Progrès en urologie (2014) 24, 57—61

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ARTICLE ORIGINAL

Priapisme chez l’enfant et l’adolescent drépanocytaire homozygote à Brazzaville夽 Priapism in children and adolescents homozygous sickle cell disease in Brazzaville A.R. Okoko a, A.S.W. Odzébé b,∗, E. Moyen a, G. Ekouya Bowassa a, A.P.G. Oko a, A. Mbika-Cardorelle a, P. Bozock a, H.L. Atanda a, G.M. Moyen a a b

Service de pédiatrie, CHU de Brazzaville, BP 32, Brazzaville, Congo Service de d’urologie andrologie, CHU de Brazzaville, BP 32, Brazzaville, Congo

Rec ¸u le 26 janvier 2013 ; accepté le 29 avril 2013

MOTS CLÉS Priapisme ; Drépanocytose ; Complication ; Enfants

夽 ∗

Résumé Objectifs. — déterminer la prévalence du priapisme, évaluer la connaissance et apprécier ses caractéristiques chez l’enfant drépanocytaire. Méthodologie. — Une étude cas-témoin a été réalisée au CHU de Brazzaville (service de pédiatrie, hématologie clinique et urologie). Les cas étaient constitués de 202 drépanocytaires homozygotes âgés d’au moins cinq ans. Les témoins étaient constitués de 112 enfants non drépanocytaires de même âge issu de mêmes famille que les précédents. Résultats. — Le priapisme existait chez 68 (34 %) enfants drépanocytaires, repartis en 54 cas (79,4 %) de priapisme chronique intermittent et 14 cas (20,6 %) de priapisme aigu. Dans le groupe témoin, aucun cas n’était observé (p = 0,001). Le priapisme était connu par 6 (3 %) enfants dans le groupe des drépanocytaires. Dans le groupe témoin, il était connu par 25 (22,3 %) enfants. Il était considéré dans le groupe des drépanocytaires comme une maladie quelconque : 113 enfants (56 %) ; un phénomène naturel pouvant survenir au cours de la vie : 57 enfants (28 %) ; une complication de la drépanocytose : 26 enfants (13 %). Dans le groupe témoin, il était considéré comme un phénomène naturel pouvant survenir au cours de la vie : 60 enfants (53,6 %) ; une complication de la drépanocytose : 52 enfants (46,4 %). L’âge moyen de survenu du priapisme au premier épisode était de 10,4 ± 9,5 ans.

Niveau de preuve : 5. Auteur correspondant. University hospital center, Urology, BP 2522, Brazzaville, Congo. Adresse e-mail : odzebe [email protected] (A.S.W. Odzébé).

1166-7087/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2013.04.021

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A.R. Okoko et al. Conclusion. — L’importance de la prévalence du priapisme et sa connaissance insuffisante imposent le renforcement de l’information, l’éducation et la communication des enfants et leurs parents. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Priapism; Sickle cell anemia; Complication; Children

Summary Objective. — To determine the prevalence of priapism, assess knowledge and appreciate its characteristics in childhood sickle cell disease. Methodology. — A case-control study was conducted at the University Hospital of Brazzaville (Department of Pediatrics, Hematology and Clinical Urology). The cases consisted of 202 sickle cell anemia who are at least 5 years. Witnesses consisted of 112 children with sickle cell disease not of the same age from the same family as the previous. Results. — Priapism was found in 68 (34%) affected children, divided into 54 cases (79.4%) of chronic intermittent priapism and 14 cases (20.6%) of acute priapism. In the control group no cases were observed (p = 0.001). Priapism was known by six (3%) patients in the group of children with sickle cell disease. In the control group, it was known by 25 (22.3%) children. It was seen in the group of sickle cell disease as any: 113 children (56%), a natural phenomenon that can occur in life: 57 children (28%), a complication of sickle cell disease: 26 children (13%). In the control group, it was considered a natural phenomenon that can occur in life: 60 children (53.6%), a complication of sickle cell disease: 52 children (46.4%). The average age of priapism occurred in the first episode was 10.4 ± 9.5 years. Conclusion. — The importance of the prevalence of priapism, and insufficient knowledge needed strengthening information, education and communication with children and their parents. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction Défini comme une érection prolongée douloureuse et irréductible survenant en dehors de toute stimulation sexuelle et n’aboutissant à aucune éjaculation, le priapisme est une complication de la drépanocytaire. Il existe cinq contextes génomiques ou halotypes correspondant à cinq origines différentes de la mutation identifiée dans l’histoire génétique de la maladie : haplotype araboindien, sénégalais, beninois, camerounais et bantou [1]. L’hémoglobine S s’observe aussi dans le bassin méditerranéen, aux Antilles et chez les Noirs américains suite aux migrations. La prévalence et la sévérité des symptômes sont fonction du type d’halotype et de la région géographique [2,3]. En Afrique, plusieurs études sur la prévalence et l’évaluation du niveau de connaissance du priapisme chez les enfants et adolescents drépanocytaires ont été réalisées. Au Togo [3], où sévit l’halotype beninois, la prévalence est de 23,6 % et la connaissance du priapisme a été estimée à 7 %. Au Sénégal, où sévit l’haplotype sénégalais [2], la prévalence est de 9,3 % et la connaissance de cette complication évaluée à 10,2 %. Cette étude réalisée à Brazzaville, où sévit l’haplotype bantou avait pour objectifs de déterminer la prévalence du priapisme ; d’en évaluer sa connaissance et d’apprécier les caractéristiques chez l’enfant et l’adolescent ayant une drépanocytose homozygote.

Méthodologie Il s’est agi d’une étude cas-témoin réalisée dans les services de pédiatrie, hématologie clinique et urologie du centre

hospitalier et universitaire de Brazzaville entre janvier et juillet 2010 (sept mois). Le diagnostic du priapisme était essentiellement clinique à savoir une érection prolongée douloureuse survenant en dehors de toute stimulation sexuelle. Les patients avaient été repartis en deux groupes : le groupe I ou groupe des cas était constitué de 202 enfants drépanocytaires homozygotes de sexe masculin âgés d’au moins cinq ans, recrutés parmi les drépanocytaires régulièrement suivis ; le groupe II ou groupe témoin était constitué de 112 enfants de la même tranche d’âge issues des mêmes familles que les enfants drépanocytaires et dont le tracé électrophorétique était de type AA. Le consentement éclairé des parents était exigé dans tous les cas. Aucune analyse moléculaire pour la détermination de l’halotype n’a été réalisée. La technique de collecte des données était l’interview. Les enfants étaient interrogés en présences des parents dans tous les cas. Une fiche d’enquête pré-établi recherchant les éléments suivants : • la connaissance du priapisme (savez-vous qu’est ce que le priapisme ?) ; • quelle signification donnez-vous au priapisme ? Différentes réponses étaient proposées, à savoir : une complication de la drépanocytose ? Un phénomène naturel pouvant survenir chez tout individu au cours de la vie ? Une maladie quelconque ? Un mauvais sort ? Aucune signification ; • avez-vous eu des épisodes antérieurs de priapisme ? • les caractéristiques du priapisme lorsque celui était retrouvé : ◦ âge au premier épisode, le moment d’apparition, les facteurs favorisants,

Priapisme chez l’enfant et l’adolescent drépanocytaire

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Tableau 1 Répartition des patients selon le type de priapisme.

Tableau 3 Répartition des enfants et adolescents du groupe II selon la connaissance du priapisme.

Âge

Âge (ans)

Oui

%

Non

%

Total

5—9 10—14 15—19 Total

— 2 23 25

— 1,8 20,5 22,3

15 35 37 87

13,4 31,3 33,0 77,7

15 37 60 112

5—9 10—14 15—19 Total

Type de priapisme PIC

%

PA

%

Total

26 18 10 54

38,2 26,5 14,7 79,4

6 6 2 14

8,8 8,8 2,9 20,6

32 24 12 68

% 47,1 35,3 17,6 100

PIC : priapisme intermittent chronique ; PA : priapisme aigu.

% 13,4 33,0 53,6 100

Connaissance et signification du priapisme Connaissance du priapisme Le Tableau 2 montre la répartition des enfants drépanocytaires selon la connaissance du priapisme et le Tableau 3 montre la répartition des enfants du groupe témoins selon la connaissance du priapisme.

◦ le délai de consultation, ◦ les causes de retard à la consultation, ◦ le type de priapisme.

Signification du priapisme Les données ont été traitées à l’aide du logiciel d’application statistique SPSS version 17.0. Les variables qualitatives ont été exprimées sous forme de proportion. La comparaison des proportions s’est faite en utilisant le test Chi2 . L’analyse exploratoire des données qualitatives ayant révélée des cellules contenant des effectifs inferieurs à 5, le test exact de Ficher a été utilisé pour la comparaison des proportions. Le seuil de signification de p était inférieur à 0,05.

Résultats Caractéristiques épidémiologiques de la population d’étude L’échantillon de l’étude a concerné 314 enfants : 202 enfants drépanocytaires dont l’âge moyen était de 10,4 ± 9,5 ans, extrêmes (cinq et 19 ans) et 112 enfants sains issus des mêmes familles dont l’âge moyen était de 15,3 ± 10 ans, extrêmes (cinq et 19 ans). Le priapisme a été retrouvé chez 68 enfants drépanocytaires, soit une prévalence de 34 %. Dans le groupe témoin, aucun cas n’a été retrouvé (p = 0,001). Le Tableau 1 montre la répartition des enfants par tranche d’âge et en fonction du type de priapisme.

Tableau 2 Répartition des enfants et adolescents du groupe I selon la connaissance du priapisme. Âge (ans) Savez vous qu’est ce que le priapisme

5—9 10—14 15—19 Total

Oui

%

Non

%

— 2 1 3

— 1,0 0,5 2,0

— 66 21 87

— 32,7 10,4 43,1

Total 112 68 22 202

% 55,5 33,6 10,9 100

La répartition des enfants et adolescent du groupe I selon la signification donnée au priapisme est reporté dans le Tableau 4 et du groupe II dans le Tableau 5.

Caractéristiques de la population priapique L’âge moyen au premier épisode de priapisme était de 10,4 ± 9,5 ans, extrêmes (cinq et 19 ans). Quarantetrois enfants (63,2 %) avaient présenté antérieurement un épisode de priapisme et 25 enfants (36,8 %) en avaient présentés deux. Le priapisme était survenu entre minuit et six heures du matin dans tous les cas. Les facteurs favorisants sa survenue dans tous les cas étaient les infections : 18 cas (26,5 %) ; la fièvre : sept cas (10,3 %). Chez 43 enfants (61,8 %), le priapisme était associé à une crise vaso-occlusive osseuse. Pour 57 enfants (83,8 %) la consultation s’était faite après la 24e heure et pour 11 enfants (16,2 %), avant la 24e heure. Les raisons du retard à la consultation étaient la pudeur 39 cas (57,3 %) et le tabou 29 cas (42,7 %).

Commentaires À Brazzaville, la prévalence du priapisme évaluée à 34 % était très proche des résultats d’Adeyoju et al. [4] qui dans une étude réalisée simultanément au Nigéria et en GrandeBretagne avait retrouvé les prévalences respectives de 35 % et 37 %. Ces prévalences étaient plus élevées que celle rapportées au Sénégal et au Togo par Gbadoe et al. [2,3] : 9,3 % et 23,6 % et aux États-Unis par Mantadakis et al. et Fowler et Koshy [5,6] : 27,5 et 28 %. Ces différences seraient en rapport avec le type d’halotype, la zone géographique et la méthode utilisée. En effet, bon nombre d’études consultés portaient sur des séries de faibles échantillons [2]. La prévalence du priapisme intermittent chronique était très élevée dans notre série. Cela pouvait s’expliqué par le type d’halotype qui sévit dans notre zone géographique. La prévention du priapisme aiguë passe par une meilleure prise en charge du priapisme intermittent chronique. Ainsi, une consultation doit être envisagée dès lors que le nombre

60

A.R. Okoko et al.

Tableau 4

Répartition des enfants et adolescents du groupe I selon la signification donnée au priapisme.

Âge (ans)

Complication de la drépanocytose

%

Phénomène naturel pouvant survenir chez tout individu au cours de la vie

%

Maladie quelconque

%

Mauvais sort

5—9 10—14 15—19 Total

14 8 4 26

7,0 4,0 2,0 13,0

35 16 6 57

17,3 8,0 3,0 28,3

61 44 8 113

30,20 21,0 4,0 56,2

2 1 3 6

%

1 0,5 1,5 3

Total

112 69 21 202

%

55,4 34,2 10,4 100

Test exact de Ficher = 10,6 ; p = 0,076.

Tableau 5

Répartition des enfants et adolescents du groupe II selon la signification donnée au priapisme.

Âge (ans)

Complication de la drépanocytose

%

Phénomène naturel pouvant survenir chez tout individu au cours de la vie

%

Maladie quelconque

%

Mauvais sort

5—9 10—14 15—19 Total

9 29 14 52

8,0 26 12,5 46,5

14 10 36 60

12,5 8,9 32,1 53,5

— — — —

— — — —

— — — —

%

Total

— — —

23 39 50 112

%

20,4 35 44,6 100

Test exact de Ficher = 16,42 ; p = 0,001.

d’épisodes est supérieur à deux par mois. Par ailleurs, lorsque les épisodes de priapisme intermittent deviennent de plus en plus fréquents et gêne la vie quotidienne, il est préconisé d’administrer de l’étiléfrine orale à la dose de 0,5 mg/kg chez l’enfant de moins de 12 ans et 30 mg/kg chez l’adolescent ou l’adulte [7]. L’injection intracaverneuse peut être envisagé lorsque la duré des épisodes de priapisme intermittent est supérieure à 60 minutes [7]. Les travaux des auteurs consultés [2—4] rapportent que le priapisme est une complication mal connue de l’enfant drépanocytaire et de son entourage. Tel en a été le cas à Brazzaville ou il était ignoré par 97 % des personnes interrogées. La méconnaissance du priapisme comme complication de la drépanocytose a pour corollaire les interprétations diverses, lesquelles sont variables d’un pays à l’autre, selon le niveau socioculturel de la population. Ainsi, 13 % à Brazzaville ; 33 % aux États-Unis [6] ; 52 % au Togo [3] et 25 % au Sénégal [2] pensaient que le priapisme était un phénomène naturel, pouvant survenir chez tout individu au cours de la vie. Cette méconnaissance du priapisme comme complication de la drépanocytose avait pour autre conséquence en Afrique, le retard à la consultation. Tel était le cas à Brazzaville où 83,8 % d’enfant avaient consulté 24 heures après son installation. Tel était aussi le cas au Togo [3] où le délai moyen était de quatre jours et au Sénégal [2] où la consultation s’était faite en moyenne entre dix et 72 heures. Le retard à la consultation observé en Afrique, contraste avec l’attitude des patients aux États-Unis où la consultation est précoce avec une durée moyenne de deux heures.

L’âge de survenue du priapisme est précoce chez l’enfant drépanocytaire avec un âge moyen au premier épisode évalué à 10,4 ± 9,5 ans au Brazzaville ; 12,56 ± 4,3 ans au Sénégal [3] ; 12 ans aux États-Unis [5] : et entre 11 et 15 ans au Togo [3]. Comme constaté dans la présente étude, le priapisme est de survenue nocturne [4,8]. Ces épisodes de priapisme d’installation nocturne seraient liés au phénomène physiologique connu des érections nocturnes, phénomène qui serait en rapport avec une élévation de la testostérone plasmatique [4]. Pour Bondil et Wespes [9], le priapisme débutait par une érection normale, mais une des phases, la détumescence ne se déroulait plus selon la programmation physiologique.

Conclusion Cette étude a permis de noter une forte prévalence du priapisme et une connaissance insuffisante de cette complication chez l’enfant drépanocytaire. Il s’agit d’une complication qui survient tôt dans la vie et le plus souvent la nuit. L’importance de la prévalence du priapisme et le risque encouru impose des mesure de prévention qui passe par le renforcement du programme national de lutte contre la drépanocytose en insistant sur l’information, l’éducation et la communication des enfants leurs parents.

Priapisme chez l’enfant et l’adolescent drépanocytaire

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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61 [4] Adeyoju AB, Olujohungbe ABK, Morris J, et al. Priapism in sickle cell disease; incidence, risk factor and complications. An international multicentre study. BJU Int 2002;90: 898—902. [5] Mantadakis E, Cavender JD, Rogers ZR, Ewalt DH, Buchanan GR. Prevalence of priapism in children and adolescent with sickle cell anemia. J Pediatr Hematol Oncol 1999;21(6):518—22. [6] Fowler JE, Koshy M, et al. Priapism associated with sickle cell hemoglobinopathy: prevalence, natural history and sequelae. J Urol 1991;145:65—8. [7] Roupret M, Beley S, Traxer O, Kirsch-Noir F, Jouannet P, Jardin A, et al. Prise en charge du priapisme chez les patients drépanocytaires. Prog Urol 2005;15:392—7. [8] Tshipeta N, Lufuma LN. Priapisme drépanocytaire. Considérations thérapeutiques à la lumière de 23 observations. J Urol 1980;86(9):699—702. [9] Bondil P, Wespes A. Anatomie et physiologie de l’érection. Rap¸aise d’urologie. Prog port du 86e congrès de l’Association franc Urol 1992;2:23—6.

[Priapism in children and adolescents with homozygous sickle cell disease in Brazzaville].

To determine the prevalence of priapism, assess knowledge and appreciate its characteristics in childhood sickle cell disease...
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