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Lettres à la rédaction Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Ziemer M, Eisendle K, Zelger B. New concepts on erythema annulare centrifugum: a clinical reaction pattern that does not represent a specific clinicopathological entity. Br J Dermatol 2009;160:119—26. [2] Alimova E, Le Roux-Villet C, Neuville S, Dubertret L, Petit A. Érythème annulaire récidivant après angine streptococcique : érythème marginé rhumatismal de l’adulte. Ann Dermatol Venereol 2008;135:496—8.

F.-Z. Elfatoiki a,∗ , S. Chiheb a , S. Marnissi b , H. El Attar c , H. Benchikhi a a

Figure 3. patiente.

Localisation des fesses et des cuisses chez la seconde

érythémato-papuleuses annulaires apparues 24 heures plus tôt, initialement au niveau des jambes et qui remontaient progressivement vers les cuisses et les fesses. Il s’agissait de lésions érythémato-papuleuses annulaires multiples à bordure infiltrée, avec en leur centre un aspect très finement squameux post-inflammatoire (Fig. 3). Chacune mesurait 2 à 6 cm de grand axe. L’examen ORL constatait une angine érythémato-pultacée avec hypertrophie amygdalienne. La biopsie cutanée montrait un infiltrat inflammatoire périvasculaire à prédominance lymphocytaire. L’hémogramme, la vitesse de sédimentation, la CRP et la recherche d’anticorps antinucléaires et anti-ADN étaient normaux ou négatifs ; le taux d’ASLO était élevé. La patiente était traitée par ampicilline orale, 2 g/j pendant 5 jours, associée à une amygdalectomie. L’évolution était favorable, avec un recul de 12 mois sans rechute. Discussion Plusieurs diagnostics différentiels ont pu être aisément éliminés chez nos patientes : l’absence de prise médicamenteuse précédant l’éruption et l’absence de nécrose kératinocytaire en histologie n’étaient pas en faveur d’une toxidermie ; une simple urticaire annulaire n’aurait pas eu une évolution centrifuge prolongée ; on écartait de même un érythème chronique migrateur de borréliose sur l’évolution et un syndrome de Sweet sur l’aspect anatomoclinique. L’évolution, la topographie et la négativité de la recherche d’auto-anticorps ne permettaient pas de retenir un lupus érythémateux subaigu. Chez nos malades, la récidive de lésions cutanées annulaires après des épisodes d’angine streptococcique amène à évoquer un érythème marginé rhumatismal [1,2]. Toutefois, l’absence de signes généraux, d’arthralgies, de syndrome inflammatoire biologique et de complications cardiaques s’accorde mal avec ce diagnostic. En définitive, la place nosographique exacte de cette éruption récidivante poststreptococcique reste incertaine.

Service de dermatologie vénérologie, centre hospitalier Ibn Rochd, 1, quartier des Hôpitaux, 20360 Casablanca, Maroc b Service de d’anatomo-pathologie, centre hospitalier Ibn Rochd, 1, quartier des Hôpitaux, 20360 Casablanca, Maroc c Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques Moulay Idriss I, 86, boulevard My-Idriss-I, 20360 Casablanca, Maroc ∗ Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F.-Z. Elfatoiki) Rec ¸u le 24 f´ evrier 2013 ; accepté le 13 novembre 2013 Disponible sur Internet le 10 janvier 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.11.006

Dysgueusie amère aux pignons de pin Pine nut-induced bitter dysgeusia Les causes de perturbation du goût sont nombreuses et leur recherche peut s’avérer fastidieuse. Schématiquement, les dysgueusies peuvent être secondaires à une modification de la muqueuse bucco-pharyngée, à un dysfonctionnement des récepteurs gustatifs, à un dysfonctionnement de la transmission du message par les voies afférentes ou bien à un défaut d’analyse du système nerveux central. Ainsi, de nombreuses pathologies sont impliquées : infections, traumatismes, neuropathies périphériques ou centrales, maladies auto-immunes (lupus, syndrome de Goujerot-Sjögren. . .), endocrinopathies (diabète, hypothyroïdie), carences en vitamines (B2, PP, A) ou en oligo-éléments (zinc). La liste des médicaments régulièrement incriminés est longue. Des phénomènes d’électrogalvanisation liés à une incompatibilité des matériaux dentaires peuvent induire des modifications du goût le plus souvent de type « métallique ». Enfin, l’origine psychogène est également évoquée. Nous rapportons un cas de dysgueusie à type d’amertume après ingestion de pignons de pin.

Lettres à la rédaction

Figure 1.

Pignons de la variété ingérée par le patient.

Observation Un homme de 48 ans consultait pour l’apparition d’un goût amer déclenché par l’ingestion de n’importe quel aliment. La sensation était gênante et durait environ 15 minutes de fac ¸on intense. En dehors des prises alimentaires, il décrivait un goût amer discret et une sensation inhabituelle qu’il comparait à une sensation « d’anesthésie légère » du palais mou et du pharynx. Seule l’absorption d’eau ne déclenchait pas l’amertume. L’examen clinique de la cavité buccale et du pharynx était normal, ainsi que l’examen neurologique. Il ne prenait aucun médicament et n’avait pas d’antécédent traumatique ou médico-chirurgical remarquable. Il signalait des céphalées peu intenses mais sourdes et quasi permanentes depuis plusieurs semaines ; de lui-même, il avait expliqué ces céphalées par des difficultés de convergence oculaire et une presbytie débutante. L’interrogatoire permettait de découvrir l’ingestion régulière de pignons de pins selon un mode de « grignotage » depuis environ 6 mois. Habituellement, il les achetait sous forme de sachets mais quatre jours avant le début de la dysgueusie, il avait acheté au détail des pignons de pins étiquetés « bio ». Il avait remarqué que leur goût était un peu différent et leur forme plus trapue (Fig. 1). Il en a grignoté pendant deux jours une quantité difficile à évaluer mais estimée à environ 60 pignons au total, puis n’en a pas repris. Le troisième jour, il a remarqué une gêne du palais mou et du pharynx (sensation « d’anesthésie légère ») et le quatrième jour, le goût amer est apparu pour s’intensifier, à partir du cinquième jour, après chaque prise alimentaire. La dysgueusie a complètement disparu dix jours après l’arrêt de l’ingestion des pignons de pin. Quant aux céphalées, elles semblent moins importantes mais le patient n’est pas certain que cette courte période soit significative pour en tirer une conclusion. Discussion L’existence d’une dysgueusie retardée aux pignons de pins est maintenant bien établie puisqu’elle a fait l’objet de deux rapports par les agences américaine et franc ¸aise de toxicovigilance [1,2]. En France, le centre anti-poison contacté semble avoir déjà classé l’affaire dans les banalités alors que la littérature n’est finalement pas si abondante ; en particulier, nous n’avons pas trouvé d’article dans des revues dermatologiques. Il nous a paru donc intéressant de faire

221 connaître aux dermatologues francophones cette cause de dysgueusie « amère » afin d’éviter des errances diagnostiques et la multiplication des explorations para-cliniques, tout particulièrement lorsque l’ingestion de pignons de pins est régulière. Il est probablement plus facile d’identifier l’aliment responsable si la prise est occasionnelle. Aux États-Unis, 501 cas de « pine mouth syndrome » ont été répertoriés par la FDA (Food and Drug Administration) entre 2008 et 2012 [1]. En France, les premiers cas ont été signalés au même centre anti-poison à 15 jours d’intervalle en juillet 2008. Il s’agissait d’un médecin et de sa fille, d’une part, et de sept cas groupés chez des personnes fréquentant la même cantine, d’autre part [3]. Par la suite, 3403 cas symptomatiques ont été répertoriés par les centres anti-poison et de toxicovigilance (CAPTV) entre mars 2008 et janvier 2010 [2]. Il ressort de ces observations que la dysgueusie débute le plus souvent (95 % des cas) dans les trois premiers jours après l’ingestion et que la guérison survient dans les deux semaines suivantes (95 % des cas), sans séquelle. La dysgueusie était présente dans plus de 90 % des cas, à type d’amertume dans la majorité des cas mais aussi plus rarement à type de goût métallique. Des symptômes associés étaient rarement signalés (nausées = 3 % ; céphalées = 2,5 % ; diarrhées = 1,9 % ; douleurs épigastriques = 1,9 % ; vomissements = 0,7 %). La dose minimale capable de déclencher les symptômes était de deux pignons (1 g) et la médiane de dose ingérée était de 40 à 50 pignons, soit 30 g environ. Plusieurs hypothèses ont été émises sur l’origine des ces événements : contamination externe de lots des pignons par des substances chimiques, contamination fongique par une mycotoxine, effet d’une substance présente naturellement dans les pignons de pins [3]. Lorsque des échantillons de pignons de pins ont pu être recueillis auprès des patients, la recherche de substances toxiques externes, d’agents fongiques externes et de mycotoxine est restée négative [3]. Des dosages chromatographiques déterminant le profil des acides gras présents dans les pignons de pins permettent de déterminer l’origine botanique des pins [4,5]. Ces dosages ont été demandés par l’agence de sécurité sanitaire norvégienne chez plusieurs fournisseurs. Il a ainsi été établi que les pignons de pins responsables semblaient provenir de deux espèces de pins d’origine chinoise (Pinus armandii et Pinus massoniana). Ces espèces ne sont pas présentes sur la liste des espèces comestibles de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). L’agence américaine conclue que le « pine mouth syndrome » est corrélé à l’ingestion de pignons de pins provenant de Pinus armandii [1]. Par ailleurs, il semble exister une susceptibilité individuelle puisque sur les 4851 signalements d’ingestions de pignons de pins (nombre de personnes ayant partagé le même repas) enregistrés par les CAPTV franc ¸ais durant la période d’observation, seuls 3403 étaient symptomatiques, soit 70 % [2]. Si l’on reprend la conclusion du rapport de la commission national de CAPTV, il était écrit qu’il « serait opportun de diffuser une information au grand public sur les risques potentiels liés à la consommation de pignons de pins ». Nous n’avons trouvé personne dans notre entourage professionnel (en dehors du centre anti-poison) ou extra-professionnel ayant eu connaissance d’une telle alerte. Il était également écrit qu’il « serait opportun de poser la question

222 de mesures de contrôle et de gestion prises en France ; notamment en termes de limitation des importations ». La difficulté, dans le cas précis de l’importation des pignons de pin, est qu’il s’agit souvent de mélanges de pignons provenant d’espèces différentes. Tenter de différencier les pignons de Pinus armandii sur la base de critères morphologiques (ils sont plus ronds et plus courts que ceux d’autres espèces comestibles) ou de critères pondéraux (1000 graines de Pinus armandii = 250 à 390 g, alors que 1000 graines de Pinus koraiensis = 450 g) est une méthode peu sensible [6]. Aussi quelques équipes tentent-elles de mettre au point de nouvelles techniques dont il restera à évaluer le faisabilité en pratique : la spectroscopie à résonance magnétique nucléaire permet de classer les pignons de pins des différentes espèces en trois groupes ; les pignons de pins responsables de dysgueusie ont tous été identifiés dans un même groupe [7] ; une méthode de RT-PCR à la recherche d’un nucléotide spécifique de Pinus armandii permet de détecter la présence de graines de cette variété dans un mélange en contenant seulement 1 % (concentration la plus basse testée) [8]. Déclaration d’intérêts

Lettres à la rédaction [3] Flesch F, Comité de coordination de toxicovigilance. Pignons de pins et dysgueusie retardée; 2010 [http://www. centres-antipoison.net/CCTV/Rapport CCTV Pignons de pin 2010.pdf]. [4] Destaillats F, Cruz-Hernandez C, Giuffrida F, Dionisi F. Identification of the botanical origin of pine nuts found in food products by gas-liquid chromatography analysis of fatty acid profile. J Agric Food Chem 2010;58:2082—7. [5] Destaillats F, Cruz-Hernandez C, Giuffrida F, Dionisi F, Mostin M, Verstegen G. Identification of the botanical origin of commercial pine nuts responsible for dysgueusia by gas-liquid chromatography analysis of fatty acid profile. J Toxicol 2011;2011:316789, http://dx.doi.org/10.1155/2011/316789. [6] Debazac EF. Manuel des conifères. Nancy: Éd. École nationale, des Eaux et Forêts 172p; 1964. p. 86—7. [7] Kobler H, Monakhova YB, Kuballa T, Tschiersch C, Vancutsem J, Thielert G, et al. Nuclear magnetic resonance spectroscopy and chemometrics to identify pine nuts that cause taste disturbance. J Agric Food Chem 2011;59:6877—81. [8] Handy SM, Timme RE, Jacob SM, Deeds JR. Development of a locked nucleic acid real-time polymerase chain reaction assay for the detection of Pinus armandii in mixed species pine nut samples associated dysgueusia. J Agric Food Chem 2013;61:1060—6.

S. Boulinguez ∗ , M. Mularcyk , R. Viraben

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Service de dermatologie et médecine sociale, CHU La Grave, place Lange, TSA 60033, 31059 Toulouse cedex 9, France

Références

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Boulinguez)

[1] Kwegyir-Afful EE, Dejager LS, Handy SM, Wong J, Begley TH, Luccioli S. An investigational report into the causes of pine mouth events in US consumers. Food Chem Toxicol 2013;60:181— 7. [2] Flesch F, Rigaux-Barry F, Saviuc P, Garnier R, Daoudi J, Blanc I, et al. Dysgueusia following consumption of pine nuts: more than 3000 cases in France. Clin Toxicol (Phila) 2011;49:668—70.

Rec ¸u le 24 octobre 2013 ; accepté le 9 janvier 2014 Disponible sur Internet le 18 f´ evrier 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.006

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