© Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim, 11 : 2 1 8 - 2 2 0 ,

CAS CLINIQUE

1992

Parapl6gie apr s rachianesth6sie Paraplegia after spinal anaesthesia B. BESSAC, R. LEVY, M. CHAUVIN Service d'Anesthesie et de Reanimation, H6pital Ambroise-Pare, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne.

RESUMt6 : Chez un p a t i e n t d e 79 ans, atteint d'un cancer de la prostate, l'ostEosynth~se du col femoral a 6td effectuEe sous rachianesthEsie. Le choix d e . c e t t e technique ~tait dictE par la crainte de difficultEs d'intubation et de complications respiratoires. Alors que la disparition des blocs moteur et sensitif 6tait complete ~ la sortie de la salle de rEveil, une paraplEgie par compression mEdullaire s'installait au 4e jour. L'IRM diagnostiquait une Epidurite nEoplasique sur m6tastases vertEbrales. Ces derni~res avaient EtE rEvElEes lors d'un bilan d'extension, quelques annEes plus tEt. Parmi les mEcanismes EvoquEs, les phEnom5nes ischEmiques (malgrE l'absence de verification anatomique) semblent plus impliquEs que la fuite de liquide cEphalorachidien, rendant la responsabilitE de la rachianesthEsie incertaine. N6anmoins, malgrE la faible incidence de ce type d'accident, tout patient atteint d'une nEoplasie susceptible d'Evolutioa mEtastatique rachidienne doit 6tre considErE comme suspect de metastases vertEbrales et l'indication de la rachianesth6sie ne doit 6tre retenue qu'aprSs infirmation de cette hypothSse. Mots-clEs: ANESTHt~SIE L O C O R I ~ G I O N A L E ; ANESTHt~S1E ( T E C H N I Q U E S ) : rachianesth#sie ; C A N C E R : ~pidurite mdtastatique ; C O M P L I C A T I O N S : parapldgie ; SYSTI~ME N E R V E U X : moelle ~pini~re, compression mddullaire.

INTRODUCTION

Les complications de la rachianesthEsie sont multiples mais peu frEquentes et de mEcanisme parfois non 6lucid6. Les s6quelles neurologiques d6finitives sont exceptionnelles et souvent li6es une atteinte neurologique sous-jacente [18]. Par ailleurs, leur incidence exacte est difficile & 6valuer. Le cas rapport6 soulEve deux probl~mes : d'une part le mEcanisme d'aggravation d'une compression m6dullaire lente par la rachianesthEsie, d'autre part l'indication de cette technique chez les patients susceptibles d'en 6tre porteurs. OBSERVATION Un homme de 79 ans, pesant 80 kg et mesurant 1,70 m, est hospitalisE pour fracture du col femoral. L'interrogatoire rdvEle une intervention sur le pharynx effectuEe vingt ans auparavant avec une trachEotomie dans les suites et une pulpectomie associde a une ~estrogEnothErapie pour nEoplasie prostatique deux ans plus tEt. L'examen met en Evidence une dyspnEe inspiratoire de repos et une cicatrice de trachEostomie. La pression artErielle est de 180-90 mmHg, le pouls de 80 b . min-'. L'auscultation cardiaque revile un souffle de rEtrdcissement aortique cot6 2/6. De volumineux ~edbmes affectant les membres infErieurs sont li6s h un processus compressif du petit bassin. I1 n'y a ni signe dEficitaire neurologique ni signe irritatif

Re~u le 21 juin 1991, accept6 apr~s revision le 21 novembre 1991.

pyramidal h l'examen et le rachis est indolore, tant spontanEment qu'h la palpation. La radiographie pulmonaire objective une cardiomEgalie modErEe (rapport cardiothoracique = 0,60), des opacitEs rEticulomicronodulaires diffuses, des calcifications du bouton aortique, un Emoussement du cul-de-sac costodiaphragmatique gauche, et des images ostEolytiques costales, auxquelles seront rattachEes, /t tort, des douleurs intercostales signalEes par le patient. Sur la radiographie de bassin, il n'existe ni image de lyse osseuse ni tassements vertEbraux. L'61ectrocardiogramme montre un bloc de branche droit. L'hEmostase est normale (temps de Quick = 76 % ; temps de c6phaline active = 30 s/tEmoin = 30 s ; plaquettes = 213 G . l-l). L'hEmoglobine est "/t 6,4 mmol - 1-I (10,3 g %) et l'hEmatocrite ~ 0,32. Au terme du bilan, il est dEcidE de rEaliser une rachianesthEsie, compte tenu des problEmes Eventuels d'intubation et de l'atteinte pulmonaire. Apr~s administration de 750 ml de Ringer lactate, la rachianesthEsie est pratiquEe en position assise modifiEe de LASSAUNII~RE [6] ~ l'aide d'une aiguille de calibre 22 Gauge avec biseau lateral. La ponction de l'espace L3-L4 est unique, atraumatique, et le liquide cEphalorachidien, d'aspect ~ eau de roche ~r, a un 6coulement normal. Une injection de 15 mg de bupivacaine ~ 0,5 % sans glucose est rEalisEe, permettant d'obtenir un niveau sensitifTt0. La mise en place d'un clou-plaque de Staca est obtenue en dEcubitus lateral. En pEriode opEratoire, l'hEmodynamique est stable avec des pressions artErielles systolique et diastolique respectivement entre 120-100 et 80-60 mmHg. Le patient reqoit 750 ml de Ringer lactate, deux concentrEs globulaires et 18 mg d'EphEdrine. La tension artErielle reste stable en salle de rEveil, que le patient quitte ~i la 6 e heure, aprbs levee des blocs moteur et

Tires ~ part : B. Bessac

RACHIANESTHESIEET PARAPLEGIE

sensitif. La prevention de la maladie thromboembolique postop6ratoire est r6alis6e par une injection quotidienne de 4 200 UI anti-Xa d'6noxaparine (Lovenox ®). Au 2c jour postop6ratoire, apparaR un syndrome subocclusif et un d6ficit moteur du membre inf6rieur droit se compl6tant en parapl6gie sensitivomotrice de niveau Ts au 4e jour. L'IRM revile de multiples m6tastases au niveau des corps vert6braux dorsaux, avec notamment un envahissement corpor6al (sans tassement) et p6diculaire de Tv, ainsi qu'un envahissement 6pidural ant6rieur et lateral droit avec compression m~dullaire. Apr~s avis neurochirurgical., un traitement symptomatique par t6tracosactide (Synacth6ne Retard ®) est institu6. Ce n'est qu'ult6rieurement que l'on apprend que les m6tastases vert6brales de l'ad6nocarcinome prostatique avaient 6t6 diagnostiqu6es sur une scintigraphie pros de deux ans auparavant, ce dont le malade n'6tait pas inform6. Ce dernier d6c6dera en hospitalisation domicile, ~ la 6e semaine, d'une infection bronchopulmonaire, sans aucune r6cup6ration neurologique.

COMMENTAIRES

Les complications m6dullaires de la rachianesth6sie sont nombreuses [7], mais leur incidence es~t difficile ~ 6valuer [3, 5, 15, 19]. Une parapl6gie apr6s rachianesth6sie est un accident rare [1, 3, 5, 15, 19]. Elle peut 6tre provoqu6e par un traumatisme, une isch6mie, une contamination chimique du liquide c6phalorachidien ou l'aggravation d'une 16sion neurologique. Dans l'observation rapport6e, plusieurs m6canismes pourraient ~tre incrimin6s et s'intriquer pour entrainer une parapl6gie : 1) d6veloppement d'une arachnoidite extensive: les seuls cas d'arachnoi'dites m6dicamenteuses aux anesth6siques locaux habituellement utilis6s sont li6s h l'injection sous-arachnoidienne accidentelle de grands volumes de 2-chloroprocaine lors d'anesth6sies p6ridurales. Aucun cas n'a 6t6 signal6 avec la bupivacaine [9, 13, 14]. D'autre part, il n'existe pas d'argument pour une arachno]'dite ~ I'IRM ; 2) h6matome traumatique extensif : qu'il soit sousarachno~dien, sous-dural ou p6ridural, la symptomatologie s'installe classiquement apr~s un intervaUe libre plus ou moins long, mais I'IRM a 6galement permis d'6carter ce diagnostic ; 3) d6placement du mur post6rieur : le d6placement de la masse tumorale peut Otre la cause d'une aggravation brutale, notamment lors de l'effondrement du mur post6rieur, mais cette hypoth6se est 6galement infirm6e par I'IRM ; 4) isch6mie m6dullaire : la vascularisation intram6dullaire se fait sur un mode segmentaire terminal et, dans le cas pr6sent, l'envahissement tumoral atteignait la zone anatomique d'origine de l ' a r t 6 r e d'Adamkievicz. Plusieurs facteurs peuvent participer au d6veloppement d'une my61omalacie : majoration d'une compression vasculaire par ia tumeur ou l'ced6me p6ritumoral, striction d'une ou plusieurs art6res m6dullaires, eed~me de stase. L'entrave au glissement des m6ninges, r6alis6e par des adh6rences

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p6ritumorales, peut favoriser ces ph6nom6nes lors de la mobilisation forc6e du raEhis impos6e par la technique de ponction utilis6e [6]. Par ailleurs, ces ph6nom6nes my61omalaciques peuvent 6tre major6s par l'ath6roscl6rose, l ' h y p o t e n s i o n art6rielle, voire l'utilisation de vasoconstricteurs [10, 11, 18], malgr6 la faible sensibilit6 des vaisseaux m6dullaires aux cat6cholamines [8] ; 5 ) l a fuite de liquide c6phaiorachidien est 6galement un facteur favorisant. L'6coulement du liquide par la br~che dure-m6rienne peut provoquer des modifications de l'hydrodynamique intracanalaire responsable de l'aggravation de la souffrance m6dullaire [12], malgr6 l'emploi d'une technique cens6e minimiser la fuite de liquide c6phalorachidien [6]. Une compression m6dullaire connue, symptomatique ou non, est une contre-indication classique la rachianesth6sie. N6anmoins, une parapl6gie peut survenir au d6cours d'une anesth6sie g6n6rale [2]. Quelle attitude faut-il adopter vis-h-vis d'un risque de compression mfidullaire, ou du d6vel0ppement de m6tastases vert6brales avec 6pidurite, situation relativement fr6quente [16] ? I1 est certain que la notion de n6oplasie h potentiel m6tastatique rachidien, ainsi qu'une symptomatologie m6me fruste, mais 6vocatrice d'une compression, doivent 6veiller l'attention, inciter ~ affiner l'examen et, dans la mesure du possible, & pratiquer des examens compl6mentaires orient6s. Dans le cas pr6sent, l'association d'un cancer de la prostate et d e douleurs intercostales aurait dr5 faire 6voquer une m6tastase vert6brale, en rattachant les douleurs h u n syndrome 16sionnel et non ~ une origine costale, inspir6e par l'aspect ost6olytique radiologique [17]. Mais la crainte de difficult6s d'intubation et de complications respiratoires ont conduit ~ l'indication de la rachianesth6sie. Enfin, l'inaccessibilit6 au dossier m6dical du patient et la m6connaissance par ce dernier de l'existence de m6tastases vert6brales ont particip6 indirectement au choix de la technique.

CONCLUSION

Accident grave, une parapl6gie par compression m6dullaire apr6s rachianesth6sie reste cependant un 6v6nement rare (moins de 1 cas pour pr6s de 35 000 dans la revue de la litt6rature de KANE [5]). Dans le cas rapport6, le m6canisme intime d'installation reste obscur. L'imputabilit6 de la rachianesth6sie n'est pas certaine et l'6volution m6tastatique aurait pu 6tre identique, spontan6ment ou apr~s anesth6sie g6n6rale. N6anmoins, il est n6cessaire de faire preuve de vigilance dans l'indication de cette technique chez les patients atteints d'une n6oplasie connue ~ potentiel m6tastatique rachidien.

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B. BESSAC ET COLL.

BIBLIOGRAPHIE

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[Paraplegia after spinal anesthesia].

A case of paraplegia occurring after a spinal anaesthetic is reported. The 79-year-old man was admitted for a fractured neck of femur. Twenty years pr...
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