d’adhésion à la surface de l’endothélium et des globules rouges est augmentée. Ces molécules s’apparient entre elles, ce qui ralentit le flux sanguin. Les globules rouges et blancs interagissent aussi entre eux et concourent à l’obstruction vasculaire. Le processus inflammatoire est caractérisé par une hyperleucocytose (neutrophiles et monocytes) à l’état basal et un niveau élevé de cytokines circulantes. Enfin, l’hémolyse chronique libère de l’hémoglobine libre, qui se complexe avec le monoxyde d’azote (NO), qui est un médiateur majeur du tonus vasculaire (il augmente la vasodilatation, inhibe l’activation plaquettaire, régule l’expression de certaines protéines d’adhérence endothéliales). Les remaniements des parois vasculaires semblent impliquer plus particulièrement les poumons (risque d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)), les reins, et sans doute aussi le cerveau (risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) et d’infarctus silencieux) [1]. Le cœur n’est pas habituellement considéré comme un organe cible de la drépanocytose chez l’enfant. Il est toutefois fréquent de constater une cardiopathie dilatée hyperkinétique à fonction ventriculaire gauche normale du fait de l’augmentation du débit cardiaque en réponse à l’anémie chronique. Notre équipe a montré la possibilité d’ischémie myocardique, parfois dévoilée par des douleurs thoraciques atypiques, avec des observations de réponse favorable sous hydroxyurée (HU)  [2]. Globalement, l’atteinte cardiaque est sans doute sous-diagnostiquée, mais est relativement rare dans notre expérience. En revanche, l’atteinte vasculaire liée à la maladie endothéliale grève sans doute lourdement le pronostic chez l’adulte. En effet, si 98 % des enfants drépanocytaires atteignent maintenant l’âge adulte en Europe

*Correspondance : [email protected]

et aux USA, la morbidité et la mortalité restent élevées chez les adultes, avec un âge moyen au décès de 38 ans chez les hommes, 42  ans chez les femmes dans une série américaine publiée en 2013, mais reprenant des décès survenus entre 1979 et 2005 [3]. L’HTAP, les AVC, l’atteinte rénale sont parmi les principales causes de décès. Nous avons dans un premier temps cherché à savoir à partir de quel âge s’installait la dysfonction endothéliale. Nous avons mesuré par échographie la rigidité artérielle au niveau de l’artère carotide commune ; nous avons étudié dans le même temps la vasodilatation endothélium dépendante, médiée par le NO (réponse à une hyperhémie réactionnelle) (Flow Mediated Dilation, FMD) et celle non-endothélium dépendante (réponse à la trinitrine) au niveau de l’artère brachiale. La recherche a été menée chez 21  enfants drépanocytaires et un groupe contrôle de 23 enfants de même ethnie, AA et AS. Les patients étaient âgés en moyenne de 10 ±  3,3  ans et avaient un taux d’hémoglobine moyen de 7,6 ±  1,0  g/dL. Aucun n’était traité par HU. La vasodilatation NO induite était significativement diminuée chez les patients drépanocytaires (FMD à 5,6 ± 0,2 vs 8,0 ± 0,2, p = 0,008), alors que la vasodilatation non médiée par le NO ne différait pas entre les 2  groupes. La rigidité de l’artère carotide commune n’était pas modifiée chez les enfants drépanocytaire [4]. Nous avons récemment recherché les interactions entre les atteintes neurovasculaires (vitesse des flux artériels cérébraux au doppler transcrânien) et vasculaires périphériques (FMD de l’artère brachiale et rigidité de l’artère carotide commune ; atteinte rénale étudiée par la mesure de la micro--albuminurie), en mesurant de façon conjointe des marqueurs de la coagulation, de l’inflammation, de l’activation et de lésion endothéliale (CD34, E-selectine, P-selectine, facteur Willebrand (VWF), cellules endothéliales circulantes (CEC), VEGF, thrombomoduline). En étudiant 108 enfants drépanocytaires âgés en moyenne de 9,9 ± 3,9 ans, Kossorotoff a montré une nette augmentation de l’activation endothéliale (augmentation de la E-selectine soluble et du VWF), sans signe de souffrance (pas d’augmentation des CEC). Le taux de CD 34 + à l’inclusion est le meilleur facteur prédictif d’évènements vasculaires, qu’ils soient neurologiques ou périphériques. Cette relation forte suppose d’autres facteurs explicatifs que la

113 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):113-114

M. de Montalembert et al.

seule relation entre l’anémie et la réponse hématopoïétique, car la relation entre ces 2 facteurs n’est pas linéaire [5] Les implications thérapeutiques de ces observations sont encore à un stade préliminaire. L’hydroxyurée devrait avoir un effet protecteur, puisque cette molécule exerce un effet bénéfique à quasiment tous les niveaux de la dysfonction endothéliale, elle diminue l’hémolyse, le nombre et l’activation des leucocytes, et c’est un donneur de NO. Pour autant, aucun essai contrôlé n’étaye aujourd’hui cette hypothèse. Beaucoup d’études ont analysé le rôle des agents modificateurs du métabolisme du NO. L’administration d’arginine à des enfants hospitalisés pour crise douloureuse pourrait diminuer la durée de la douleur [6], mais ces résultats doivent être confirmés. En tout cas, aucune molécule aujourd’hui ne s’est avérée à long terme protectrice sur l’évolution de la vasculopathie chez les patients drépanocytaires. On ne sait pas non plus si les stigmates de dysfonction endothéliale sont stabilisés, améliorés, ou continuent d’évoluer pour leur propre compte chez les enfants ayant bénéficié d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques.

114

Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):113-114

Références

[1] Kato GJ, Gladwin MT, Steinberg MH. Deconstructing sickle cell disease: reappraisal of the role of hemolysis in the development of clinical subphenotypes. Blood Reviews 2007;21:37-47. [2] De Montalembert M, Maunoury C, Acar P, et al. Myocardial ischemia in children with sickle cell disease. Arch Dis Child 2004;89:359-62. [3] Lanzkron S, Caroll CP, Haywood C Jr. Mortality rates and age at death from sickle cell disease: US, 1979-2005. Public Health Rep 2013;128:110-6. [4] De Montalembert M, Aggoun Y, Niakate A, et al. Endothelialdependent vasodilation is impaired in children with sickle cell disease. Haematologica 2007;92:1709-10. [5] Kossorotoff M. Approche physiopathologique et recherche de biomarqueurs associés aux complications neurovasculaires chez l’enfant drépanocytaire. (Thèse de Sciences), Paris : Université Paris Descartes ; 2014. [6] Morris C R, Kuypers FA, Lavrisha L, et al. A randomized, placebocontrolled trial of arginine therapy for the treatment of children with sickle cell disease hospitalized with vaso-occlusive pain episodes. Haematologica 2013;98:1375-82.

[Myocardial function and endothelial dysfunction in sickle cell anemia].

[Myocardial function and endothelial dysfunction in sickle cell anemia]. - PDF Download Free
137KB Sizes 0 Downloads 12 Views