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Volume 101 • N◦ 6 • juin 2014 John Libbey Eurotext

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Les dossiers de carcinome hépatocellulaire peuvent-ils être discutés dans une RCP non spécialisée ? Should cases of hepatocellular carcinoma be discussed by non-specialized multidisciplinary team meetings? Jean-Claude Barbare1 , Dominique Franco2 , Thierry André3 , Jean-Pierre Bronowicki4 , Philippe Merle5 , Jean-Marie Péron6 , Jean-Luc Raoul7 , Jean-Franc¸ois Seitz8 , Marc Ychou9 1

Article rec¸u le 08 octobre 2013, accepté le 26 janvier 2014 Tirés à part : J.-C. Barbare

CHU d’Amiens ; Hôpital Nord, délégation à la recherche clinique et à l’innovation, Place Victor Pauchet, 80054 Amiens cedex 1, France 2 Hôpital universitaire Antoine-Béclère, Clamart, France 3 Hôpital universitaire Saint-Antoine, Paris, France 4 Hôpital universitaire de Nancy Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy, France 5 Hôpital universitaire de La Croix Rousse, Lyon, France 6 Hôpital universitaire Purpan, Toulouse, France 7 Institut Paoli Calmette, Marseille, France 8 Hôpital universitaire de La Timone, Marseille, France 9 Institut Val d’Aurelle, Montpellier, France

Pour citer cet article : Barbare JC, Franco D, André T, Bronowicki JP, Merle P, Péron JM, Raoul JL, Seitz JF, Ychou M. Les dossiers de carcinome hépatocellulaire peuvent-ils être discutés dans une RCP non spécialisée ? Bull Cancer 2014 ; 101 : 558-63. doi : 10.1684/bdc.2014.1918.

Mots clés : carcinome hépatocellulaire, réunion de concertation pluridisciplinaire

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Abstract. The treatment of hepatocellular carcinoma (HCC) is difficult due to the underlying cirrhosis which has its own influence on therapeutic issues. An inquiry was performed in centres with specialized multidisciplinary team meetings dedicated to HCC (HCC-MTM) or in centres with non-specialized (digestive oncology or general oncology) multidisciplinary team meetings (NS-MTM). The number of cases of HCCs taken in charge yearly was significantly higher in HCC-MTM than in NS-MTM (p=0,0014). Interventional radiologists and transplant surgeons were more frequently implied in HCC-MTM than in NS-MTM (respectively p=0,009 and p=0,02). On site availability of every treatment of HCC was higher in RCP-MTM than in NS-MTM (p=0,015). There were no inclusion in clinical trials in 40.5 % of NS-MTM versus only 17.6 % of HCC-MTM (p=0,0086). In three clinical cases out of seven there were discrepancies between the therapeutic options of HCC-MTM and NS-MTM. In all three cases, the treatment offered to the patient by HCC-MTM was more consistent with clinical standards. These results prompt to perform more studies on the quality of management of patients with HCCs by MTMs.  Key words: hepatocellular team meetings

carcinoma,

multidisciplinary

Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014

doi : 10.1684/bdc.2014.1918

Résumé. Le traitement du carcinome hépatocellulaire (CHC) est rendu complexe par l’association habituelle à une cirrhose qui influe sur les indications thérapeutiques. Une enquête a été réalisée auprès des centres ayant une RCP dédiée à la prise en charge du carcinome hépatocellulaire (RCP-CHC) et des centres où ces dossiers étaient pris en charge par une RCP digestive ou générale, dite non spécialisée (RCP-NS). Le nombre de dossiers de CHC discutés par an était plus important dans les RCP-CHC que dans les RCP-NS (p = 0,0014). La participation de radiologues interventionnels et de chirurgiens transplanteurs était plus grande dans les RCP-CHC que dans les RCP-NS (respectivement p = 0,009 et p = 0,02). La disponibilité locale dans le centre de tous les traitements spécifiques du CHC était de 76,5 % pour les RCPCHC et de 36,4 % pour les RCP-NS (p = 0,015). Aucun essai clinique n’était disponible dans 17,6 % des RCP-CHC et dans 40,5 % des RCP-NS (p = 0,0086). Dans 3 cas cliniques sur 7, il a été constaté une tendance à la divergence entre les avis des RCP-CHC et des RCP-NS ; cette tendance, non statistiquement significative, était en faveur d’une proposition thérapeutique par les RCP-CHC plus souvent conforme aux référentiels et a priori plus « efficace ». Ces résultats suggèrent de mener des études qualitatives sur la prise en charge en RCP des patients atteints de CHC. 

Carcinome hépatocellulaire et RCP

Introduction Le Plan cancer 2003-2007 a eu comme priorité la mise en œuvre de la pluridisciplinarité en cancérologie. Le dossier de tous les nouveaux cas doit être présenté en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) avant l’initiation du premier traitement, de même que celui des patients relevant d’une modification substantielle de prise en charge [1, 2]. L’organisation des RCP a été définie par l’INCa et la Haute Autorité de Santé. Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est un cancer particulier car il est le plus souvent développé sur un foie atteint d’hépatopathie chronique, qui est très majoritairement au stade de cirrhose. Pour la décision thérapeutique, il faut donc prendre en compte deux maladies graves, un cancer et une hépatopathie sous-jacente. Cette dernière influence largement la stratégie thérapeutique [3]. Compte tenu de ces spécificités et d’une hétérogénéité présumée de la composition des RCP en France, un groupe d’experts travaillant sur les pratiques de prise en charge du CHC a jugé utile de mener une enquête nationale afin de connaître les modalités de fonctionnement des RCP prenant en charge des patients atteints de CHC.

Méthodes Les responsables des RCP dans lesquelles sont discutés des dossiers de CHC en France métropolitaine ont été identifiés par l’intermédiaire des réseaux régionaux de cancérologie. Deux cent dix-sept responsables de RCP ont été contactés en septembre 2010 par courrier électronique et postal. Un dossier leur a été adressé comportant deux parties, d’une part un questionnaire permettant de préciser les caractéristiques de la RCP et, en particulier, son caractère soit généraliste en oncologie digestive ou générale (dite RCP-non spécialisées, ou RCP-NS), soit dédiée à la prise en charge des patients ayant un CHC (dite RCP-CHC), sa composition, son mode de fonctionnement et le nombre de patients atteints de CHC pris en charge par an, d’autre part un CD-ROM contenant 7 cas cliniques de patients atteints de CHC. Ces cas devaient être présentés dans les RCP, qui devaient proposer un choix thérapeutique selon une grille préétablie. Les réponses étaient anonymisées. Des courriers de relance ont été envoyés en septembre 2011 et l’analyse des questionnaires renvoyés a été réalisée en janvier 2012. Les comparaisons entre les RCP-CHC et les RCP-NS, en termes de caractéristiques et de réponses aux cas cliniques, ont été faites, compte tenu du faible effectif, par un test exact de Fisher. Les différences ont été considérées comme significatives si p ≤ 0,05. Pour chaque comparaison entre RCP-CHC et RCP-NS, il a été fait un test global puis, s’il était significatif, une comparaison « deux à deux » des différents critères.

Résultats Cinquante-quatre responsables de RCP (26 % des RCP identifiées) ont répondu au questionnaire descriptif de la RCP, et 52 RCP ont indiqué leur choix pour les cas cliniques n◦ 1, 2, Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014

4 et 6, 51 RCP pour les cas N◦ 3 et 7, et 50 RCP pour le cas N◦ 5. Les réponses à l’enquête provenaient de centres hospitaliers universitaires (CHU) (42,5 %), de centres hospitaliers (CH) (42,5 %), de centres privés (13 %) ou de centres régionaux de lutte contre le cancer (CRLCC) (2 %). Huit RCP (14,8 %) regroupaient plusieurs centres. Parmi les 54 RCP, 17 étaient des RCP-CHC et 37 étaient des RCP-NS (tableau 1). La majorité des RCP-CHC étaient dans les CHU et il n’y avait pas de RCP-CHC dans les CH sauf lorsqu’ils travaillaient en association avec un CRLCC ou un centre privé. Le nombre de dossiers de CHC discutés par an était significativement plus important dans les RCP-CHC que dans les RCP-NS (p = 0,0014) (tableau 2). Il était supérieur à 100/an dans environ deux-tiers des RCP-CHC (64,7 %) et dans environ un septième (13,9 %) des RCP-NS (p = 0,0003). La composition des RCP-CHC et celle des RCP-NS était identique en ce qui concerne la participation d’hépatogastroentérologues, d’oncologues digestifs, de chirurgiens digestifs, de radiologues imageurs, de radiothérapeutes, d’oncologues médicaux et d’anatomo-pathologistes. En revanche, la participation de radiologues interventionnels et de chirurgiens transplanteurs était significativement plus Tableau 1. Répartition des RCP-CHC et RCP-NS dans les différents types d’établissements. Type d’établissement CRLCC CHU CH Centres privés CRLCC + CHU CH + centres privés CRLCC + centres privés + CHU Total

RCP-CHC 0 11 0 2 2 1 1 17

RCP-NS 1 8 19 5 1 3 0 37

p < 0,05 0,005 < 0,05 NS NS NS NS 0,0028

RCP-CHC : réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée dans le carcinome hépatocellulaire. RCP-NS : réunion de concertation pluridisciplinaire non spécialisée. NS : test statistique non significatif. CRLCC : centre régional de lutte contre le cancer. CHU : centre hospitalier universitaire. CH : centre hospitalier.

Tableau 2. Nombre de dossiers de carcinome hépatocellulaire présentés en RCP chaque année.

< 10 10-49 50-100 > 100

RCP-CHC N = 17 5,9 % 17,6 % 11,8 % 64,7 % 100 %

RCP-NS N =36 13,9 % 58,3 % 13,9 % 13,9 % 100 %

p NS 0,007 NS 0,0003 0,0014

RCP-CHC : réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée dans le carcinome hépatocellulaire. RCP-NS : réunion de concertation pluridisciplinaire non spécialisée. NS : test statistique non significatif.

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J.-C. Barbare, et al. grande dans les RCP-CHC que dans les RCP-NS (respectivement 41,2 % vs 11,8 %, p = 0,009 et 29,4 % vs 8,1 %, p = 0,02) (tableau 3). La disponibilité locale dans le centre de tous les traitements spécifiques du CHC, c’est-à-dire transplantation, résection hépatique, radiofréquence percutanée et chimioembolisation, était de 76,5 % pour les RCP-CHC et de 36,4 % pour les RCP-NS (p = 0,015) (tableau 4). Seulement 30,3 % des RCP-NS disposaient dans leur centre à la fois de la résection hépatique et des principales techniques de radiologie interventionnelle. Enfin, le nombre d’essais cliniques disponibles était de 3 ou plus dans 64,7 % des RCP-CHC et dans 18,9 % des RCP-NS, il était de 1 ou 2 dans 17,6 % des RCP-CHC et dans 37,8 % des RCP-NS, tandis qu’aucun essai n’était disponible dans 17,6 % des RCP-CHC et dans 40,5 % des RCP-NS (p = 0,0086). Concernant les cas cliniques, en termes de recommandation thérapeutique, il n’a pas été constaté de différence significative entre les réponses des RCP-CHC et celles des RCP-NS. Néanmoins, dans les cas n◦ 2, n◦ 3 et n◦ 4, il a été constaté une tendance à la divergence entre les avis des RCP-CHC et Tableau 3. Spécialités médicales présentes en RCP. Spécialités médicales Hépato gastroentérologue Oncologue digestif Chirurgien digestif Radiologue imageur Radiothérapeute Oncologue médical Anatomo-pathologiste Radiologue interventionnel Chirurgien transplanteur

RCP-CHC N = 16 94,1 % 94,1 % 82,4 % 76,5 % 70,6 % 64,7 % 41,2 % 41,2 % 29,4 %

RCP-NS N = 37 100 % 91,9 % 91,9 % 70,3 % 64,9 % 62,2 % 40,5 % 11,8 % 8,1 %

p NS NS NS NS NS NS NS 0,009 0,02

RCP-CHC : réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée dans le carcinome hépatocellulaire. RCP-NS : réunion de concertation pluridisciplinaire non spécialisée NS : test statistique non significatif

Tableau 4. Ressources thérapeutiques disponibles dans le centre. Traitements Tous disponibles RH, CE, RF RH + RF RH + CE RH

RCP-CHC N = 17 76,5 % 11,8 % 0 0 11,8 % 100 %

RCP-NS N = 33 36,4 % 30,3 % 18,2 % 9,1 % 6% 100 %

p 0,015 NS NS NS NS 0,0053

RCP-CHC : réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée dans le carcinome hépatocellulaire. RCP-NS : réunion de concertation pluridisciplinaire non spécialisée. NS : test statistique non- significatif. RH : résection hépatique. CE : chimioembolisation. RF : radiofréquence percutanée. Tous : RH + CE + RF + transplantation hépatique

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des RCP-NS (tableau 5). Cette tendance était en faveur d’une proposition thérapeutique plus souvent conforme aux recommandations du Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) [4], et a priori plus « efficace », par les RCP-CHC (tableau 5). Ainsi, dans le cas n◦ 2, la transplantation hépatique était recommandée par 94,1 % des RCP-CHC et par 71,4 % des RCP-NS. Dans le cas n◦ 3, le sorafenib, recommandé par 100 % des RCP-CHC, ne l’était que par 86,1 % des RCP-NS. Enfin, dans le cas n◦ 4, la chimioembolisation était recommandée par 94,1 % des RCP-CHC et par 77,1 % des RCP-NS.

Discussion Cette enquête ne pouvait prétendre faire un état des lieux exhaustif des pratiques en matière de pluridisciplinarité pour la prise en charge du CHC en France. Elle a en revanche l’intérêt de donner, pour la première fois à notre connaissance, des informations au niveau national qui pourraient servir de base à des discussions et, surtout à d’autres études, notamment prospectives. Afin de couvrir au mieux le territoire, il a été fait appel aux réseaux régionaux de cancérologie, chargés par l’INCa de coordonner et de suivre l’activité en matière de soins, en particulier pour ce qui concerne les RCP. Toutefois, faute d’annuaire national des RCP, et compte tenu de l’hétérogénéité du fonctionnement d’un réseau à l’autre, on ne peut être certain d’avoir identifié toutes les RCP concernées. D’autre part il s’agit d’une enquête purement déclarative. Enfin, un quart seulement des RCP sollicitées ont répondu. Le caractère anonyme des questionnaires, jugé indispensable pour mener à bien l’enquête, n’a pas permis de connaître les déterminants de réponse et de non-réponse. Une certaine représentativité des résultats est cependant suggérée par la réponse de quasiment tous les CHU et d’un nombre conséquent de CH, dont on sait que les services d’hépatogastroentérologie prennent en charge un grand nombre de CHC [5]. Parmi les principes d’une prise en charge de qualité pour les malades atteints de cancer, la définition d’une stratégie de traitement sur la base d’un avis pluridisciplinaire et de référentiels validés était l’un des objectifs du premier Plan cancer. Les modalités de fonctionnement des RCP ont été définies par la circulaire DHOS Organisation des soins en cancérologie du 22 février 2005 [1]. Une RCP est un lieu d’échange conduisant à proposer la meilleure option thérapeutique pour un malade ; elle doit être aussi un vecteur pédagogique et permettre une analyse du bénéfice risque et de la qualité de vie pour le patient [1]. L’organisation d’une RCP doit être formalisée, avec détermination d’un responsable, du rythme des réunions, des référentiels utilisés, et des fiches pré-remplies pour chaque patient ; la proposition thérapeutique doit être écrite, rapidement validée, consignée dans le dossier des patients, et adressée aux médecins référents. En termes de spécialités médicales, il convient de définir pour les réunions un quorum adapté au type de cancer présenté et de disposer d’une trac¸abilité des médecins présents. Si le dossier répond à une Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014

Carcinome hépatocellulaire et RCP Tableau 5. Répartition des propositions thérapeutiques des RCP. Cas clinique n◦ 2,3 et 4 (N=52). Cas clinique n◦ 2

TH RF CE CE + RF RH Sorafenib Soins de support Lipiocis® GEMOX

RCP-CHC N = 17 94,1 % 5,9 % 0 0 0

RCP-NS N = 35 71,4 % 22,9 % 5,7 % 0 0

Cas clinique n◦ 3 p

RCP-CHC N = 17

NS NS NS NS NS

RCP-NS N = 35

Cas clinique n◦ 4 p

0

0

NS

100 % 0 0 0

86,1 % 13,9 % 0 0

NS NS NS NS

RCP-CHC N = 17 0 0 94,1 %

RCP-NS N = 35 0 0 77,1 %

p NS NS NS

5,9 % 0

22,9 % 0

NS NS

RCP-CHC : réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée dans le carcinome hépatocellulaire. RCP-NS : réunion de concertation pluridisciplinaire non spécialisée. NS : test statistique non- significatif. RH : résection hépatique. CE : chimioembolisation. RF : radiofréquence percutanée. GEMOX : chimiothérapie systémique par l’association gemcitabine oxaliplatine.

situation clinique standard de prise en charge telle que définie dans le référentiel, il est possible de ne pas le discuter ; le dossier doit être présenté rapidement et la fiche de RCP renseignée et archivée. Tous les autres dossiers sont obligatoirement discutés [1, 2]. Du fait de l’association très fréquente du CHC à une hépatopathie chronique, les RCP prenant en charge ces patients doivent tenir compte à la fois de l’évaluation du cancer et de la maladie hépatique sous-jacente. La classification TNM universellement utilisée pour évaluer les cancers n’est pas adaptée au CHC ; le niveau de preuve des traitements curatifs est très faible ; la preuve histologique du diagnostic n’est pas nécessaire dans tous les cas ; enfin, des problèmes de stratégie thérapeutique inhabituels en cancérologie sont fréquemment posés, notamment pour la transplantation hépatique [3, 4]. Les recommandations de l’INCa prévoient un « quorum de base pour chaque type d’organe, avec au minimum 3 spécialités différentes dont un oncologue, un chirurgien et un radiologue ». Compte tenu des spécificités de ce cancer, une RCP-CHC doit disposer des ressources suivantes : hépato-gastroentérologue, oncologue médical, chirurgien hépatique transplanteur, imageur interventionnel, et si possible anatomo-pathologiste spécialisé. À l’heure où de plus en plus de CHC sont diagnostiqués à un stade curable, il semble particulièrement important de disposer de ressources adaptées au CHC en raison notamment de l’évolution des indications des traitements à visée curative. La première constatation significative de l’enquête concerne la population de spécialistes participant aux RCP et les ressources thérapeutiques locales. La participation des hépato-gastroentérologues (98,1 %), des oncologues digestifs (93 %), des chirurgiens digestifs (86,2 %) et des radiologues imageurs (73,4 %) est globalement conforme aux recommandations. La participation des radiothérapeutes (68,5 %), des oncologues médicaux (64,1 %) et des anatomopathologistes (53,7 %) est plus « éloignée » des recommandations. Enfin, la participation des imageurs interventionnels et des chirurgiens Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014

transplanteurs, globalement limitée, est significativement plus faible dans les RCP-NS que dans les RCP-CHC (tableau 3). Il est permis de s’interroger sur la pertinence des propositions thérapeutiques en l’absence de ces ressources. On retrouve de même des disparités selon le type de RCP en termes de ressources thérapeutiques disponibles localement, toutes les méthodes étant accessibles dans près de 80 % des cas pour les RCP-CHC, et dans seulement 40 % des cas pour les RCP-NS. Il n’est pas impossible que la disponibilité ou non d’une méthode thérapeutique influence le choix du traitement proposé, ce qui pourrait induire une hétérogénéité des décisions en fonction du site de prise en charge. En résumé, cette enquête suggère l’existence d’une hétérogénéité des RCP prenant en charge les malades atteints de CHC. La deuxième constatation importante de l’enquête est un moindre accès aux essais cliniques dans les RCP-NS, où aucun essai n’était disponible dans 40 % des cas. Cette information est cohérente avec les données de l’observatoire CHANGH : seulement 4 % des 1 200 patients atteints de CHC pris en charge dans les CH ont été inclus dans un essai thérapeutique [5]. Ces données sont préoccupantes alors qu’il est démontré que les patients présentés en RCP ont plus de chances que les autres d’être inclus dans un essai thérapeutique [6], et alors qu’il a été montré que des patients atteints de cancer participant à un essai avaient un niveau de satisfaction vis-à-vis de leur prise en charge significativement supérieur à celui des patients n’y participant pas [7]. Le manque d’inclusions dans des essais est également problématique au regard des nombreux problèmes encore posés, en terme de stratégie et de ressources thérapeutiques pour les malades atteints de CHC, compte tenu aussi de l’arrivée de nouvelles thérapies ciblées pour le traitement palliatif, et si on rappelle que l’accès aux essais cliniques est l’un des six critères qualitatifs permettant aux établissements de soins d’être « autorisés » à pratiquer les traitements du cancer.

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J.-C. Barbare, et al. Plusieurs explications peuvent être avancées : l’offre en termes d’essais pourrait être insuffisante et/ou inadaptée, pour les centres non universitaires en particulier. Il faut toutefois noter les actions des groupes coopérateurs avec mise à disposition par la FFCD de deux essais « simples » évaluant la pravastatine en traitement palliatif. Le manque de soutien des investigateurs en termes de personnel de recherche clinique pourrait être une autre explication, mais les groupes coopérateurs aident les investigateurs, et les équipes mobiles de recherche clinique de l’INCa, constituées de 70 ETP répartis sur tout le territoire, ont pour mission d’aider les investigateurs. Une troisième explication pourrait être la surcharge de travail des médecins en termes de soins et de tâches administratives. Les patients pourraient d’autre part être moins enclins à accepter l’inclusion dans un essai dans un CH que dans une grande structure « spécialisée ». Enfin, il peut s’agir d’un problème de formation et de motivation pour la recherche clinique, et des actions en ce sens devraient évidemment être menées. La troisième constatation est que dans certains cas cliniques, il a été constaté une différence de proposition thérapeutique en fonction du type de RCP. Aucune de ces différences n’était statistiquement significative. Un défaut de puissance lié à un effectif de centres insuffisant pourrait expliquer ce résultat. Il convient évidemment de ne pas tirer des conclusions radicales de cette enquête, en l’absence de preuve statistique, la réalisation et l’interprétation de cas cliniques étant toujours délicate et sujette à discussion. Néanmoins, les différences constatées compatibles avec une moins bonne application des référentiels dans les RCP-NS, suggèrent la réalisation d’études fondées non plus sur une enquête, mais sur l’analyse de dossiers médicaux et des fiches RCP de patients atteints de CHC, ayant pour but, comme le recommande Jean-Paul Vernant pour le troisième Plan cancer [8], une analyse qualitative des RCP. Ces études pourraient interroger et analyser l’application des référentiels, la qualité des fiches RCP et le respect des recommandations de la RCP, ainsi que les facteurs prédictifs de ces paramètres. S’il se confirmait une hétérogénéité des propositions thérapeutiques en fonction du type de RCP, des mesures visant l’équité et l’homogénéité des avis sur le territoire seraient nécessaires. En définitive, si l’on suppose représentatifs les résultats de cette enquête, on est conduit à poser la question suivante : tous les dossiers de CHC doivent-ils être présentés en RCP spécialisée ? La situation actuelle consiste, comme pour tout cancer, à présenter le dossier en RCP de proximité, avec recours possible à une RCP spécialisée dite « de recours » lorsque la décision ne peut être prise en première intention. Mais en matière de CHC, les situations cliniques nécessitant le recours à l’expertise semblent nombreuses et probablement non consensuelles : validation du diagnostic de cancer sur des critères dits non invasifs, discussion de transplantation en dehors des critères de Milan, doute sur la curabilité d’un CHC unique volumineux chez un malades Child-Pugh A, traitement recommandé non disponible dans le centre de proximité, discussion au cas par cas entre radiofréquence et résection, indication d’un traitement en évaluation telle que

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la radioembolisation, problématiques des séquences complexes avec traitements associés, ou du traitement des récidives, patient pouvant et/ou souhaitant être inclus dans un essai thérapeutique. . . On peut considérer comme idéale la solution qui consisterait à discuter le dossier de tous les patients atteints de CHC en RCP spécialisée, mais cette solution paraît difficilement réalisable en l’état et peut-être même contraire aux principes d’équité territoriale qui a prévalu aux orientations des Plans cancer. Les RCP de recours déjà surchargées crouleraient littéralement sous les dossiers, ce qui ne risquerait d’entraîner une autre forme de perte de chance avec allongement des délais de prise en charge, sans parler de la perte de qualité des soins si tous les patients atteints de CHC devaient se rendre dans un centre éloigné de leur domicile. Il convient toutefois de noter que des études ont montré l’existence de déterminants géographiques pour la durée de survie des patients atteints de cancer. Il a été constaté en France que, pour les patients atteints de cancer digestif, l’éloignement du lieu d’habitation par rapport au centre de référence le plus proche diminuait la probabilité d’être pris en charge dans le centre de référence et surtout avait une influence négative sur la durée de survie [9]. Si les résultats de nouvelles études allaient dans le même sens que cette enquête, les autorités de santé et les responsables médicaux, notamment au sein des sociétés savantes, auraient à se pencher sur le problème « RCP-CHC ». Dans cette perspective, on pourrait recommander une stratégie en deux temps. Le premier consisterait à valider sur le territoire un nombre limité de RCP « expertes » ou spécialisées dans le CHC. Cela nécessiterait la rédaction d’un cahier des charges définissant les ressources nécessaires et l’organisation. Le second temps serait la mise en réseau des RCP de première intention autour de ces centres experts pour organiser le recours systématique aux RCP spécialisées pour les patients atteints (ou suspectés d’être atteints) de CHC. Il semblerait enfin souhaitable que ces RCP soient consacrées aux « tumeurs primitives du foie », et non pas seulement au CHC, dans la mesure où les cholangiocarcinomes et les tumeurs hépatiques bénignes nécessitent les mêmes compétences et ressources.  Liens d’intérêts : Ce travail a été supporté par le laboratoire Bayer qui a réuni les experts auteurs pour la réalisation des cas cliniques. Il n’y a pas eu de rétribution des auteurs pour ce travail.

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