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Volume 101 • N◦ 2 • février 2014 John Libbey Eurotext

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Tumeurs du haut appareil urinaire et syndrome de Lynch : doit-on proposer un dépistage systématique ? Should we systematically Screen for Lynch syndrome in Patients with upper urinary tract carcinoma? Giscard S. Olagui1 , Géraldine Pignot1,2 , Alexandre Rouquette2,3 , Annick Vieillefond3 , Delphine Amsellem-Ouazana1 , Nicolas Barry de Longchamps1,2 , Brigitte Radenen2,3 , Marc Zerbib1,2 , Benoit Terris2,3 1

Article rec¸u le 31 aoˆut 2013, accepté le 08 octobre 2013 Tirés à part : G. Pignot

Hôpital Cochin, AP-HP, service d’urologie, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France 2 Université Paris-Descartes, Sorbonne-Paris-Cité, faculté de sciences et de médecine, 75014 Paris, France 3 Hôpital Cochin, AP-HP, service d’anatomopathologie, 75014 Paris, France

Pour citer cet article : Olagui GS, Pignot G, Rouquette A, Vieillefond A, Amsellem-Ouazana D, Longchamps NBd, Radenen B, Zerbib M, Terris B. Tumeurs du haut appareil urinaire et syndrome de Lynch : doit-on proposer un dépistage systématique ? Bull Cancer 2014 ; 101 : 144-50. doi : 10.1684/bdc.2014.1896.

Résumé. But. Le but de notre étude était d’établir la fréquence de l’instabilité microsatellitaire chez les patients atteints d’une tumeur de la voie excrétrice supérieure (TVES) et d’évaluer les avantages cliniques d’un dépistage systématique. Matériel. À partir de 146 patients opérés d’une TVES dans notre centre, une analyse immunohistochimique par tissue microarray (TMA) a été réalisée, afin de détecter une altération des gènes de réparation des mésappariements (MisMatched Repair [MMR]). Lorsqu’une tumeur avait une perte d’expression de l’une de ces protéines, l’instabilité microsatellitaire était validée au niveau moléculaire par l’étude de cinq microsatellites après amplification PCR. Résultats. En immunohistochimie, une perte d’expression nucléaire pour au moins une des quatre protéines testées étaient détectées chez sept patients (4,8 %). Le statut microsatellite instable a été validé pour cinq de ces sept cas en biologie moléculaire (3,4 %). Les caractéristiques clinicopathologiques et les données de survie ne différaient pas significativement chez les patients ayant une instabilité par rapport aux autres patients. Conclusion. À la différence des tumeurs coliques, l’inactivation de la voie MMR a été rarement observée dans les TVES, avec une bonne valeur prédictive de l’immunohistochimie. Le dépistage immunohistochimique ne semble pas devoir être proposé de fac¸on systématique en pratique quotidienne. 

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Key words: upper urinary tract carcinoma, Lynch syndrome, immunochemistry, microsatellite instability

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doi : 10.1684/bdc.2014.1896

Mots clés : tumeur de la voie excrétrice supérieure, syndrome de Lynch, immunohistochimie, instabilité microsatellite

Abstract. Objective. The data describing the urologic extracolonic cancers associated with Lynch syndrome (hereditary non-polyposis colorectal cancer [HNPCC]) are variable. The aim of our study was to establish the frequency of mutations in mismatch repair (MMR) genes in patients with upper urinary tract transitional cell carcinoma (UUT-TCC) and to evaluate the clinical benefits of a systematic screening. Methods. Specimen blocks were obtained from 146 patients treated for UUT-TCC in our center. Clinicopathological characteristics and survival data of patients were collected (median follow-up = 42.5 months). Immunohistochemistry was performed by tissue microarray (TMA), in order to detect mutations in mismatch repair genes. Results obtained after TMA analysis were confirmed at a molecular level by microsatellite instability (MSI) analysis. Results. Mutations in mismatch repair genes were detected in seven patients (4.8%) at immunohistochemistry screening, and confirmed by MSI analysis for five of them (3.4%). Clinicopathological characteristics and survival data did not differ significantly in patients with instability compared with patients without. After a median follow-up of 42.5 months, none of them experienced a new HNPCC manifestation. Conclusion. The frequency of mutations in mismatch repair genes in UUT-TCC was very low, with a good accuracy of immunohistochemistry. Systematic screening should not be proposed in daily practice. 

Tumeurs du haut appareil urinaire et syndrome de Lynch

Introduction Le syndrome de Lynch ou syndrome Hereditary nonpolyposis colorectal cancer (HNPCC) est une affection autosomique dominante causée par la mutation de gènes appartenant au système de réparation des mésappariements de l’ADN, MMR (MisMatch Repair). C’est la cause la plus fréquente de cancer colorectal héréditaire (1 à 2 % de l’ensemble des cancers colorectaux) [1]. Ce syndrome de prédisposition héréditaire regroupe également d’autres cancers rassemblés en spectre étroit et large, et dont l’atteinte des voies excrétrices constitue la troisième localisation en termes de fréquence derrière le rectum et l’utérus (hors côlon) [1, 2]. La suspicion diagnostique doit donc se baser sur l’existence d’une néoplasie colique (adénome ou cancer) dans un contexte familial. C’est ce dernier qui a fait élaborer des critères cliniques du syndrome, dits d’Amsterdam I (établi en 1991 par le consortium international) puis révisé en Amsterdam II [3], qui sont des critères très sélectifs, nécessaires aux études épidémiologiques. D’autres critères, dits de Bethesda [4], moins sélectifs mais plus sensibles, permettent de détecter plus de familles à risque, avec une perte de spécificité importante. Le dysfonctionnement du système MMR est responsable de l’accumulation de multiples altérations sur l’ADN tumoral. Ces altérations concernent en particulier de très nombreuses séquences répétitives réparties sur l’ensemble du génome appelées microsatellites. En cas de de déficit de ce système, les microsatellites deviennent ainsi instables. Sur la base des critères, notamment de Bethesda, une recherche d’instabilité des microsatellites par biologie moléculaire est recommandée [5-11]. Cependant, en raison d’une spécificité et sensibilité relativement similaires, la détection des déficits MMR est de plus en plus souvent effectuée par immunohistochimie (IHC) sur coupe histologique avec les anticorps anti-MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2 [12, 13]. La perte d’expression nucléaire de l’une de ces quatre protéines constituant le complexe de réparation, traduit non seulement la dégradation de ce système mais permet également d’identifier l’altération génique causale. Les patients avec un phénotype microsatellite instable (MSI) sont adressés en consultation oncogénétique pour une recherche dans le sang d’une mutation constitutionnelle de l’un de ces gènes par séquenc¸age permettant de confirmer le diagnostic de syndrome de Lynch [9, 11, 14]. Les travaux récents de Watson et al. évoquaient une fréquence élevée, de l’ordre de 6 %, des TVES chez les patients ayant un syndrome de Lynch [15]. Par contre, très peu de données sont disponibles concernant la fréquence du syndrome de Lynch dans une population donnée de TVES. Il est donc légitime de se poser la question de l’intérêt d’un dépistage systématique du

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syndrome de Lynch chez un patient pris en charge pour une TVES. Nous présentons les résultats d’une étude monocentrique concernant sur 146 patients pris en charge pour une TVES et chez qui nous avons recherché de fac¸on systématique un dysfonctionnement du système MMR en faveur d’un syndrome de Lynch.

Matériel et méthodes Il s’agit d’une étude rétrospective concernant sur une série de 146 patients consécutifs pris en charge pour une TVES dans le service d’urologie de l’hôpital Cochin entre janvier 1998 et décembre 2007. Tous les patients ont eu un traitement chirurgical par néphro-urétérostomie ou par urétérostomie segmentaire (figure 1). Aucun patient n’a rec¸u de chimiothérapie néoadjuvante. Ont été inclus dans cette étude tout patient avec une histologie de carcinome urothélial de la voie excrétrice supérieure, et ce quel que soit le grade, le stade histologique, le statut ganglionnaire. Une analyse IHC par tissue microarray (TMA) a été réalisée pour l’ensemble de la cohorte permettant d’étudier la conservation de l’expression nucléaire ou non des protéines MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2. Pour chaque cas, trois carottes biopsiques réalisées dans des territoires tumoraux distincts étaient incluses dans le bloc de TMA. Le déparaffinage et la technique IHC ont été réalisés sur un automate Bond-Max (Leica-Ménarini). L’IHC a été effectuée avec les anticorps anti-MLH1 (dilution 1/100, BD Pharmingen), anti-MHS2 (dilution 1/200, Invitrogen), anti-MSH6 (dilution 1/200, BD Pharmingen) et anti-PMS2 (dilution 1/300, BD Pharmingen). Lorsqu’une perte d’expression d’au moins une des protéines était détectée en IHC, une recherche d’une instabilité microsatellitaire était réalisée sur l’ADN tumoral extrait depuis le bloc de paraffine à partir duquel le TMA a été construit. Celle-ci était réalisée après amplification par PCR de cinq marqueurs mononucléotidiques quasi-monomorphes (BAT25, BAT26, NR21, NR24 et NR27) [16]. Lorsqu’au moins trois de ces marqueurs étaient instables, la tumeur était considérée comme ayant un phénotype MSI. Cette analyse moléculaire a également été réalisée sur 15 tumeurs ayant conservé l’expression de ces quatre protéines constituant ainsi un groupe témoin. Les résultats moléculaires ont été corrélés aux données de suivi des 146 patients. Les données concernant les autres localisations du syndrome de Lynch ont été renseignées dans la base de données. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel SEM. Un intervalle de confiance de 95 % (p < 0,05) était requis pour définir le seuil de significativité statistique.

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G.S. Olagui, et al.

Figure 1. Urétérectomie segmentaire renfermant macroscopiquement une tumeur urothéliale bourgeonnante.

Résultats Données cliniques L’âge médian des patients pris en charge était de 66,2 ans [37,3-89,6]. Cent-quatre (71,2 %) étaient des hommes et 42 (28,8 %) des femmes, avec un sexratio de 2,5/1. Près de la moitié des patients étaient fumeurs (n = 77, soit 52,7 %). L’hématurie macroscopique a été le principal motif de consultation. Douze patients (8,2 %) avaient des critères cliniques suspects de syndrome de Lynch (selon les critères de Bethesda [4]). Quarante et un patients (28,1 %) avaient des antécédents de tumeur de vessie et 19 patients (13,0 %) avaient une atteinte vésicale synchrone au moment du diagnostic. Quarante-neuf patients (33,6 %) ont eu une tumeur de vessie d’apparition métachrone au cours du suivi. Les tumeurs siégeaient au niveau des cavités pyélocalicielles dans 55,5 % des cas (81/146), au niveau de l’uretère dans 29,5 % (43/146) et au niveau des deux dans 15 % (22/146). Les lésions étaient multifocales dans 29,5 % (43/146). À l’analyse histologique, les stades se répartissaient ainsi : 37 % de pTa, 27 % de pT1, 10 % de pT2, 22 % pT3, 4 % pT4, avec 54 % de bas grade (vs 46 % de haut grade). Des lésions de cis étaient notées dans 6,8 % des cas (10 patients).

Immunohistochimie (figures 2 et 3) En analyse IHC, sept patients (soit 5 % de la cohorte) avaient une perte d’expression d’au moins une pro-

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téine : pour cinq patients, l’extinction intéressait de fac¸on synchrone les protéines MSH2 et MSH6, pour un autre, cette extinction synchrone était associée à une perte d’expression de MLH1 et, pour le dernier, seule une perte d’expression de MLH1 était observée.

Instabilité microsatellitaire Un phénotype microsatellite stable était observé pour le groupe des 15 tumeurs témoins qui avaient une conservation de l’expression des quatre protéines en IHC. En revanche, une instabilité microsatellitaire (MSI+) était observée pour cinq des sept tumeurs (71 %) qui avaient une perte d’expression protéique. Toutes révélaient une extinction de MSH2 et MSH6. L’analyse des critères cliniques de ces cinq patients ayant des tumeurs microsatellites instables n’a pas permis de retrouver de facteurs distinctifs par rapport au reste de la cohorte. L’âge médian était de 63 ans (44-72) et un seul patient avait moins de 50 ans. Une patiente avait des antécédents familiaux de cancer entrant dans le cadre d’un syndrome de Lynch selon les critères de Bethesda. Il n’y avait pas de différence significative entre ces cinq patients MSI+ et le reste de la cohorte concernant l’âge, le sexe, la multifocalité, la localisation tumorale, le statut N et M, le grade, l’existence d’une invasion lymphovasculaire ou d’un stroma inflammatoire et l’existence d’une tumeur de vessie antérieure ou synchrone (tableau 1). En revanche, les tumeurs microsatellites instables avaient un stade moins avancé Bull Cancer vol. 101 • N◦ 2 • février 2014

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0

100

200

300 μm

Figure 2. Immunohistochimie mettant en évidence la conservation de l’expression nucléaire de la protéine MSH2 au sein des cellules tumorales.

0

100

200

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400 μm

Figure 3. Immunohistochimie révélant la perte d’expression nucléaire de la protéine MSH2 dans la composante tumorale alors qu’il persiste une expression au sein des cellules endothéliales (témoin interne).

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G.S. Olagui, et al. Tableau 1. Caractéristiques cliniques et histologiques des 146 patients pris en charge pour une tumeur de la voie excrétrice supérieure (TVES) selon le statut microsatellitaire (MSI). Variable Âge (années) Médian [min-max] Sexe (%) Masculin Féminin Tabagisme (%) Oui Non Multifocalité (%) Oui Non Localisation tumorale (%) Uretère Cavités pyélocalicielles Uretère et cavités pyélocalicielles Stade tumoral T (%) Ta T1 T2 T3 T4 cis associé (%) Oui Non Statut ganglionnaire N (%) N0 N+ Statut métastatique M (%) M0 M+ Grade (%) Bas grade Haut grade Invasion lymphovasculaire Oui Non Tumeur de vessie antérieure Oui Non Tumeur de vessie synchrone Oui Non Tumeur de vessie métachrone Oui Non

TVES avec instabilité (n = 5)

TVES sans instabilité (n = 141)

p

63,0 [44,9-72,0]

68,9 [37,3-89,6]

0,17

3 (60,0) 2 (40,0)

101 (71,6) 40 (28,4)

0,95*

2 (40,0) 3 (60,0)

75 (53,2) 66 (46,8)

0,90*

1 (20,0) 4 (80,0)

42 (29,8) 99 (70,2)

0,98*

2 (40,0) 2 (40,0) 1 (20,0)

41 (29,1) 79 (56,0) 21 (14,9)

0,78*

2 (40,0) 0 (0,0) 2 (40,0) 0 (0,0) 1 (20,0)

52 (36,9) 40 (28,4) 12 (8,5) 32 (22,7) 5 (3,5)

0 (0,0) 5 (100,0)

10 (7,1) 131 (93,9)

0,78*

4 (80,0) 1 (20,0)

131 (93,9) 10 (7,1)

0,83*

4 (80,0) 1 (20,0)

133 (94,3) 8 (5,7)

0,72*

3 (60,0) 2 (40,0)

76 (53,9) 65 (46,1)

0,85*

0 (0,0) 5 (100,0)

19 (13,5) 122 (86,5)

0 (0,0) 5 (100,0)

41 (29,1) 100 (70,9)

0 (0,0) 5 (100,0)

19 (13,5) 122 (86,5)

1 (20,0) 4 (80,0)

48 (34,0) 93 (66,0)

0,03*

0,84*

0,36* 0,84*

0,86*

* Chi2 test ;  Student test

au diagnostic, avec une différence faiblement significative (p = 0,03). Au cours du suivi (suivi médian 42,5 [1-140] mois), huit patients (5,5 %) ont développé une tumeur pouvant entrer dans le spectre du syndrome de Lynch. Un seul de ces patients, indemne de tous critères de Bethesda avant la prise en charge de sa TVES, faisait partie des cinq patients ayant une tumeur MSI. Il n’y avait pas de différence significative sur les données de la survie globale entre ces cinq patients et le reste de la cohorte.

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Discussion Le syndrome de Lynch (ou HNPCC) est une problématique majeure dans la prise en charge des cancers colorectaux, posant le problème de sa reconnaissance au sein de l’ensemble des formes sporadiques. En effet, leur phénotype n’est pas spécifique même s’il existe des caractéristiques cliniques évocatrices tels que le caractère familial, l’âge précoce, le caractère multifocal et la localisation colique droite. C’est la précocité de l’âge au diagnostic et son association possible à Bull Cancer vol. 101 • N◦ 2 • février 2014

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d’autres tumeurs (notamment de l’endomètre et de la voie excrétrice supérieure) qui font souvent évoquer le diagnostic [10, 17]. Or il est actuellement bien établi que le dépistage du syndrome de Lynch permet d’en réduire drastiquement la morbidité et la mortalité [1, 3, 18]. Les critères d’Amsterdam sont des critères regroupant les principaux facteurs de risque du syndrome de Lynch [3]. Ces critères, existant chez seulement 2,8 % des patients qui développent un cancer colorectal, sont relativement spécifiques puisque 60 % des familles répondant à ces critères ont une mutation délétère causale du syndrome de lynch. Ils sont en revanche peu sensibles avec une faible valeur prédictive négative puisque 80 % des syndromes de Lynch ne sont pas détectés par ces critères [1]. Les critères cliniques de Bethesda ont été choisis, pour atteindre une meilleure sensibilité. Ils existent chez 25 % des patients ayant un cancer colorectal [4]. Cette augmentation de sensibilité se fait au prix d’une perte de spécificité puisque seuls 20 % des familles répondant à ces critères ont une mutation délétère causale du syndrome de Lynch. Cette perte de spécificité peut être compensée dans un premier temps par la réalisation en parallèle d’une recherche de MSI ou d’une analyse IHC, avant de confirmer ces données par un séquenc¸age de l’ADN. L’incidence de survenue d’une TVES dans la population générale est estimée à 0,7/100 000 personne par an. Ce risque est accru de 22 % chez les patients ayant un syndrome de Lynch [8]. La mutation du gène MSH2 semble corrélée de manière significative au risque de survenue d’une TVES, ainsi que d’une tumeur urothéliale de vessie, comme l’a mis en évidence van der Post et al. dans une étude récente [11]. Cependant, les données de la littérature restent relativement pauvres chez les patients initialement pris en charge pour une TVES. Nous avons cherché à déterminer, par cette étude rétrospective, la fréquence du syndrome de Lynch de l’ensemble des patients opérés d’une TVES, au cours de la dernière décennie dans notre centre, indépendamment de l’existence ou non de facteurs de risque cliniques connus. En effet, seuls 12 patients entraient initialement dans le cadre des critères de Bethesda. Nous avons choisi de procéder en deux étapes : la première étape consistait en une analyse IHC qui constitue un examen de routine, facile à utiliser et rapidement disponible dans le cadre d’une politique de dépistage. Bien que cette technique possède une spécificité et sensibilité proche de la détermination de l’instabilité microsatellitaire, des problèmes de fixation peuvent parfois être à l’origine d’une perte ou d’une faible expression nucléaire de l’une ou plusieurs de ces protéines, comme dans l’un de notre cas. La deuxième étape avait pour but de confirmer un dysfonctionnement du système MMR par la recherche moléculaire d’une instabilité microsatellitaire dans les tumeurs ayant une perte d’expression en IHC. Dans Bull Cancer vol. 101 • N◦ 2 • février 2014

cinq cas sur sept, les résultats obtenus au cours de la première étape ont été confirmés ce qui est plutôt en faveur d’une fiabilité des résultats obtenus en IHC. Cela est également conforté par le fait qu’aucune instabilité microsatellitaire n’a été identifiée au sein des 15 tumeurs témoins sans perte d’expression protéique. Il existait néanmoins deux faux négatifs en IHC, les résultats n’ayant pas été confirmés par l’analyse moléculaire. La sensibilité et la valeur prédictive positive de l’IHC semblent donc tout à fait intéressante dans le cadre d’un examen de dépistage. Les gènes de réparation des mésappariements de l’ADN actuellement testés en routine sont MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2. Les deux premiers sont les plus fréquemment altérés dans le cadre du syndrome de Lynch, puisque 85 % des mutations concernent l’un de ces deux gènes (versus seulement 10 % pour MSH6 et moins de 5 % pour PMS2) [8, 10, 19]. Parce que ces protéines agissent sous forme d’hétérodimères MLH1PMS2 et MSH2-MSH6, l’inactivation d’une des deux protéines affecte l’expression de la protéine partenaire. Ainsi, toutes les tumeurs dans notre étude qui avaient une extinction de la protéine MSH2 avaient également une extinction de la protéine MSH6. Ces observations plaident en faveur d’une altération constitutionnelle de MSH2 dans tous les cas. Notre large étude monocentrique a permis de mettre en évidence qu’un faible nombre de TVES avait un phénotype MSI (5/146 dans notre étude, soit 3,4 %) et que l’atteinte constitutionnelle de MSH2 semble être préférentielle dans cette localisation. De fac¸on également surprenante, l’âge au diagnostic des patients ayant une instabilité microsatellite était relativement tardif et aucun d’entre eux n’avaient d’antécédents d’adénocarcinome colique (une seule patiente avait des antécédents familiaux au premier degré). Or, il est habituellement admis que le syndrome de Lynch est le plus souvent diagnostiqué avant l’âge de 50 ans [10, 11, 20] et que les manifestations coliques sont les plus précoces [5, 8, 9, 15]. Par ailleurs, au cours du suivi, seul un patient a développé une localisation colique. Notre hypothèse est qu’il pourrait donc s’agir en fait d’un phénotype mosaïque, correspondant à l’existence d’une sous-population de cellules au génotype différent au sein d’un tissu spécifique (l’urothélium). Ce mosaïcisme résulterait d’une mutation survenant au cours du développement et se propageant à un seul sous-groupe cellulaire. Cette hypothèse ne pourrait être confirmée que par des analyses génétiques complémentaires à partir de prélèvements sériques et non-tumoraux. Dans tous les cas, contrairement à ce qui était présumé jusque-là [5], le dépistage du syndrome de Lynch chez nos patients atteints de TVES ne semble pas se justifier de fac¸on systématique en raison de sa faible incidence par ailleurs, et de l’absence de critères de sélection suffisamment spécifiques et adaptés à cette population. Par ailleurs, la découverte d’un syndrome

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de Lynch chez les patients diagnostiqués pour une TVES ne semblait pas impacter le pronostic (un seul patient décédé de sa maladie urothéliale) ni prédire la survenue d’événements ultérieurs (un seul événement colorectal au cours du suivi). Cette étude monocentrique comporte certaines limites. Tout d’abord, la recherche d’instabilité microsatellitaire n’a été réalisée que chez les patients ayant une altération de l’expression protéique en IHC, et non dans l’ensemble de la cohorte. Ainsi, il est difficile de préciser l’existence ou non de faux négatifs au sein des patients ayant une expression protéique jugée normale en IHC, cette technique restant d’interprétation subjective et pathologiste-dépendant. Notre centre étant référent dans la prise en charge digestive des patients atteints du syndrome de Lynch, la reproductibilité de cette méthode de détection doit donc être idéalement évaluée de fac¸on prospective sur une cohorte multicentrique. Par ailleurs, le faible nombre de patients MSI+ rendait difficile les comparaisons de groupe et les analyses de survie. Il serait donc intéressant de pouvoir conduire cette analyse à plus grande échelle.

Conclusion La fréquence des mutations affectant les gènes de réparation des mésappariements chez les patients pris en charge pour une TVES était très faible dans notre étude, avec une bonne valeur prédictive de l’IHC. Il n’y avait pas de critères cliniques permettant de repérer les patients potentiellement atteints de mutations des gènes de réparation des mésappariements. Le dépistage IHC ne semble pas devoir être proposé de fac¸on systématique en pratique quotidienne.  Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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[Should we systematically screen for Lynch syndrome in patients with upper urinary tract carcinoma?].

The data describing the urologic extracolonic cancers associated with Lynch syndrome (hereditary non-polyposis colorectal cancer [HNPCC]) are variable...
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