Journal des Maladies Vasculaires (2014) 39, 1—3

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ÉDITORIAL

Nouveaux anticoagulants : stop ou encore ? New anticoagulants: Stop or more? J.-P. Laroche Service de médecine vasculaire, hôpital Saint-Éloi, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France Rec ¸u le 14 octobre 2013 ; accepté le 5 d´ ecembre 2013

Depuis quelques semaines, les médias grand public se sont emparés des nouveaux anticoagulants (NOAC). Un dossier à charge, relayé par une plainte (9 octobre 2013) contre Boehringer Ingelheim, et contre l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a été déposé par les familles de quatre patients décédés alors qu’ils étaient traités par dabigatran (Pradaxa® ). Au même moment, les jeunes biologistes s’agitent, « twittent » et croient au danger des NOAC, de fac ¸on étonnante de la part de non-prescripteurs (20 septembre 2013). L’International Normalized Ratio (INR) « en danger » en est peut-être l’explication ! Rappelons qu’il a suffi d’une plainte pour un accident vasculaire cérébral (AVC) imputé à une pilule de 3e génération pour que les autorités de santé en France décident de durcir les conditions de prescriptions pour les pilules de 3e et 4e générations. L’Agence européenne du médicament (EMA) leur a donné tort depuis, et reste favorable aux pilules de 3e et 4e générations ! (10 octobre 2013). Enfin la polémique sur les statines qui seraient à l’origine de 1000 décès en France (8 octobre 2013). Cette situation a de quoi inquiéter les médecins et les patients. Les prescriptions seraient-elles illégitimes ? Utiliserions-nous des médicaments peu fiables voire à

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haut risque ? Céderions-nous à la pression de l’industrie pharmaceutique ? L’ANSM et l’EMA sont-elles en conflit ? Enfin l’exception médicale franc ¸aise fait-elle encore parler d’elle ? Toutes ces interrogations résument la situation actuelle qui, par médias interposés, laisse aux nouveaux inquisiteurs du médicament une place au soleil et met les patients dans une confusion totale avec une perte de confiance vis-à-vis du médicament et de leur médecin. Sans confiance, on ne peut traiter correctement un patient. Qu’en est-il des NOAC ? Nous ne rentrerons pas dans la querelle de l’un par rapport à l’autre, nous resterons sur un plan général. Les NOAC, prescrits à titre préventif (prévention de la maladie thromboembolique après prothèse de hanche ou de genou), et à titre curatif (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, fibrillation atriale) possèdent des AMM officielles et ont satisfait au parcours classique du médicament (études de phase 2 et 3). Dès leur mise sur le marché en France, l’ANSM [1] a pointé le risque de mésusage, risque commun aux nouvelles molécules en général. « Il existe un risque potentiel de mésusage avec les nouveaux anticoagulants en raison : • de leur nouveauté ; • des dosages différents en fonction des indications en traitement prophylactique ou curatif ;

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2 • de l’absence de surveillance biologique (pouvant impliquer une moins bonne observance et une moins bonne surveillance) • des risques hémorragiques associés à l’insuffisance rénale, aux sujets âgés et aux patients de petits poids ; • de l’élargissement possible des indications compte tenu de la facilité d’emploi des médicaments. » Chacun de ces points est logique, non discutable, ce sont de « bons conseils » qui se résument par « Ne cédons pas à la facilité ! » Les NOAC sont aussi efficaces que les autres anticoagulants oraux (HBPM/AVK) mais pas plus efficaces. Ils facilitent à la fois la vie du médecin (prescription simplifiée par rapport au relais HBPM/AVK) et celle du patient (posologie simple, pas de suivi biologique). Mais leur prescription initiale nécessite de toujours contrôler la fonction rénale et d’évaluer le risque hémorragique. Cela est obligatoire mais trop souvent ignoré. Le risque hémorragique des NOAC existe, ils ne sont pas moins à risque hémorragique que les AVK. Ils sont moins hémorragiques au niveau cérébral. Le coût des NOAC reste supérieur à celui des AVK, cela est normal pour des nouvelles molécules qui ont nécessité des essais thérapeutiques coûteux. Le développement des NOAC était aussi sous-tendu par le risque hémorragique des AVK et leur gestion hasardeuse. Il faut faire référence aux 4000 décès/an par hémorragies imputables aux AVK, aux 17 000 journées d’hospitalisation et au coût engendré par cette situation en France [2]. Il ne faut pas occulter ce point important. La France est un très mauvais élève pour le suivi des AVK et de leurs risques. Notre temps passé dans l’INR cible (TTR) est à 58 %, pour 70 % aux Pays-Bas et 72 % en Italie [3]. Ce temps passé est le reflet d’une anticoagulation maîtrisée. Cela mérite réflexion car quand l’anticoagulation est maîtrisée sous AVK, l’intérêt des NOAC diminue. Pour la France, aucun doute les NOAC ont une place. . . L’éducation thérapeutique est gravée dans le marbre de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2010. Qu’en est-il sur le terrain en 2013 ? Les NOAC répondent-ils à cette problématique ? Trop tôt pour le savoir. Le risque de décès par hémorragie sera-t-il le même que par AVK ? Nul ne le sait. L’observance sera-t-elle meilleure ? On peut le penser. Seules, les études en cours de phase 4 (les NOAC à l’épreuve de la vraie vie) répondront à ces questions. La source des polémiques actuelles est le problème de l’antidote et du suivi biologique. Les NOAC n’ont pas d’antidote et pas de suivi biologique, ces deux points sont analysés en boucle dans tous les médias. L’absence d’antidote et l’absence de suivi biologique concentrent le feu des anti-NOAC.

Le fantasme de l’antidote Jamais auparavant en médecine on ne parlait d’antidote. Aujourd’hui avec les nouveaux anticoagulants, on ne parle que de l’absence d’antidote en cas d’accidents hémorragiques. Les AVK ont un antidote, la vitamine K1 en goutte buvable et en injectable. Combien de médecins l’ont-ils utilisée un jour ? L’héparine non fractionnée possède son antidote, le sulfate de protamine, difficile à manier. Les

J.-P. Laroche héparines de bas poids moléculaires et le fondaparinux utilisés largement ne possèdent pas d’antidote et nous les utilisons chaque jour. L’aspirine, le clopidogrel, le prasugrel, le ticagrelor, tous ces antiplaquettaires sont prescrits sans antidote. Alors, il faut arrêter de critiquer les NOAC sous prétexte qu’ils n’ont pas d’antidote. La plupart des médicaments prescrits chaque jour n’ont pas d’antidote. L’antidote universel existe cependant ! C’est un antidote qui comprend : le respect des AMM, des indications, un temps de réflexion, les recommandations, l’evidence-based medicine, le bon sens clinique, une bonne connaissance du patient, de ses facteurs de comorbidité et enfin de ses souhaits. Il faut aussi de la prudence, il faut expliquer au patient notre prescription, informer le médecin traitant. Le choix éclairé entre anciens et nouveaux anticoagulants doit être la règle, nous avons l’expérience des anciens anticoagulants, un peu moins d’expérience avec les nouveaux. Voilà l’antidote parfait, alors arrêtons de fantasmer sur l’antidote et prescrivons intelligemment. Les ayatollahs des antidotes font fausse route, l’antidote comme rempart à une prescription est un leurre pour les ignorants. La demi-vie courte des NOAC explique l’absence d’antidote, même si elle ne règle pas tout.

Le fantasme du suivi biologique Avons-nous pour tout médicament prescrit un suivi biologique qui permet d’anticiper les sur- ou sous-dosages, de savoir si le patient est bien traité et s’il prend réellement son médicament ? La plupart du temps non, notamment avec les antiplaquettaires anciens et nouveaux. Les NOAC, on le sait, sont à l’origine de modification des tests de l’hémostase sans que ces modifications soient liées à leur activité anticoagulante. Ces modifications peuvent néanmoins nous renseigner sur la prise par le patient ou non de tel ou tel NOAC. Comme pour l’antidote, la demi-vie courte des NOAC justifie l’absence de suivi biologique régulier. Mais les choses avancent puisque désormais des tests dédiés aux NOAC sont disponibles en cas de surdosage ou de sous-dosage au cas par cas. Ils ne sont pas encore généralisés mais à moyen terme ils le seront probablement [4]. Le point crucial des NOAC est le traitement des hémorragies graves. Des recommandations existent à ce sujet, qui doivent être diffusées largement dans les services d’urgence [5]. Il faut cependant relativiser, les 4000 décès/an par hémorragie dus aux AVK n’ont pu être évités alors que l’antidote et le suivi biologique existaient ! Chaque fois qu’une nouvelle molécule arrive sur le marché, elle provoque des interrogations, elle suscite le doute, la méfiance, surtout lorsqu’elle va à l’encontre de nos habitudes. Il faut 5 ans pour changer d’habitude en médecine, ce qui correspond au cycle de 5 ans du développement professionnel continu (DPC). Les NOAC sont légitimement au cœur du débat médical [6,7]. Ces 5 ans sont théoriques si on se réfère aux statines, sur le marché depuis de nombreuses années et sans cesse remises en question. Ce qui est surprenant avec les NOAC, c’est la coalition de la presse toute tendance politique confondue pour les discréditer, même le Canard Enchaîné du 25 septembre 2013, journal satirique politique, participe à cette polémique. L’article parle de narcotrafiquants, d’une gabegie sans

Nouveaux anticoagulants : stop ou encore ? antidote ! Existe-t-il un lobby anti-NOAC ? Cette question mérite simplement d’être posée.

NOAC : prescription encadrée ? Toute nouvelle molécule qui a l’AMM peut être prescrite par un médecin, elle peut être demandée par le patient ou non demandée. La liberté de prescription existe encore en France. Cette liberté est un des piliers de l’exercice médical. Cependant, dans certaines circonstances, cette liberté pourrait être « aménagée ». Je fais référence à la prescription encadrée par un spécialiste de l’affection pour laquelle une nouvelle molécule est indiquée. Cette prescription une fois initiée pourrait être relayée par le médecin traitant du patient. Il ne s’agit pas de vouloir « dépouiller » le médecin traitant de certaines prescriptions mais il est souhaitable que toute nouvelle molécule majeure bénéficie de cet encadrement pendant une période probatoire avant son extension à une prescription par tout médecin. Cette démarche non consensuelle aujourd’hui mérite une discussion avec l’ANSM, la HAS et les autorités de tutelle. Un protocole de chimiothérapie est toujours initié par des oncologues et après une discussion en RCP, cela ne choque personne. Concernant la FA, la thrombose veineuse profonde, l’embolie pulmonaire, la prévention en chirurgie, ce sont dans la grande majorité des cas des spécialistes qui initient les traitements relayés secondairement par le médecin traitant. Une prescription encadrée, si on veut qu’elle soit utile, efficace et à moindre risque, devra être le fait de praticiens formés à cette prescription. Récemment, les pharmaciens ont eu le droit de faire de l’éducation thérapeutique pour les AVK, ce ne sont pas tous les pharmaciens mais uniquement ceux qui ont été formés. Autre point qui semble échapper aux médecins, prescrire un NOAC pour un patient qui part en voyage ou va résider dans un pays où l’anticoagulation classique pose déjà un problème est discutable. En cas d’hémorragie, il y aura un sur-risque qui n’est pas admissible.

NOAC stop ou encore ? Stop : si les prescriptions ne respectent pas les grands principes de toute prescription, une évidence, (indications, contre-indications). Le choc de la réalité doit nous interpeller. Encore : oui, avec une prescription encadrée mais il est certainement trop tard pour proposer ce type de prescription, il aurait fallu y penser avant ! La prescription encadrée est de plus sujet à polémique, surtout en France. Mais rien n’est définitif, le DPC, le maintien et l’amplification des

3 cliniques des anticoagulants [8], la mise en place de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) NOAC pour des cas difficiles sont autant de bonnes solutions pour que les NOAC existent en toute « sécurité », le patient devant toujours rester au centre de nos préoccupations. C’est au prescripteur de juger en permanence de sa prescription et de la remettre en question si nécessaire. La confiance doit être au rendez-vous et non la suspicion permanente illégitime. Good judgment is based on experience. . . experience is based on bad judgment. Martin J Lipton. L’expérience, c’est le maître mot, cette expérience s’acquière rapidement surtout si le prescripteur possède une bonne expertise pour les affections qui justifient le traitement, même s’il s’agit d’un nouveau traitement : la prescription encadrée par l’expérience !

Déclaration d’intérêts Déclarés à la Fédération des spécialités médicales (FSM) et à la Société franc ¸aise de médecine vasculaire (SFMV).

Références [1] Les nouveaux anticoagulants oraux (pradaxa, xarelto, eliquis) : des médicaments sous surveillance renforcée - point d’information - actualisé le 09/10/2013. http://www.ansm. sante.fr [2] Les anticoagulants en France en 2012 : état des lieux et surveillance; 2012 [www.ansm.sante.fr]. [3] Wallentin L, Yusuf S, Ezekowitz MD, Alings M, Flather M, Franzosi MG, et al. Efficacy and safety of dabigatran compared with warfarin at different levels of international normalised ratio control for stroke prevention in atrial fibrillation: an analysis of the RE-LY trial. Lancet 2010;376:975—83. [4] Samama MM, Conard J, Lillo-Le Louët A. Accidents hémorragiques des nouveaux anticoagulants oraux et examens de coagulation. J Mal Vasc 2013;38:259—70. [5] Pernod G, Albaladejo P, Godier A, Samama CM, Susen S, Gruel Y, et al. [Management of major bleeding complications and emergency surgery in patients on long-term treatment with direct oral anticoagulants, thrombin or factor-Xa inhibitors. Proposals of the Working Group on Perioperative Haemostasis (GIHP) March 2013]. Arch Cardiovasc Dis 2013;106:382—93. [6] Vallancien G. La Santé n’est pas un droit. Bourin; 2007. [7] Pernod G, Elias A, Gouin I, Gaillard C, Nguyen P, Ouvry P, et al. [Questions–answers on the use of rivaroxaban for the treatment of venous thromboembolic disease]. J Mal Vasc 2012;37: 300—10. [8] Mahé I. Les cliniques d’anticoagulants en France ? Quelle utilité maintenant et à l’avenir. Rev Med Interne 2013;34:513—4.

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