Communication courte

Me´decine et Sante´ Tropicales 2015 ; 25 : 107-109

Un cas de gangrène périnéoscrotale consécutive à une morsure de serpent Perineoscrotal gangrene after a snake bite: a case report Tamou Sambo B.1,2, Hodonou A.1, Youssouf M.2,3, Fatigba H.1, Allode A.1, Mensah E´.1, Chippaux J.-P.4,5 1

De´partement de chirurgie et spe´cialite´s, faculte´ de me´decine, universite´ de Parakou, 02 BP 118, Parakou, Be´nin Hoˆpital e´vange´lique de Bembe´re´ke´, Hoˆpital de zone, BP 28 Bembe´re´ke´, Be´nin 3 Service de chirurgie visce´rale A, Centre national hospitalier et universitaire, Cotonou, Be´nin 4 Centre d’e´tude et de recherche sur le paludisme associe´ a` la grossesse et l’enfance (Cerpage), Institut de recherche pour le de´veloppement (IRD), Cotonou, Be´nin 5 Unite´ mixte de recherche Me`re et enfant face aux infections tropicales, IRD, 75006 Paris Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by an anonymous user on 20/01/2017.

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Article accepte´ le 16/8/2014

Re´sume´. Les auteurs de´crivent une gangre`ne pe´rine´oscrotale survenue chez un patient a` la suite d’une morsure de serpent dont l’e´volution a e´te´ favorable apre`s un traitement par immunothe´rapie antivenimeuse polyvalente et chirurgie. Ils pre´sentent a` ce propos une bre`ve revue de la litte´rature. Mots cle´s : envenimation, ne´crose, gangre`ne pe´rine´ale, gangre`ne scrotale, serpent, Be´nin.

Key words: envenomation, necrosis, perineal gangrene, scrotal gangrene, snakebite, Benin.

Correspondance : Tamou Sambo B

L

es morsures de serpents constituent un proble`me de sante´ publique a` la fois fre´quent et important dans la plupart des pays tropicaux [1], surtout en Afrique [2] et en Asie du Sud [3], touchant particulie`rement la population pauvre [4]. Si l’incidence e´leve´e des morsures est explique´e par l’abondance des serpents et les activite´s humaines, notamment agricoles [5], la mortalite´ et les invalidite´s graves qui surviennent sont dues a` un acce`s re´duit aux structures sanitaires et a` l’inade´quation de l’offre de soins, notamment l’insuffisance de la distribution des antivenins [6]. Au Be´nin, ou` pre`s de 3 500 envenimations sont traite´es chaque anne´e par les centres de sante´ et les hoˆpitaux, le retard de consultation est responsable de complications multiples, entraıˆnant de nombreux de´ce`s et des se´quelles importantes : he´morragies, ne´croses et gangre`nes [7]. Le nord du pays est particulie`rement concerne´ avec la majorite´ des morsures de Viperidae, notamment Echis ocellatus et Bitis arietans [8]. Les auteurs rapportent un cas de gangre`ne pe´rine´oscrotale conse´cutive a` une morsure de serpent.

Observation doi: 10.1684/mst.2014.0414

Abstract. The authors describe a case of perinoscrotal gangrene in a patient who had been bitten by a snake. He was treated with antivenom immunotherapy and surgery. The outcome was good. They present a brief review of the literature regarding the epidemiological, clinical, and treatment issues.

Un homme aˆge´ de 43 ans, sans ante´ce´dent particulier, a e´te´ admis le 16 janvier 2013 dans le service de chirurgie ge´ne´rale de l’hoˆpital de zone de Bembe´re´ke´, pour ne´crose des organes ge´nitaux externes suite a` une morsure de serpent, quatre jours auparavant. Il a e´te´ mordu par un serpent au scrotum alors qu’il de´fe´quait en brousse en plein apre`s-midi. Le serpent a e´te´ tue´, mais n’a pas e´te´ amene´ pour identification. Les premiers soins ont e´te´

administre´s a` l’hoˆpital de zone de Kandi que le patient a quitte´ contre avis me´dical. A` l’entre´e a` l’hoˆpital de Bembe´re´ke´, l’e´tat ge´ne´ral e´tait satisfaisant avec une fie`vre a` 38˚ C et une pression arte´rielle de 120/70 mmHg. Localement, on observait une gangre`ne pe´rine´oscrotale limite´e au pe´rine´e et aux organes ge´nitaux externes (figure 1). Le test de coagulation sur tube sec (TCTS) e´tait normal [9]. L’he´matocrite e´tait a` 30 % et la glyce´mie a` 3,7 mmol/L. Apre`s avoir e´tabli un abord veineux, une antibiothe´rapie a` large spectre a e´te´ instaure´e. La pre´vention antite´tanique (se´rum antite´tanique e´quin) et l’immunothe´rapie (une ampoule de 10 mL d’Antivipmyn1 Afrique, laboratoire Bioclon, Mexique) ont e´te´ administre´es. L’antivenin a e´te´ renouvele´ deux jours de suite, a` raison d’une dose chaque fois. Le de´bridement de la re´gion pe´rine´oscrotale a e´te´ effectue´ le cinquie`me jour d’hospitalisation (21/01/2013), avec la mise en place d’une sonde urinaire a` demeure (figure 2). Les pansements e´taient d’abord quotidiens au bloc ope´ratoire, puis espace´s. La plaie e´tant devenue propre et les fonctions sphincte´riennes, tant rectale qu’ure´trale, normales, le patient est sorti le 06/02/ 2013 apre`s quinze jours d’hospitalisation. Les pansements ont e´te´ poursuivis a` titre externe pendant deux semaines, puis le patient a e´te´ perdu de vue, alors que la cicatrisation e´tait en bonne voie.

Commentaires La gangre`ne pe´rine´oscrotale est une affection aigue¨, rare et grave [10, 11]. Les e´tiologies se regroupent en trois cate´gories [12] :

Pour citer cet article : Tamou Sambo B, Hodonou A, Youssouf M, Fatigba H, Allode A, Mensah E´, Chippaux JP. Un cas de gangre`ne pe´rine´oscrotale conse´cutive a` une morsure de serpent. Med Sante Trop 2015 ; 25 : 107-109. doi : 10.1684/mst.2014.0414

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B. TAMOU SAMBO, ET AL.

Figure 2. Le´sion apre`s de´bridement au cinquie`me jour d’hospitalisation. Figure 2. Lesion after debridement on the 5th day of hospitalization.

soudanienne d’Afrique subsaharienne en ge´ne´ral, trois espe`ces de serpent sont susceptibles de provoquer ce type de ne´crose : Naja nigricollis [13], le cobra cracheur, Echis ocellatus [14] et Bitis arietans [15]. N. nigricollis se laisse rarement surprendre et prote`ge sa fuite rapide en crachant son venin a` distance. E. ocellatus est e´galement prompt a` s’enfuir. De plus, son venin entraıˆne un syndrome he´morragique prolonge´, ce qui n’est pas le cas chez notre patient dont le TCTS e´tait normal. Il est donc probable que l’agresseur ait e´te´ une vipe`re heurtante, B. arietans, dont le venin provoque fre´quemment une ne´crose. Bien que le serpent ait e´te´ tue´, il n’a pas e´te´ apporte´ par le patient en vue d’identification, ce qui est fre´quemment le cas. En effet, le serpent est soit de´truit, soit confie´ au the´rapeute traditionnel pour eˆtre incorpore´ au traitement. Notre patient ne nous a pas de´taille´ son parcours the´rapeutique, probablement complexe, qui l’a conduit a` consulter en premier lieu a` l’hoˆpital de Kandi, puis a` celui de Bembe´re´ke, distant de plus de 100 km du lieu ou` il a e´te´ mordu. Les hoˆpitaux – particulie`rement les hoˆpitaux confessionnels comme celui de Bembe´re´ke´ –, apparaissent souvent comme un recours ultime lorsque toutes les options the´rapeutiques – me´decine traditionnelle et centres de sante´ pe´riphe´riques – sont e´puise´es. L’hoˆpital de Kandi, bien qu’e´quipe´ d’un plateau technique important, mais de´pourvu d’antivenin, n’a semble-t-il pas re´pondu a` l’attente de notre patient. Ainsi, la consultation de notre patient a e´te´ retarde´e de quatre jours, ce qui s’est traduit par l’e´volution que nous avons de´crite et un retard significatif dans l’administration de l’antivenin. Les morsures de serpent au niveau du bassin – pe´rine´e, scrotum ou pe´nis – repre´sentent environ 1 % des cas dans cette re´gion [16 ; Chippaux, non publie´]. Outre l’absence de toilettes ou de latrines, les hommes urinent fre´quemment accroupis, ce qui explique le risque de morsure de l’appareil uroge´nital. Malgre´ le retard de consultation, l’e´volution de la gangre`ne a e´te´ favorable, comme chez d’autres patients rapporte´s dans la litte´rature [16, 17] ; cependant, contrairement au cas de´crit par Kossoko et al. [18], il n’a pas e´te´ ne´cessaire de pratiquer une ure´troplastie. Il est possible que l’immunothe´rapie, meˆme tardive, ait e´te´ be´ne´fique. On sait que l’Antivipmyn1 Afrique s’est re´ve´le´ tre`s efficace et tre`s bien tole´re´ [19], au meˆme titre que le FAV-Afrique1 (Sanofi Pasteur, France), tant sur le syndrome he´morragique que sur l’e´volution des ne´croses. Aujourd’hui, l’Antivipmyn1 Afrique est remplace´ par l’Inoserp1 Panafricain (Inosan, Mexique et Espagne), qui pre´sente les meˆmes caracte´ristiques de neutralisation et est e´galement lyophilise´. L’antivenin a pour objectif de neutraliser les enzymes du venin responsables de la ne´crose et facteur aggravant la gangre`ne. Cependant, s’il reste efficace plusieurs jours apre`s la morsure dans le traitement du syndrome he´morragique [20], ce qui justifie une administration tardive, il ne semble pas intervenir sur l’e´volution de la ne´crose et n’a pas d’inte´reˆt une fois la destruction tissulaire constitue´e. La chirurgie doit eˆtre pre´coce, pour mettre a` plat les le´sions, permettre un acce`s direct aux foyers infectieux et limiter autant que possible l’extension des le´sions [21], sous re´serve de respecter les tissus sains. La surveillance bacte´riologique est essentielle pour adapter l’antibiothe´rapie [22]. Enfin, le suivi du patient doit permettre, dans un second temps, et si cela s’ave`re ne´cessaire, une chirurgie re´paratrice comportant greffe de peau, restauration sphincte´rienne et ure`troplastie [22, 23].

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Figure 1. Ne´crose pe´rine´oscrotale a` l’arrive´e a` l’hoˆpital, quatre jours apre`s la morsure de serpent. Figure 1. Perineoscrotal necrosis on arrival at the hospital, 4 days after the snake bite.

– les gangre`nes pe´rine´oscrotales uroproctologiques, ou de « causes me´dicales », repre´sentent 56 % des cas. Les principales e´tiologies sont la maladie de Fournier, les suppurations anales, les abce`s fessiers et les ste´noses ure´trales, – les gangre`nes pe´rine´oscrotales post-traumatiques (21 %), – les gangre`nes pe´rine´oscrotales postope´ratoires (23 %) : cure de hernie de l’aine, appendicectomie, prostatectomie, orchidectomie ou cure d’he´morroı¨de. Dans la majorite´ des cas, une infection – ou une surinfection – vient grever le pronostic, particulie`rement chez un patient immunode´prime´ ou vu tardivement. Notre cas rele`verait du second groupe e´tiologique, avec cette particularite´ qu’une envenimation ophidienne en est la cause. Le venin semble avoir joue´ un roˆle primordial dans l’e´volution. Au nord du Be´nin, et dans la bande sahe´lo-

Cas de gangre`ne apre`s morsure de serpent

Conclusion Bien que rare, la morsure de serpent sur les organes ge´nitaux externes peut se compliquer de gangre`ne pe´rine´oscrotale. La prise en charge – outre l’immunothe´rapie, qui doit eˆtre institue´e le plus pre´cocement possible – est classique, et rele`ve de la re´animation me´dicale, d’une antibiothe´rapie a` large spectre mais visant particulie`rement les anae´robies, et d’une chirurgie ite´rative pour parer les le´sions. La chirurgie re´paratrice interviendra, si ne´cessaire, dans un second temps. Conflits d’inte´reˆt : aucun.

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Lac Assal, Djibouti # A. Trignol Me´decine et Sante´ Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-fe´vrier-mars 2015

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[Perineoscrotal gangrene after a snake bite: a case report].

The authors describe a case of perinoscrotal gangrene in a patient who had been bitten by a snake. He was treated with antivenom immunotherapy and sur...
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