Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 42 (2014) 557–558

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E´ditorial

AMP « socie´tale » : pourquoi tant de peur ? ‘‘Societal’’ assisted reproductive technology: Why so scared? I N F O A R T I C L E

Mots cle´s : AMP socie´tale Gestation pour autrui Conge´lation d’ovocyte Keywords: Societal ART Gestational surrogacy Oocyte cryopreservation

Dans la loi franc¸aise dite de bioe´thique de 2011 (comme dans les pre´ce´dentes), l’article L. 241-2 pre´cise que l’assistance me´dicale a` la procre´ation (AMP) a pour objet de reme´dier a` l’infertilite´ d’un couple ou d’e´viter la transmission a` l’enfant ou a` un membre du couple d’une maladie d’une particulie`re gravite´. Le caracte`re pathologique de l’infertilite´ doit eˆtre me´dicalement diagnostique´. L’homme et la femme formant le couple doivent eˆtre en aˆge de procre´er et consentir pre´alablement au transfert des embryons ou a` l’inse´mination. En clair, en France, l’AMP est re´serve´e aux couples he´te´rosexuels pre´sentant une infertilite´ me´dicalement constate´e et dont les 2 membres sont en vie. Sont donc hors la loi la prise en charge des couples homosexuels de femmes ou d’hommes, les inse´minations ou transferts d’embryons post-mortem si le conjoint est de´ce´de´, les dons d’ovocytes apre`s l’aˆge de la me´nopause, tandis que l’autoconservation n’est autorise´e qu’avant traitement potentiellement ste´rilisant. L’AMP dite socie´tale consiste a` utiliser les techniques d’AMP (FIV/ICSI, inse´mination, conge´lation d’ovocyte ou d’embryon) dans des cas ou` il n’y a pas d’infertilite´ me´dicalement constate´e tels la prise en charge des couples homosexuels ou l’autoconservation des ovocytes pour lutter contre le de´clin de la fertilite´ avec l’aˆge. On inclut souvent dans ces indications dites socie´tales la GPA ou gestation pour autrui (qui est cependant le traitement d’une infertilite´ bien me´dicale lie´e a` l’absence d’ute´rus). Pourquoi ces extensions de l’AMP soule`ventelles tant de peur dans notre pays ? Elles sont re´alise´es dans des pays voisins sans e´tats d’aˆme et sans manifestations de la rue. Les couples homosexuels fe´minins peuvent recourir a` l’AMP dans de nombreux pays voisins (Belgique, Danemark, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni). La GPA est tole´re´e en Belgique, au Danemark, en Finlande, en Gre`ce, en Roumanie, aux Pays-Bas, au Canada et dans certains E´tats des E´tats-Unis. L’Israe¨l, la Grande-Bretagne, la Russie et l’Ukraine l’autorisent et l’encadrent. L’autoconservation de

http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2014.07.012 1297-9589/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

convenance est possible entre autres en Espagne, en Italie, en Belgique, aux E´tats-Unis. Comment expliquer ces disparite´s ? Pennings attribue les diffe´rences d’attitudes des diffe´rents parlements aux religions et aux traditions diffe´rentes [1]. Comment admettre que ce qui est le´gal d’un coˆte´ des Pyre´ne´es soit ille´gal de l’autre, les traditions et religions espagnoles et belges diffe`rentelles tant des noˆtres ? Quelle peut eˆtre est la pertinence d’une loi qui n’est pas reconnue universellement ? Au nom de quels principes la France continue-t-elle a` jouer les irre´ductibles gaulois et a` se targuer d’eˆtre la « mieux e´thique » ? Les arguments scientifiques sont parfois mis en avant mais clairement sont peu pris en compte peu. Certes, il existe des arguments contre la prise en charge des couples de femmes et plus encore d’hommes (puisque pour les hommes le recours a` la gestation pour autrui est indispensable) au premier rang desquels viennent les e´ventuels effets de´le´te`res sur les enfants de l’absence de re´fe´rent paternel mais ces effets ne sont pas de´montre´s dans la quasi-totalite´ des e´tudes scientifiques, e´tudes parfois remises en cause mais publie´es dans des revues internationales, a` comite´ de lecture. . . [2–4]. Les opinions e´voluent, comme les traditions et les re`gles. La loi anglaise adopte´e en 2008 (dite HFEA Act) a tenu compte des changements de mentalite´ (. . .) a e´largi le concept de parents en introduisant la notion de soutien parental (supportive parenting). . . Les proble`mes de filiation sont re´els mais pourraient eˆtre en grande partie re´solus par un changement de loi. Les aspects financiers et l’ine´galite´ sociale e´ventuelle, le manque de donneurs de sperme (nos amis belges font appel aux banques danoises. . .) sont des arguments re´els mais sont rarement mis en avant. A` l’inverse, la liberte´ individuelle, l’autonomie des individus, le fait que l’on peut se´parer le cas des femmes et celui des hommes, l’ine´galite´ physiologique homme/femme (les hommes n’ont toujours pas d’ute´rus, ils ne peuvent toujours pas eˆtre « enceints » malgre´ l’AMP) plaident en faveur d’une prise en charge possible au moins pour les couples de femmes comme c’est le cas dans de nombreux pays. Le comite´ d’e´thique de l’American Society of Reproductive Medicine n’a pas he´site´ a` affirmer qu’il y a obligation e´thique a` traiter e´galement toutes les personnes quels que soient leur statut marital et leurs orientations sexuelles tout en ˆ r la clause de conscience des professionnels [5]. respectant bien su Pour certains, aux E´tats-Unis tout est affaire de dollars, les Ame´ricains n’ont pas l’e´thique des Franc¸ais mais l’e´thique peut-elle eˆtre nationale ?

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E´ditorial / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 42 (2014) 557–558

La gestation pour autrui (GPA) est-elle dans toutes ses indications une AMP socie´tale ? La GPA qui permet a` un couple homosexuel d’avoir un enfant, la GPA qui permet a` la femme d’e´viter la grossesse et l’accouchement (forme moderne des nourrices d’antan) sont certes des AMP socie´tales, mais l’absence d’ute´rus conge´nitale ou acquise est une infertilite´ me´dicale, tout comme celle lie´e a` l’absence d’ovaire ou a` leur non-fonctionnement [4]. Le don d’ovocyte est conside´re´ comme une AMP le´gale et pourtant la majorite´ des candidates au don sont de´sormais des femmes de 40 ans et plus qui ont attendu pour faire leur enfant ou que la socie´te´ et parfois les me´decins ont fait attendre. Ne s’agit-il pas la` d’une infertilite´ purement socie´tale ? Les limites de l’infertilite´ socie´tale et de l’infertilite´ me´dicale sont en re´alite´ bien floues. Il est facile de dire que l’infertilite´ inexplique´e n’est pas une infertilite´ me´dicale mais c’est une infertilite´ (de´finition OMS 2009 : absence de grossesse apre`s un an de rapports sexuels non prote´ge´s [6]) et que proposer sinon l’AMP ? Attendre une grossesse spontane´e puisqu’elle est the´oriquement possible, attendre a` 25 ou 30 ans est possible mais attendre a` 35 ou 40 ans cela veut dire s’exposer a` ne jamais avoir d’enfant. Le´ridon a superbement de´montre´ que l’AMP n’est pas la baguette magique qui compense la chute de la fertilite´ avec l’aˆge [7]. La vraie question pose´e par la prise en charge de ces infertilite´s, c’est le roˆle de la me´decine et le roˆle que la socie´te´ veut bien laisser aux me´decins. En France, a e´crit Fre´de´rique Dreyfuss-Netter, le me´decin est a` la fois au service du projet parental et a` celui de la socie´te´ pour que ce projet se re´alise conforme´ment a` ce que la socie´te´ souhaite. Est-ce vraiment notre roˆle, sommes-nous la` uniquement pour traiter les proble`mes me´dicaux pathologiques de la fac¸on que la socie´te´ souhaite ? La re´ponse en 2014 et encore plus dans l’avenir me semble clairement non. Les me´decins sont certes comme tous les citoyens soumis a` la loi mais ils doivent garder leur libre arbitre ; les exemples historiques re´cents montrent bien les dangers d’une opinion contraire. Quant a` l’aspect prise en charge exclusive de la pathologie, il se discute e´galement, le vieillissement et ses conse´quences sont des phe´nome`nes physiologiques, ne´anmoins la lutte contre ses conse´quences physiques et cognitives est de´sormais reconnue comme une me´decine « normale ». Pourquoi le vieillissement ovarien n’aurait-il pas le droit d’eˆtre traite´ ou pre´venu contrairement au vieillissement cutane´ ou oculaire [8,9] ? Spe´cificite´ franc¸aise, la prise en charge a` 100 % des proble`mes d’infertilite´ par l’assurance maladie oblige a` s’interroger, les mutations de la socie´te´ doivent-elles eˆtre prises en charge par l’assurance maladie ? Actuellement, les Franc¸aises qui ont recours a` ces AMP a` l’e´tranger payent, est-il e´thique que seules les femmes qui en ont les moyens y aient acce`s ? La chirurgie esthe´tique n’est pas interdite, l’AMP apre`s 43 ans non plus, elles sont possibles mais non prises en charge. . . Plus de 30 ans apre`s la naissance de Louise Brown, plus de 5 millions de be´be´s FIV sont ne´s. Si l’AMP est devenue une technique me´dicale de routine, il n’est pas question de prendre en charge un couple, he´te´ro- ou homosexuel, sans re´flexion, sans analyser le be´ne´fice et le risque de la prise en charge mais faut-il toujours une loi restrictive ? Faire des lois qui ne peuvent eˆtre respecte´es bien longtemps conduit immanquablement a` une

impasse. . . (C. Thibault, 1995) ou au tourisme procre´atif pour ceux de nos patients qui le peuvent. . . La loi franc¸aise n’est-elle pas le reflet d’une formidable de´fiance envers le corps me´dical qui laisse´ a` lui-meˆme ferait « n’importe quoi » ? Sans qu’il soit question de se laisser guider par l’e´volution des techniques et de la socie´te´, il est impossible de ne pas en tenir compte. Le me´decin de la reproduction ne peut eˆtre re´duit a` un robot obe´issant mais ne pensant pas, il doit eˆtre associe´ a` la re´flexion. L’autoconservation ovocytaire de convenance, l’homoparentalite´, la GPA existent d’ores et de´ja` autour de nous [8]. La question n’est donc plus de les refuser, mais que les institutions de notre pays, en collaboration avec les me´decins de la femme et de la reproduction, la socie´te´ civile et les personnes concerne´es, y re´fle´chissent sans arrie`re-pense´es religieuses ou autres, en ne prenant en compte que le bien des couples et des enfants, sans se laisser intimider par des re´actions de la rue parfois violentes, tout en respectant la clause de conscience des professionnels. ˆ ts De´claration d’inte´re L’auteur de´clare ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Pennings G. International evolution of legislation and guidelines in medically assisted reproduction. Reprod Biomed Online 2009;18(S2):S15–8. [2] Golombok S, Spencer A, Rutter M. Children in lesbian and single parents households: psychosexual and psychiatric appraisal. J Child Psychol Psychiatry 1983;24:551–72. [3] Greenfeld D. Reproduction in the same sex couple: quality of parenting and child development. Curr Opin Obstet Gynecol 2005;17:309–12. [4] Belaisch-Allart J. L’acce`s a` l’assistance me´dicale a` la procre´ation, la gestation pour autrui, l’homoparentalite´. Gynecol Obstet Fertil 2012;40(NS):3–7. [5] The Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine. Access to fertility treatment by gays, lesbians, and unmarried persons. Fertil Steril 2006;86:1333–5. [6] Zegers-Hochschild F, Adamson DJ, de Mouzon J, Ishihara O, Mansour R, Nygren K, et al. International Committee for Monitoring Assisted Reproductive Technology (ICMART) and the World Health Organization (WHO) revised glossary of ART terminology. Fertil Steril 2009;92:1520–4. [7] Le´ridon H. Can assisted reproduction technology compensate for the natural decline in fertility with age? A model assessment. Hum Reprod 2004;19:1548–53. [8] Belaisch-Allart J, Darai E, Levy G, Epelboin S, Hedon B, Merviel P, et al. Re´flexions sur les indications socie´tales de la pre´servation de la fertilite´ fe´minine. Med Reprod Gynecol Obstet 2013;15:111–8. [9] Belaisch-Allart J, Brzakowski M, Chouraqui A, Grefenstette I, Mayenga JM, Muller E, et al. Conservation ovocytaire, quelle proble´matique ? Gynecol Obstet Fertil 2013;41:518–20.

J. Belaisch-Allart Service de gyne´cologie-obste´trique et de me´decine de la reproduction, centre hospitalier des Quatre-Villes, site de Se`vres, 141, Grande-Rue, 92318 Se`vres cedex, France Adresse e-mail : [email protected] Rec¸u le 8 juillet 2014 ˆ t 2014 Disponible sur Internet le 20 aou

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