Synthèse Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2014 ; 12 (1) : 85-93

La qualité du sommeil chez les résidents sans syndrome démentiel vivant en institution gériatrique Quality of sleep in nursing home non-demented residents

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

Feten Fekih-Romdhane Sami Ouanes Wahid Melki Service de psychiatrie, Hôpital Razi, Tunis, Tunisie

´ a` part : Tires F. Fekih-Romdhane

Résumé. L’entrée en institution s’accompagne d’un changement, souvent radical, du mode de vie de la personne âgée, avec en conséquence, des troubles du sommeil. L’objectif de notre étude était de déterminer la qualité du sommeil des personnes âgées vivant en institution, d’identifier la prévalence des problèmes liés au sommeil, et de vérifier la corrélation entre la qualité du sommeil et les données sociodémographiques, les comorbidités et le degré de dépendance. Nous avons réalisé une étude transversale auprès des résidents sans syndrome démentiel du centre de protection des personnes âgées de la Manouba. L’évaluation du sommeil a été réalisée à l’aide de l’index de qualité subjective du sommeil de Pittsburgh. Trente-deux sujets ont été retenus dans cette étude. La majorité (68,8 %) était de sexe masculin, avec une moyenne d’âge de 71,6 ans et une durée moyenne d’institutionnalisation de 6,3 ans. La majorité (73 %) des résidents était identifiée comme « mauvais dormeurs » en se basant sur un score global de l’index de qualité subjective du sommeil de Pittsburgh > 5. Les troubles du sommeil étaient attribués à la nycturie, aux réveils nocturnes ou prématurés, et aux douleurs. Mots clés : sommeil, sujet âgé, résidences pour personnes âgées, dépendance, dépression Abstract. Purpose: admission to nursing homes is often associated with major changes in the way the elderly live, possibly leading to sleep disorders. The aim of our study was to assess sleep quality in the elderly without dementia living in nursing homes, to determine the prevalence of sleep disorders, and to examine the links between sleep quality and sociodemographic features, comorbidities, and degree of dependency. Methods: we carried out a cross-sectional survey, involving old people living in Manouba nursing home. Assessment of sleep was performed using Pittsburgh Sleep Quality Index. We excluded subjects with severe motor or sensory impairments as well as individuals with cognitive impairment. Results: thirty-two patients were included in the study. The majority (68.8%) were male, institutionalized for an average period of 6.3 years. Mean age was 71.6 years. More than half of the subjects (56.3%) had depression, and 93.8% had one or more chronic conditions. About one third (37.5%) of residents were dependent in one or more activities of daily living and 25% were confined to bed or to a wheelchair. The majority of residents (73%) were identified as “poor sleepers” based on a global Pittsburgh Sleep Quality Index score >5. Sleep disorders were attributed to nocturia, nocturnal or premature awakenings and pain. We noted a fairly large percentage (18.8%) of hypnotic drugs intake among participants. Our results also showed a strong association between poor sleep quality and depression (p 3 enfants N (%) Durée d’institutionnalisation Moy (et) (Min-max) Choix d’être institutionnalisé Oui N (%) Non N (%) Motif d’institutionnalisation Solitude N (%) Pathologie handicapante N (%) Solitude, absence de ressources N (%) Manque de ressources N (%) Score de la GDS Moy (et) (min-max) Score du MoCA Moy (et) (min-max) Score de la CIRS-G Moy (et) (min-max) Score de l’ADL Moy (et) (min-max)

Valeurs 10 (31,2) 22 (68,8) 71,6 (8,6) (60-87) 20 (62,5) 8 (25,0) 3 (9,4) 1 (3,1) 12 (37,5) 20 (62,5) 6 (18,8) 26 (81,2) 0 (0) 6 (18,8) 26 (81,2 15 (46,9) 3 (9,4) 13 (40,6) 1 (3,1) 24 (75) 6 (18,8) 2 (6,2) 6,3 (6,2) (1-30) 28 (87,5) 4 (12,5) 15 (46,9) 6 (18,7) 4 (12,5) 7 (21,9) 6,8 (3,0) (1-13) 19,4 (4,6) (14-29) 4,2 (2,6) (0-10) 4,3 (2,4) (0-6)

Les troubles du sommeil rapportés par les résidents à l’échelle de Pittsburgh et dont la survenue était fréquente (3 fois ou plus par semaine) étaient les suivants : « se lever pour aller aux toilettes » (43,8 %), « se réveiller au milieu de la nuit ou précocement le matin » (28,1 %), et « avoir des douleurs » (9,4 %). Composante 6 : Utilisation d’un médicament du sommeil 18,8 % des sujets âgés inclus dans notre étude ont eu recours à des hypnotiques à une fréquence de 3 ou 4 fois par semaine. Composante 7 : Mauvaise forme durant la journée

87

F. Fekih-Romdhane, et al.

Tableau 2. Caractéristiques générales du sommeil. Table 2. Sleep general characteristics. Min

Max

Moyenne

Écart type

20:00

23:59

21:52

01:21

Temps d’endormissement (min)

5,0

180,0

60,6

54,7

Heure habituelle du lever

04:00

10:00

06:30

01:27

Heures de sommeil par nuit

2,0

9,0

5,6

2,0

Heure habituelle du coucher

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

Tableau 3. Les scores obtenus aux 7 composantes du PSQI. Table 3. The seven component scores of the PSQI. Moyenne

Écart type

Médiane

Min

Max

Qualité subjective du sommeil

1,4

0,7

1

0

3

Latence du sommeil

1,7

1,3

2

0

3

Durée du sommeil

1,5

1,1

2

0

3

Efficacité habituelle du sommeil

1,7

1,4

2

0

3

Troubles du sommeil

1,3

0,5

1

1

3

Utilisation d’un médicament du sommeil

0,6

1,2

0

0

3

Mauvaise forme durant la journée

1,3

0,9

1

0

3

La mauvaise forme durant la journée a été retrouvée chez la plupart des résidents. Ce problème était inexistant chez 21,9 % de la population. Score global du PSQI Le score global variait de 1 à 17. La valeur moyenne obtenue était de 9,6 (et 4,0), avec une médiane de 10. La grande majorité des personnes âgées (81,3 %) étaient considérés comme mauvais dormeurs (valeur seuil > 5).

La qualité du sommeil en fonction des caractéristiques de la population, de la dépression, des comorbidités, et de la dépendance La mauvaise qualité subjective du sommeil était significativement corrélée à un score plus élevé de dépression (p < 0,001) (tableau 4). Aucun lien significatif n’apparaissait entre la qualité du sommeil et les variables sociodémographiques, les données sur l’institutionnalisation, les comorbidités, et la dépendance. L’étude des relations entre les variables liées au sommeil et l’âge, la dépression, les comorbidités et la dépendance a conclu aux résultats suivants (tableau 5) : un degré de dépendance fonctionnelle faible (score ADL élevé) était corrélé à une heure du lever plus tardive (p = 0,016). Le score à la CIRS-G était associé significativement à une heure du coucher plus tardive (p = 0,001) et tendait

88

à être lié à une plus longue latence d’endormissement (p = 0,088). L’âge était associé significativement à une augmentation de la latence d’endormissement (p = 0,026).

Discussion Caractéristiques de l’échantillon Le profil sociodémographique des sujets vivant en institution dans notre étude était différent de celui rapporté dans la littérature. L’âge moyen de notre population est relativement jeune (71,6 ans). Ceci est dû aux caractéristiques démographiques du pays ; en effet, l’espérance de vie en Tunisie (73,9 ans) est moins élevée que celle des pays européens. Les sujets âgés vivant en institution sont, dans la majorité des cas, des femmes démunies, malmenées par une vie de précarité, et souvent sans familles [16, 17]. Cependant, les deux tiers de notre population étaient de sexe masculin. Ceci se rattache probablement aux valeurs culturelles et religieuses de la société tunisienne selon lesquelles l’homme doit subvenir aux besoins de la femme, qu’elle soit sa sœur, sa mère ou son épouse. Il n’y a pas, dans notre contexte socioculturel, une limite d’âge au-delà de laquelle une femme n’aurait plus ce droit. Une faible minorité des personnes âgées incluses dans notre étude était mariée (9,4 %). Être sans conjoint

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

La qualité du sommeil en institution gériatrique

(célibataires, veufs/veuves, divorcé(e)s) est la situation de la très grande majorité des personnes en institution [17]. En effet, l’absence de réseau socio-familial représente un risque important de placement en institution. Dans notre étude, un quart de la population hébergée avait une descendance. Ce taux est relativement bas comparé aux données de la littérature [17]. Il est socialement peu admissible dans notre pays que les enfants institutionnalisent leurs parents. En effet, les liens familiaux demeurent assez solides, et les enfants ont l’obligation morale de prendre en charge leurs parents. Une étude récente conduite au Maghreb [18] a montré que l’aide des enfants et de la famille occupe une place importante dans les revenus des personnes âgées. Cette aide demeure la première source de revenu en Tunisie (56,2 %). La plupart des sujets (87,5 %) déclaraient avoir fait le choix d’être institutionnalisés. Toutefois, l’entrée en institution était vécue subjectivement comme une contrainte, imposée le plus souvent par la solitude (46,9 %), par le manque de ressources (21,9 %) ou par un handicap (18,8 %). Quant au profil de morbidité de notre population, deux personnes étaient indemnes de toute pathologie diagnostiquée (CIRS-G = 0), alors que le reste de l’échantillon (93,8 %) souffrait d’une ou plusieurs pathologies chroniques. Une très grande proportion de personnes vivant en institution cumule une comorbidité lourde et multiple. Une enquête réalisée en 2003, en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, auprès de 4 500 résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées a trouvé que globalement, les résidents cumulaient en moyenne sept pathologies diagnostiquées [19]. Nous avons observé dans notre étude 37,5 % de personnes dépendantes pour une ou plusieurs activités de la vie quotidienne, dont 18,6 % étaient totalement dépendantes (ADL = 0). Ces taux sont conformes à plusieurs résultats cités dans la littérature. D’après l’enquête HID (Handicaps, Incapacités, Dépendances) faite en France au sein des institutions spécialisées dans l’accueil des personnes âgées, 64 % des résidents avaient besoin d’aide dans la vie quotidienne, et 34,5 % des résidents étaient considérés comme dépendants lourds [20]. Une autre étude faite par Tugorès et al. en 2003, a montré que 86 % de la clientèle des établissements d’hébergement pour personnes âgées étaient dépendantes physiquement, et 35 % étaient confinées au lit ou au fauteuil [21]. Le chiffre que nous avons trouvé dans l’étude actuelle est à interpréter avec prudence. Il sous-estimerait la réelle proportion des sujets dépendants dans le centre de protection des personnes âgée de la Manouba, vu que nous avons exclu les personnes ayant des troubles moteurs invalidants, des troubles sensoriels sévères et des troubles cognitifs.

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

Tableau 4. Association entre la qualité du sommeil et les variables sociodémographiques, les données sur l’institutionnalisation, les comorbidités, et la dépendance. Table 4. Relationships between sleep quality and sociodemographic variables, data on institutionalization, comorbidity, and dependence. Variables

Valeur de p

Qualité subjective du sommeil Age Sexe Nombre d’enfants Niveau scolaire Origine Autonomie financière Situation financière Statut marital Durée d’institutionnalisation Choix d’être institutionnalisé Score de GDS Score du CIRS-G Score ADL

0,132 0,499 0,732 0,158 0,236 0,128 0,291 0,339 0,333 0,169 0,000 0,318 0,516

Tableau 5. Les relations (p < 0,10) entre les variables liées au sommeil et l’âge, la dépression, les comorbidités et la dépendance. Table 5. Relationships between sleep related variables and age, depression, comorbidity and dependence. Variables Age Incapacité de dormir en 30 minutes Avoir froid Avoir de mauvais rêves Nombre de minutes pour s’endormir Score de la GDS PSQI score global Efficacité habituelle du sommeil Mauvaise forme durant la journée Se réveiller au milieu de la nuit ou précocement le matin Avoir des douleurs Heure du coucher Score ADL Troubles du sommeil Heure du lever Score du CIRS-G Heure du coucher Nombre de minutes pour s’endormir

Valeur de p 0,026 0,022 0,090 0,071 0,002 0,064 0,000 0,030 0,009 0,089 0,049 0,016 0,001 0,088

La passation de l’échelle gériatrique de dépression a montré une prévalence de la dépression de 56,3 % dans notre population. La dépression est extrêmement fréquente chez les gens placés aux centres d’hébergement. Elle affecte environ un tiers des personnes âgées non démentes [22]. Selon plusieurs études, de 15 à 25 % des sujets âgés vivant en institution manifestent des symptômes de dépression majeure, et jusqu’à 25 % souffrent de dépression mineure [23].

Évaluation de la qualité du sommeil et de ses composantes. Il ressort de cette étude qu’une mauvaise qualité du sommeil est observée chez 81,3 % des sujets âgés étudiés

89

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

F. Fekih-Romdhane, et al.

(score global > 5). Ce résultat est cohérent avec des études antérieures [24, 25]. En effet, selon de nombreuses études, la majorité des sujets institutionnalisés souffraient de mauvaise qualité du sommeil. Gentili et al. [24] ont procédé à une étude de 48 patients non déments institutionnalisés, ils ont constaté que 73 % des résidents étaient identifiés comme « mauvais dormeurs » en se basant sur un score global PSQI > 5. Les 32 sujets inclus dans notre étude se couchaient assez tôt, en moyenne vers 21h50 et se levaient tôt, vers 06h30. Ces résultats sont conformes aux données de la littérature. Middelkoop et al. [26] ont mené une étude comparative de 160 sujets visant à l’évaluation subjective du sommeil. Ils ont procédé à la comparaison entre des sujets vivant en institution et des sujets contrôles non institutionnalisés. Ils ont trouvé que l’heure du coucher et l’heure du lever étaient plus tôt pour les sujets institutionnalisés. La latence du sommeil reflète une mauvaise qualité du sommeil chez 40,6 % des sujets, qui mettaient plus de 30 minutes pour s’endormir. Une étude récente faite auprès de 121 personnes âgées institutionnalisées, utilisant le même instrument de mesure (PSQI), a trouvé que 59,5 % des résidents étaient incapables de dormir en moins de 30 minutes [27]. La durée du sommeil (inférieure à 6 heures pour 50 % des résidents, avec une moyenne de 5,6 heures par nuit) et l’efficacité du sommeil (inférieure à 65 % pour 46,9 % des résidents) indiquaient un sommeil de mauvaise qualité pour près de la moitié de la population étudiée. Dans la plupart des résidences, le vide et le noir s’installent aux alentours de 19 heures. Le petit-déjeuner du lendemain n’arrive, au mieux, que vers 7 heures. Le temps passé au lit est alors significativement dilaté, même si le sujet ne dort pas [28]. Plusieurs études ont identifié le besoin d’« aller aux toilettes » comme la cause la plus fréquente des troubles du sommeil [24-26, 29]. Nous avons constaté des résultats similaires dans notre étude ; le sommeil était perturbé par des mictions nocturnes fréquentes chez 43,8 % des personnes âgées. Chez les gens âgés, la nycturie expose aux chutes nocturnes et à toutes les conséquences traumatiques. Si elle n’est pas traitée correctement, elle peut entraîner des conséquences lourdes pour l’individu et pour la société [30]. Le deuxième facteur le plus fréquent perturbant le sommeil des sujets âgés de notre étude était « le réveil au milieu de la nuit ou précocement le matin » (28,1 %). En effet, la difficulté de maintien du sommeil a été rapportée dans d’autres études effectuées chez des sujets âgés institutionnalisés [25, 27]. Une étude objective du sommeil par actigraphie en institution, conduite auprès de 29 résidents, a trouvé une fragmentation importante du sommeil avec des éveils nocturnes fréquents

90

chez la grande majorité des sujets âgés institutionnalisés [31]. Ce trouble du sommeil est multifactoriel, pouvant être lié au vieillissement, aux comorbidités médicales et psychiatriques, à la polymédication, aux facteurs environnementaux et comportementaux [32]. Les fragmentations du sommeil augmentent avec l’âge. Cependant, en milieu institutionnel, l’environnement nocturne perturbant (voisins bruyants, activité soignante. . .) peut entraîner un sommeil de mauvaise qualité. En effet, dans l’institution au sein de laquelle nous avons conduit notre étude, tous les résidents partagent leurs chambres avec un ou deux compagnons. Les troubles du sommeil étaient attribués aux douleurs chez 9,4 % des personnes âgées, et ce, trois à quatre fois par semaine. C’est un pourcentage qui ne peut pas être négligé. Dans des études similaires, les sujets âgés ont signalé la douleur comme l’un des principaux troubles du sommeil [24, 25]. La douleur chronique est un problème fréquent chez les patients en milieu d’hébergement. Environ 70 % de ceux-ci se plaignent de douleur, présente de fac¸on constante chez 24 % d’entre eux et ressentie en moyenne à 3 sites différents [33]. Les douleurs physiques récurrentes rendent la nuit de certains résidents particulièrement difficile. La prise en charge de la douleur (évaluation et traitement) chez ces personnes âgées, peut améliorer le sommeil. En effet, le sujet âgé douloureux peut, grâce au traitement de sa douleur, bénéficier des effets sédatifs des analgésiques pour avoir une meilleure qualité du sommeil [34]. L’utilisation d’hypnotiques a été rapportée par 18,8 % des personnes âgées, ce qui représente un taux important, compte tenu des risques liés à l’utilisation de ces médicaments pour cette tranche d’âge [35]. Les effets indésirables de ces molécules, comme les chutes, l’ataxie, ou les troubles de mémoire, sont néfastes pour les personnes âgées. Une méta-analyse réalisée par Glass et al. [36], avait pour but de faire le point sur les bénéfices des médicaments sédatifs et les effets secondaires associés, considérés comme risques, dans une population de personnes âgées. Cette méta-analyse suggère qu’il y aurait deux fois plus d’effets secondaires que d’effets positifs sous traitement. Une étude faite en 2006 chez des personnes âgées institutionnalisées a présenté un constat important : la qualité du sommeil ressentie par les résidents n’a pas de relation avec la prise ou non d’hypnotiques ou de sédatifs [37]. Ces résultats mettent en valeur l’intérêt des approches non pharmacologiques du traitement des troubles du sommeil chez le sujet âgé, dont les effets secondaires sont très souvent négligeables. Dans notre étude, la mauvaise forme durant la journée été notée chez la plupart des résidents. C’est une conséquence des troubles du sommeil qui semble être aggravée

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

La qualité du sommeil en institution gériatrique

par l’institutionnalisation. D’après les données de la littérature, la somnolence diurne excessive a une fréquence de 10 à 30 % chez le sujet âgé [38].

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

La qualité du sommeil en fonction des caractéristiques de la population, de la dépression, des comorbidités, et de la dépendance La qualité subjective du sommeil n’était significativement corrélée qu’au score de la GDS (p < 0,001). Des travaux antérieurs avaient déjà établi le lien entre la mauvaise qualité du sommeil et la dépression. Dans leur étude de 48 personnes âgées institutionnalisées, Gentili et al. [24] ont trouvé que les symptômes dépressifs étaient prédictifs d’un mauvais sommeil. Une étude récente conduite à Los Angeles pendant 6 mois, a exploré la relation entre les troubles du sommeil (PSQI + actigraphie) et la dépression (GDS-5) [27]. Une mauvaise qualité subjective du sommeil et un mauvais sommeil mesuré par actigraphie étaient significativement associés à des scores élevés de dépression. Le score global PSQI dans cette étude était corrélé à des symptômes dépressifs à l’inclusion, ainsi qu’à trois et six mois de suivi. Ce résultat était cohérent également avec d’autres études montrant qu’un mauvais sommeil prédit la persistance de la dépression chez les sujets âgés [39]. Ces résultats suggèrent que le sommeil a une forte association avec la dépression. Un sommeil de mauvaise qualité est un précurseur des troubles de l’humeur. L’amélioration de la qualité du sommeil peut retarder ou prévenir l’apparition de la dépression. Un degré de dépendance fonctionnelle faible (score ADL élevé) était corrélé à une heure du lever plus tardive (p = 0,016). Notre résultat est cohérent avec une étude faite auprès de 39 sujets âgés vivant en institution [40]. Les auteurs ont recherché les facteurs prédictifs de troubles du sommeil. Ils ont trouvé qu’une durée du sommeil élevée était corrélée à une capacité fonctionnelle élevée (score ADL). Dans l’étude de Jennifer et al. [27], une mauvaise qualité du sommeil nocturne (mesurée par actigraphie) était corrélée à un degré de dépendance plus élevé, et ce, initialement puis à trois mois et à six mois de suivi. Le score de CIRS-G était associé significativement à une heure du coucher plus tardive (p = 0,001) et tendait à être lié à une plus longue latence d’endormissement (p = 0,088). En effet, la présence des maladies est un des facteurs les plus importants dans l’apparition des troubles du sommeil. Taylor et al. [41] ont procédé à une étude de 772 sujets afin de déterminer la comorbidité de l’insomnie avec les troubles médicaux. Ils ont trouvé que les pathologies organiques les plus fréquemment imputées dans les troubles du sommeil

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

Points clés • Contrairement au profil des sujets âgés vivant en institution dressé dans la majorité des études (femmes sans conjoint, ayant un faible niveau d’éducation et un faible revenu), les deux tiers de la population de cette étude étaient de sexe masculin. Ceci se rattache probablement aux aspects transculturels. • Le score global PSQI et ses différentes composantes ont globalement montré un mauvais sommeil pour la majorité des sujets âgés institutionnalisés. • Les troubles du sommeil étaient essentiellement attribués à la nycturie, aux réveils nocturnes ou prématurés, et aux douleurs, mais une forte association entre troubles du sommeil et dépression a été observée ; la présence de maladies ainsi qu’un degré de dépendance fonctionnelle élevé seraient également des facteurs importants participant à l’apparition des troubles du sommeil. • Une prescription assez fréquente d’hypnotiques chez les sujets âgés en institution a été notée en dépit des risques liés à l’utilisation de ces médicaments pour cette tranche d’âge.

étaient l’hypertension artérielle, les affections respiratoires, les problèmes urinaires, les douleurs chroniques, et les problèmes gastro-intestinaux. Les sujets avec un grand niveau de comorbidités sont vulnérables et nécessitent une attention particulière. Les maladies chroniques conduisent à une multitude de facteurs qui peuvent influencer directement ou indirectement le sommeil. La polypathologie est fréquente au sein des institutions gériatriques. Une identification précoce des troubles du sommeil chez les sujets âgés institutionnalisés qui cumulent des comorbidités pourrait permettre une prophylaxie secondaire des complications liées aux problèmes de sommeil. Enfin, il est à noter que l’âge était associé significativement à une augmentation de la latence d’endormissement. Le vieillissement entraîne divers changements physiologiques dans la structure du sommeil. De nombreux paramètres du sommeil se modifient, dont une augmentation de la latence d’endormissement.

Conclusion À la différence du domicile, le sommeil en institution gériatrique se distingue par plusieurs caractéristiques. Les plaintes et troubles du sommeil seraient plus fréquents chez les résidents des établissements d’hébergement pour

91

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

F. Fekih-Romdhane, et al.

personnes âgées, cependant, leur prévalence demeure incertaine en raison des variations rapportées dans la littérature. Notre étude a mis l’accent sur la fréquence très importante de la mauvaise qualité du sommeil en institution. L’absence de prise en charge adéquate des troubles du sommeil dans cette population peut avoir des conséquences néfastes. C’est ainsi que plusieurs mesures doivent être mises en place afin de prévenir ou atténuer les effets négatifs d’un mauvais sommeil des sujets âgés vivant en institution : 1) Procéder au dépistage des différents troubles du sommeil, seul moyen de garantir une intervention thérapeutique précoce ; 2) Faire attention à toute plainte associée à des signes spécifiques pouvant conduire

Références 1. Rioux L. L’entrée en maison de retraite. Étude de l’adaptation spatioterritoriale des résidents. Pratiques Psychologiques 2008 ; 14 : 89-99.

à rechercher une insomnie secondaire, en particulier un syndrome dépressif, une nycturie ou des douleurs chroniques ; 3) Prêter une attention particulière aux sujets âgés institutionnalisés ayant un grand niveau de comorbidité ; 4) Former les résidents aux grandes règles d’hygiène du somme ; 5) Si la prise en charge médicamenteuse s’avère nécessaire, informer la personne âgée que la prescription doit être limitée dans le temps ; 6) Promouvoir la formation du personnel médical au dépistage des troubles du sommeil en milieu institutionnel. Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

15. Buysse DJ, Reynolds 3rd CF, Monk TH, Hoch CC, Yeager AL, Kupfer DJ. Quantification of subjective sleep quality in healthy elderly men and women using the Pittsburgh sleep quality index (PSQI). Sleep 1991 ; 14 : 331-8.

2. Vitiello MV, Prinz PN, Williams DE, Frommlet MS, Ries RK. Sleep disturbances in patients with mildstage Alzheimer’s disease. J Gerontol 1990 ; 45 : 131-8.

16. Mallon I. Des vieux en maison de retraite : savoir reconstruire un « chez-soi ». Empan 2003 ; 4 : 126-33.

3. Neikrug AB, Ancoli-Israel S. Sleep disturbances in nursing homes. J Nutr Health Aging 2010 ; 14 : 207-11.

17. Colin C, Kerjosse R. Handicaps-incapacités-dépendance, premiers travaux d’exploitation de l’enquête HID. Colloque scientifique, Montpellier. 30 novembre et 1er décembre 2000.

4. Godard M, Barrou Z, Verny M. Approche gériatrique des troubles du sommeil. Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2010 ; 8 : 235-41. 5. Bloom HG, Ahmed I, Alessi CA, Ancoli-Israël S, Buuysse DJ, Kryger MH, et al. Evidence-based recommendations for the assessment and management of sleep disorders in older persons. J Am Geriatr Soc 2009 ; 57 : 761-89. 6. Dement WC. Case studies in insomnia. New York : Plenum Medical Book Company, 1991. 7. Rahman TT, El Gaafary MM. Montreal cognitive assessment arabic version: reliability and validity prevalence of mild cognitive impairment among elderly attending geriatric clubs in Cairo. Geriatr Gerontol Int 2009 ; 9 : 54-61. 8. Lu J, Li D, Li F, Zhou A, Wang F, Zuo X, et al. Montreal cognitive assessment in detecting cognitive impairment in Chinese elderly individuals : a population-based study. J Geriatr Psychiatry Neurol 2011 ; 24 : 184-90. 9. Salvi F, Miller MD, Grilli A, Giorgi R, Towers AL, Morici V, et al. A manual of guidelines to score the modified cumulative illness rating scale and its validation in acute hospitalized elderly patients. J Am Geriatr Soc 2008 ; 56 : 1926-31. 10. Nagaratnam N, Gayagay G. Validation of the Cumulative illness rating scale (CIRS) in hospitalized nonagenarians. Arch Gerontol Geriatr 2007 ; 44 : 29-36. 11. Chaaya M, Sibai AM, Roueiheb ZE, Chemaitelly H, Chahine LM, Al Amin H, et al. Validation of the Arabic version of the short Geriatric depression scale (GDS-15). Int Psychogeriatr 2008 ; 20 : 571-81. 12. Cullum S, Tucker S, Todd C, Brayne C. Screening for depression in older medical in patients. Int J Geriatr Psychiatry 2006 ; 21 : 469-76. 13. Katz S, Downs TD, Cash HR, Grotz RC. Progress in development of the index of ADL. Gerontologist 1970 ; 10 : 20-30. 14. Buysse DJ, Reynolds 3rd CF, Monk TH, Befrman SR, Kupfer DJ. The Pittsburgh Sleep quality index : a new instrument for psychiatric practice and research. Psychiatry Res 1989 ; 28 : 193-213.

92

18. Dupuis JM, El Moudden C, Hammouda N, Petron A, Ben Braham M, Dkhissi I. L’impact des systèmes de retraite sur le niveau de vie des personnes âgées au Maghreb. Économie et Statistique 2011 ; 441-2 : 205-24. 19. Dutheil N, Scheidegger S. Les pathologies des personnes âgées vivant en établissement. DREES -Etudes et résultats 2006 ; 494 : 1-4. 20. Mormiche P, Ankri J. Incapacités et dépendance de la population âgée franc¸aise : apport de l’enquête « Handicaps – Incapacités – Dépendance » (HID). Santé Société et Solidarité 2002 ; 1 : 25-38. 21. Tugorès F. La clientèle des établissements d’hébergement pour personnes âgées – Situation au 31 décembre 2003. DREES- Études et Résultats 2006 : 485. 22. Alessi CA, Schnelle JF. Approach to sleep disorders in the nursing home setting. Sleep Med Rev 2000 ; 4 : 45-56. 23. Ames D. Epidemiological studies of depression among the elderly in residential and nursing homes. Int J Geriatr Psychiatry 1991 ; 6 : 347-54. 24. Gentili A, Weiner DK, Kuchibhatil M, Edinger JD. Factors that disturb sleep in nursing home residents. Aging (Milano) 1997 ; 9 : 207-13. 25. Araújo CL, Ceolim MF. Sleep quality of elders living in long-term care institutions. Rev Esc Enferm USP 2010 ; 44 : 615-22. 26. Middelkoop HA, Kerkhof GA, Smilde-van den Doel DA, Ligthart GJ, Kamphuisen HA. Sleep and ageing : the effect of institutionalization on subjective and objective characteristics of sleep. Age Ageing 1994 ; 23 : 411-7. 27. Martin JL, Fiorentino L, Jouldjian S, Josephson KR, Alessi CA. Sleep quality in residents of assisted living facilities: effect on quality of life, functional status, and depression. J Am Geriatr Soc 2010 ; 58 : 829-36. 28. Marin La Meslee R. Le sommeil en institution gériatrique. La revue de gériatrie 2002 ; 27 : 177-82.

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

La qualité du sommeil en institution gériatrique

29. Ersser S, Wiles A, Taylor H, Wade S, Walsh R, Bentley T. The sleep of older people in hospital and nursing homes. J Clin Nurs 1999 ; 8 : 360-8.

36. Glass J, Lanctot KL, Herrmann N, Sproule BA, Busto UE. Sedative hypnotics in older people with insomnia : meta-analysis of risks and benefits. BMJ 2005 ; 331 : 1169-76.

30. Asplund R. Nocturia : consequences for sleep and daytime activities and associated risks. Eur Urol Suppl 2005 ; 3 : 24-32.

37. Monane M, Glynn RJ, Avorn J. The impact of sedative-hypnotic use on sleep symptoms in elderly nursing home residents. Clin Pharmacol Ther 1996 ; 59 : 83-92.

Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 14/02/2017.

31. Fetveit A, Bjorvatn B. Sleep disturbances among nursing home residents. Int J Geriatr Psychiatry 2002 ; 17 : 604-9. 32. Neikrug AB, Ancoli-Israel S. Sleep disturbances in nursing homes. J Nutr Health Aging 2010 ; 14 : 207-11.

38. Gooneratne NS, Weaver TE, Cater JR, Pack FM, Arner HM, Greenberg AS, et al. Functional outcomes of excessive daytime sleepiness in older adults. J Am Geriatr Soc 2003 ; 51 : 642-9.

33. Sengstaken EA, King SA. The problems of pain and its detection among geriatric nursing home residents. J Am Geriatr Soc 1993 ; 41 : 541-4.

39. Pigeon WR, Hegel M, Unutzer J, Fan MY, Sateia MJ, Lyness JM, et al. Is insomnia a perpetuating factor for late-life depression in the IMPACT cohort ? Sleep 2008 ; 31 : 481-8.

34. Beaulieu P. Approches pharmacologiques de la douleur et du sommeil. Douleur et Analgésie 2003 ; 16 : 125-31.

40. Bliwise DL, Carroll JS, Dement WC. Predictors of observed sleep/wakefulness in residents in long-term care. J Gerontol 1990 ; 45 : 126-30.

35. Consensus Development Panel. National institutes of health consensus development conference statement: the treatment of sleep disorders of older people March 26-28, 1990. Sleep 1991 ; 14 : 169-77.

Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 12, n ◦ 1, mars 2014

41. Taylor DJ, Mallory LJ, Lichstein K, Durrence HH, Riedel BW, Bush AJ. Comorbidity of chronic insomnia with medical problems. Sleep 2007 ; 30 : 213-8.

93

[Quality of sleep in nursing home non-demented residents].

admission to nursing homes is often associated with major changes in the way the elderly live, possibly leading to sleep disorders. The aim of our stu...
158KB Sizes 4 Downloads 4 Views