Thérapie 2013 Novembre-Décembre; 68 (6): 361–368 DOI: 10.2515/therapie/2013061

PHARMACOVIGILANCE

© 2013 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Étude de l’allergie croisée entre les différents inhibiteurs de la pompe à protons Serria Hammami, Hanen Affes, Kamilia Ksouda, Manel Feki, Zouheir Sahnoun et Khaled Mounir Zeghal Laboratoire de Pharmacologie, Faculté de Médecine, Sfax, Tunisie Texte reçu le 30 mai 2013 ; accepté le 21 octobre 2013 Mots clés : effet indésirable ; inhibiteurs de la pompe à protons ; réactions croisées

Résumé – Bien que des réactions allergiques aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) aient été décrites par certains auteurs, la présence de réactions croisées entre les différentes molécules est un sujet de discussion. Le but de notre travail est d’analyser tous les cas de réactions cutanées allergiques aux IPP notifiés au service régional de pharmacovigilance de Sfax durant une période de 12 ans allant du mois d’août 2000 au mois de juillet 2012 et d’évaluer la possibilité de réactions croisées entre les différentes molécules de cette classe. Une enquête de pharmacovigilance a été réalisée pour chaque cas selon la méthode française d'imputabilité. Nous avons convoqué ensuite, tous les patients qui ont développé une réaction allergique à un IPP avec une imputabilité plausible ou vraisemblable. Un patch-test à toute les molécules a été réalisé afin d’étudier la possibilité d’allergie croisée entre les IPP. Trente-sept patients ont développé des réactions cutanées aux IPP durant une période de 12 ans, avec un total de 1 172 toxidermies, soit 3 % du total des toxidermies rapportées au centre de pharmacovigilance de Sfax. La toxidermie la plus fréquemment observée était l’éruption maculo-papuleuse (19 cas soit 51 %), suivie de l’urticaire dans 9 cas (24 %). L’oméprazole était l’IPP le plus incriminé (dans 31 cas soit 83,78 %). La prise ultérieure du lansoprazole a été faite chez 5 patients ayant développé une allergie à l’oméprazole et s’est déroulée sans incidents. Les patch-tests ont été réalisés chez 6 patients ayant développé une réaction cutanée à l’oméprazole. La lecture de ces tests à 72 h a été positive à l’oméprazole dans tout les cas, et négatifs au lansoprazole dans 5 cas. Dans un tiers des cas, le lansoprazole a été une bonne alternative en cas d’allergie à l’oméprazole, à l’ésoméprazole ou au pantoprazole. Dans 1 cas, nous avons contre-indiqué tous les IPP. Dans les autres cas, une surveillance s’imposera lors de l’utilisation ultérieure du lansoprazole.

Keywords: adverse effect; proton pump inhibitors; cross reactivity

Abstract – Study of Cross Reactivity between Proton Pump Inhibitors. Although rare, anaphylactic reactions induced by PPIs have been reported. The presence of cross-reactivity between different members of the group is not clear. We analyzed all cases of allergic skin reactions to PPIs notified in regional pharmacovigilance center of Sfax during a 12 years period and assessed the possibility of cross-reactions between different molecules of this class. An enquiry of pharmacovigilance was conducted for each case according to the French imputation method. We called then, all patients who developed an allergic reaction to a PPI with a plausible or credible imputation. A patch test to all the molecules was carried out to study the possibility of cross-reactivity between PPIs. Thirty-seven patients have developed skin disease, with a total of 1 172 cutaneous adverse effects (3%) notified in our regional pharmacovigilance center. The skin disease most frequently observed was maculopapular rash (19 cases or 51%), followed by urticaria in 9 cases (24%). The omeprazole was the most implicated in the genesis of these adverse events (in 31 cases: 83.78%). Lansoprazole was administered to 5 patients having allergy to omeprazole with good tolerance. Patch tests were realized for6 patients having allergy to omeprazole. They were positive with omeprazole at 72 h in all cases and negative with lansoprazole in 5 cases. In one third of cases, lansoprazole was a good alternative at patients developing allergy to omeprazole, esomeprazole or pantoprazole. In one case we have contraindicated all PPIs. In the other cases we have preconized surveillance for the use of lansoprazole.

Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des médicaments largement utilisés en pathologies gastro-œsophagienne et

gastroduodénale. Ils agissent en inhibant la pompe H+/K+ATPase au niveau de l’estomac, ce qui explique leur puissante inhibition de la sécrétion acide gastrique. [1] L’oméprazole a été le premier médicament introduit, et depuis, d’autres IPP ont émergé, incluant

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362

Hammami et al.

le lansoprazole, le pantoprazole, le rabéprazole et l’ésoméprazole. Généralement, les IPP sont bien tolérés avec peu d’effets secondaires.[2] Cependant, des cas d’hypersensibilité immédiate ou retardée ont été décrits par certains auteurs.[1,3,4] L’existence de réactions croisées entre les différents IPP est un sujet de discussion.[5] Notre étude a pour objectif d’évaluer la possibilité de réactions croisées entre les différentes molécules d e cette classe, par la pratique d’un patch-test pour les malades chez qui, l’allergie à une molécule est fortement suspectée par la méthode française d’imputabilité. [6]

2. Patients et méthodes Notre étude est de type rétrospectif. Nous avons analysé tous les cas de réactions cutanées allergiques aux IPP notifiés au service régional de pharmacovigilance de Sfax durant une période de 12 ans allant du mois d’août 2000 au mois de juillet 2012. Une enquête de pharmacovigilance a été réalisée chez tous les patients. L’étude d’imputabilité a été faite par la méthode française d’imputabilité qui est élaborée par Dangoumeau et al.[7] en 1978 et actualisée par Bégaud et al.[6] en 1985. Cette méthode repose sur l’analyse, pour chaque cas, de l’imputabilité intrinsèque et extrinsèque de chaque médicament pris par le patient avant et au cours de l’évènement. Ensuite, nous avons convoqué, au service de pharmacovigilance, les patients ayant développé une réaction cutanée à un IPP avec une imputabilité vraisemblable ou plausible. Nous avons réalisé chez ces patients des patch-tests à cet IPP et aux différentes autres molécules (oméprazole : Belifax®, lansoprazole : Lansopral®, ésoméprazole : Ippsium®, pantoprazole : Razon®). Nous avons dilué le contenu de la gélule de chaque IPP dans la vaseline (à 30 %) selon les protocoles de l’international contact dermatitis research group (ICDRG).[8-10] Pour chaque IPP nous avons déposé une goutte de la préparation dans une cupule en aluminium avec un papier absorbant. La cupule est ensuite appliquée sur la peau du dos. La lecture a été faite à 20 minutes puis à 48 h et à 72 h, 30 minutes après l’ablation des patch-tests pour éviter les erreurs de lecture en cas de dos facilement irritable. Nous avons réalisé deux témoins négatifs qui sont une cupule vide et une cupule avec la vaseline, afin d’éliminer une allergie de contact à l’un des constituants du matériel de test que ce soit l’aluminium des cupules ou la vaseline.[8] Le résultat du patch-test a été interprété à l’aide des critères de positivité établis par l’ICDRG (tableau I).

3. Résultats Sur une période de 12 ans, un total de 1 172 toxidermies ont été notifiées au service régional de pharmacovigilance de Sfax. Parmi ces toxidermies, 37 d’entre elles étaient liées à la prise d’IPP (soit 3 %). L’âge moyen de nos patients était de 42,37 ans avec des extrêmes allant de 10 ans à 91 ans. La tranche d’âge la plus touchée

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Tableau I. Cotation des patch-tests.[8-10]

Réactions Négative Douteuse : érythème Faiblement positive : érythème + œdème Fortement positive : érythème + œdème + vésicules Extrêmement positive : érythème + œdème + bulles Irritative

Cotation _ ?+ + ++ +++ IR

est celle des adultes entre 20 et 40 ans. Quatorze patients sont de sexe masculin et 23 patients sont de sexe féminin avec un sex ratio égal à 0,60. L’atopie a été observée dans 11 cas. Les molécules incriminées dans la survenue des différentes réactions cutanées ont été l’oméprazole dans 31 cas, le lansoprazole dans 3 cas, le pantoprazole dans 1 cas et l’ésoméprazole dans 2 cas. L’exanthème maculo-papuleux (EMP) a été observé dans 19 cas, l’urticaire dans 9 cas, l’œdème du visage dans 2 cas, la réaction de photosensibilité dans 4 cas, l’érythème pigmenté fixe dans 1 cas, le purpura vasculaire dans 1 cas et l’érythrodermie dans 1 cas. Le score intrinsèque a été coté exclu (I0) dans 4 cas, douteux (I1) dans 17 cas, plausible (I2) dans 8 cas et vraisemblable (I3) dans 8 cas. La prise ultérieure d’un autre IPP a été signalée chez 7 patients (six patients qui ont présenté une allergie à l’oméprazole et un patient qui a présenté une allergie au pantoprazole). Deux parmi eux ayant développé une éruption maculo-papuleuse suite à la prise d’oméprazole, ont présenté respectivement un prurit généralisé, une urticaire et œdème du visage suite à la prise de pantoprazole. Les 5 autres patients ont pris le lansoprazole sans incidents. Pour appuyer la responsabilité de l’IPP dans la genèse d’une réaction allergique et pour évaluer la possibilité de réactions croisées entre les différentes molécules, nous avons effectué des patch-tests pour les patients ayant développé une réaction cutanée avec une imputabilité vraisemblable ou plausible. Parmi ces 16 patients, nous avons pu convoquer 6 patients au service régional de pharmacovigilance. Tous ces patients ont eu des réactions cutanées à l’oméprazole (urticaire dans 2 cas, EMP dans 4 cas). Nous avons testé aussi le pantoprazole, le lansoprazole et l’ésoméprazole. Les patch-tests ont été positifs pour l’oméprazole à 72 h, négatifs pour l’ésoméprazole, le pantoprazole et le lansoprazole dans deux cas ; positifs pour l’oméprazole et le pantoprazole à 72 h, négatifs pour l’ésoméprazole et le lansoprazole dans deux cas ; positifs pour l’oméprazole et le lansoprazole à 72 h, négatifs pour l’ésoméprazole dans un cas et positifs pour l’oméprazole et l’ésoméprazole à 72 h, négatifs pour le pantoprazole et le lansoprazole dans un cas. La lecture immédiate (à 20 minutes) du patch-test a été négative dans tous les cas. De même, le patch-test était négatif pour les 2 témoins chez tous les patients. La réactivité croisée entre les différentes molécules de cette classe a été trouvée dans plusieurs études (tableau II).[11-28]

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Allergie croisée et inhibiteurs de la pompe à protons

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Tableau II. Réactions aux IPP et réactivité croisée retrouvées dans la littérature.

IPP

Réaction

Prise ultérieure d’un autre IPP

Réaction à la prise d’un autre IPP

Tests cutanés

Réaction croisée

Oméprazole

Urticaire

Lansoprazole

Pas de réaction

NF

NP

Oméprazole

Urticaire Angiœdème

NF

Galindo et al. 1999[13]

Oméprazole

Prurit Dyspnée

NF

Natsch et al. 2000[14]

Oméprazole

Urticaire Angiœdème

Lansoprazole

Gonzalez et al. 2002[15]

Oméprazole

Urticaire Œdème de la face

NF

Marquès et al. 2003[16]

Pantoprazole

Urticaire Érythème

NF

Kollmeier et al. 2004[17]

Pantoprazole

Urticaire Angiœdème

NF

Garmendia et al. 2004[18]

Oméprazole

Urticaire Œdème de la face

NF

Porcel et al. 2005[19]

Lansoprazole

Urticaire Œdème de la face, rash

NF

Perez et al. 2006[20]

Lansoprazole

Urticaire Érythème

NF

Caboni et al. 2007[21]

Ésoméprazole

DRESS syndrome

NF

Auteurs Schneider 1994[11] Ottervangeret al. 1996[12]

Reyes et al. 2007[22]

Oméprazole

Urticaire Œdème de la face

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NF

PT (+) Oméprazole IDT(+) Oméprazole Lansoprazole Urticaire Angiœdème Choc anaphylactique

NF PT(+) Oméprazole Pantoprazole Lansoprazole IDT(+) Oméprazole Pantoprazole IDT (+) Pantoprazole IDT (+) Oméprazole Pantoprazole Lansoprazole PT/IDT (+) Lansoprazole (-) Pantoprazole Oméprazole Ésoméprazole IDT(+) rabéprazole PT(+) Lansoprazole (-) Oméprazole Pantoprazole Rabéprazole TPO (+) Rabéprazole Patch-test(+) Ésoméprazole Oméprazole Pantoprazole (-) Lansoprazole Rabéprazole PT/IDT(-) Oméprazole Pantoprazole Patch-test(-) Oméprazole Pantoprazole TPO (+) Pantoprazole

NP Lansoprazole

Lansoprazole

Pantoprazole Lansoprazole

Oméprazole NP Pantoprazole Lansoprazole

Rabéprazole

Rabéprazole

Oméprazole Pantoprazole

Pantoprazole

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Hammami et al.

Tableau II. Suite.

Auteurs

IPP

Réaction

Prise ultérieure Réaction à la prise d’un autre IPP d’un autre IPP

Tests cutanés

Réaction croisée

Patch-test(-) Oméprazole Rabéprazole Oméprazole Rabéprazole Ésoméprazole Ésoméprazole PT(+) Oméprazole (-) Urticaire Lansoprazole Oméprazole Œdème NF NP Pantoprazole de la face Rabéprazole Ésoméprazole Vovolis et al. Pantoprazole 2008[24] PT/IDT(+) Oméprazole Pantoprazole Urticaire Oméprazole NF (-) Pantoprazole généralisée Lansoprazole Rabéprazole Ésoméprazole IDT(+) Lansoprazole Pérez et al. Réaction Lansoprazole Oméprazole NF Pantoprazole 25 2011[ ] anaphylactique Pantoprazole Rabéprazole Rabéprazole PT(+) Lansoprazole Karabacak et al. (-) Oméprazole Lansoprazole Rash cutané NF NP 2012[26] Pantoprazole Rabéprazole Ésoméprazole PT/Patch-test (-) Pirson et al. Pantoprazole EMP Pantoprazole Oméprazole EMP Oméprazole 27 [ ] 2012 Lansoprazole EMP Lansoprazole Pantoprazole Lansoprazole Sanchez et al. Patch-test(+) Pantoprazole Érythrodermie Lansoprazole Pas de réaction NP 2012[28] Pantoprazole DRESS Syndrome : drug rash with eosinophilia and systemic symptoms ; EMP : exanthème maculo-papuleux, IDT : test intradermique ; IPP: inhibiteurs de la pompe à protons ; NF : non fait ; NP : non prouvée ; PT : patch-test ; TPO : test de provocation orale ; (+) : positif ; (–) : négatif Schmutz et al. 2007[23]

Réaction de photoallergie

Rabéprazole, ésoméprazole

4. Discussion Dans notre série, l’incidence des réactions cutanées aux IPP est de 3 % du total des toxidermies. En 2000, le centre de pharmacovigilance d’Uppsala (Uppsala monitoring centre, Suède) a reçu un total de 42 cas de réactions anaphylactiques liés aux IPP, qui représentaient 0,8 % du total des réactions anaphylactiques reçues par ce centre.[14] La plupart des réactions cutanées ont été attribuées à l’oméprazole (83,78 %). Ceci peut être expliqué par le fait que l’oméprazole est l’IPP le plus prescrit et le plus ancien. Bibliographiquement, l’oméprazole a été le plus fréquemment incriminé dans les réactions cutanées. Ainsi, dans une

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Réaction de photoallergie

étude cas-témoin menée par Chularojanamontri et al.[29] les réactions cutanées aux IPP ont été attribuées à l’oméprazole dans 50 cas parmi 64 patients, soit 78,1 % des cas et la réaction cutanée la plus fréquemment observée était l’éruption maculopapuleuse (43,8 %). Dans notre série, l’atteinte cutanée la plus fréquemment observée était l’éruption maculo-papuleuse (19 cas soit 51 %). Nous avons trouvé l’urticaire dans 9 cas (24 %). Selon Schmutz et al.[23] les toxidermies attribuées aux IPP sont représentées surtout par l’urticaire. Plus rarement, ont été décrits des cas d’exanthème maculo-papuleux. Exceptionnellement, des cas d’érythème polymorphe et de nécrolyse épidermique toxique ont été rapportés. Les réactions de photosensibilité semblent aussi être rares.

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Allergie croisée et inhibiteurs de la pompe à protons

Les tests cutanés représentent actuellement l’étape la plus importante dans le diagnostic de l’allergie aux médicaments. En effet, ces tests ont pour but d’appuyer la responsabilité du médicament suspect d’être responsable de la réaction allergique. On dispose pour cela de prick-tests, d’intradermo-réactions et de tests épicutanés ou patch-tests à lecture immédiate (à 30 minutes) et retardée (à 72 h et jusqu’à 7 jours après). Les patients ayant développé une réaction d’hypersensibilité immédiate vont subir des prick-tests et des intradermo-réactions lus à 30 minutes. Les médicaments testés sont des formes injectables. Les patients ayant développé une réaction d’hypersensibilité retardée vont subir des patch-tests et des intradermo-réactions, lus à 48 ou à 72 heures. Les médicaments testés sont, soit des formes injectables, soit des formes orales solubilisées.[30] Dans notre étude, nous avons effectué des patch-tests chez 6 patients ayant développé une réaction cutanée à l’oméprazole avec un score d’imputabilité vraisemblable ou plausible. Nous avons choisi les patch-tests vu que la majorité de nos patients ont développé une réaction d’hypersensibilité retardée d’une part et, d’autre part, on ne dispose pas en Tunisie de la forme injectable de la majorité de ces molécules (uniquement l’oméprazole est disponible sous forme injectable). Très peu d’études portant sur de grandes séries de patients ayant présenté une toxidermie à un médicament, ont permis d’évaluer la sensibilité et la spécificité de ces tests. La sensibilité des tests épicutanés reste moyenne.[31] Dans la littérature, les patch-tests étaient positifs chez 31,7 à 50 % des patients qui ont développé une réaction cutanée médicamenteuse.[32] Dans d’autres séries comportant des toxidermies avec différentes classes de médicaments, le pourcentage de positivité était de 31,5 %,[33] 39,7 %,[34] à 43 %.[35] Dans la littérature, les patch-tests ont été rarement rapportés avec les IPP.[27, 28] La quasi-totalité des études ont décrit des pricktests et des intradermo-réactions dans l’allergie aux IPP.[2,5,19,36] Ceci peut être expliqué par le fait que les réactions d’hypersensibilité immédiate aux IPP (surtout urticaire) sont plus fréquentes que les réactions retardées. Dans notre étude, nous avons réalisé des patchtests chez des sujets ayant une allergie très probable à l’oméprazole. Le patch a été positif à l’oméprazole dans tous les cas, ce qui rend compte que ce test a été sensible. Les résultats des tests épicutanés dépendent du type clinique de la toxidermie et du médicament en cause. Ils semblent plus sensibles lorsque la toxidermie relève d’un mécanisme d’hypersensibilité retardée cellulaire T. De même, ils semblent plus sensibles s’ils sont réalisés sur le site où s’est développée la toxidermie initiale et cela concerne l’érythème pigmenté fixe.[31] Des tests faussement négatifs peuvent être obtenus et sont alors liés soit à une trop faible concentration de la substance testée, soit à une mauvaise diffusion dans la peau, soit à la prise concomitante d’un traitement inhibant la réaction (corticoïdes, antihistaminiques…).[8] En outre, l’excipient choisi pour diluer le médicament peut ne pas faciliter, voire empêcher la pénétration cutanée. En plus, la molécule responsable de la toxidermie peut ne pas être le

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médicament sous sa forme native mais un de ses métabolites. Enfin, des tests faussement négatifs peuvent être aussi liés à des lectures tardives adéquates qui n’ont pas été réalisées à 96 heures, voire à une semaine.[31] Pour cela, on doit utiliser un témoin positif pour éviter les faux négatifs (dans notre travail nous avons utilisé l’oméprazole comme témoin positif) Les tests faussement positifs correspondent à des tests positifs chez des patients non allergiques. Ils sont, dans la très grande majorité des cas, dus à une concentration trop forte du médicament testé, en plus de l’effet pro-inflammatoire induit par l’application du médicament sous occlusion pendant 24 à 72 h. Par ailleurs, les individus ne présentent pas la même réactivité cutanée à l’application d’un médicament sous occlusion. Certains d’entre eux ont une peau sensible, irritable, réactive et vont systématiquement présenter des tests positifs qui ne seront pas le témoin d’une hypersensibilité retardée. L’ajout de molécules irritantes comme le détergent sodium lauryl sulfate (SLS) comme témoin négatif peut aider en repérant les patients à peau sensible.[8] Dans notre étude, nous avons utilisé la vaseline comme témoin négatif. L’analyse de nos cas et des cas cliniques rapportés dans la littérature a montré que 3 patterns d’allergie aux IPP semblent se profiler : Pattern 1 : effet de classe Les patients qui ont une allergie à un IPP (souvent l’oméprazole) présentent une réaction croisée à tous les autres IPP. Cette réactivité croisée suggère que les IPP présentent un « effet de classe » dû à leur structure de benzimidazole substitué.[37] En effet, tous les IPP partagent un même noyau pyridinyl-2-méthylènesulfinyl benzimidazole dans leur structure (figure 1). Une réactivité croisée pattern 1 a été signalée dans notre étude chez une patiente. Cette patiente a présenté une allergie à l’oméprazole avec une réactivité croisée au pantoprazole et au lansoprazole. Pattern 2 : réactivité croisée basée sur analogies de structure Les patients qui ont une allergie au lansoprazole développent une réactivité croisée au rabéprazole (et vice versa), mais tolèrent l’oméprazole, le pantoprazole et l’ésoméprazole. En revanche, les patients qui ont une allergie à l’oméprazole développent une réactivité croisée au pantoprazole et à l’ésoméprazole, mais tolèrent le lansoprazole et le rabéprazole. Cette réactivité croisée peut être expliquée par l’hypothèse basée sur la structure chimique des IPP, proposée par Perez Pimiento et al.[20] et agréee par Lobera et al.[5] En effet, les IPP sont des benzimidazoles substitués avec un noyau pyridine. Ils diffèrent selon la nature du substitut présent sur les deux noyaux. Ainsi, l’oméprazole et le pantoprazole présentent, respectivement, une chaine méthoxy et une chaine difluorométhoxy au niveau de leur noyau benzimidazole. Cependant, le lansoprazole et le rabéprazole ne présentent pas de modification à ce niveau, mais on trouve, respectivement, au niveau de leur noyau pyridine une chaine trifluoroéthoxy et une chaine méthoxypropoxy. On pense alors que cette analogie structurale est responsable d’un pourcentage

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Hammami et al.

Tableau III. Analyse des réactions croisées aux IPP retrouvées chez les patients ayant eu une prise ultérieure d’un autre IPP et /ou bénéficiant d’un patch test.

IPP

Patient n° 1

Patient n° 2

Oméprazole

Oméprazole

Réaction

EMP

Urticaire

Prise ultérieure d’un autre IPP

Réaction à la prise d’un autre IPP

Patch-tests

Réaction croisée

Urticaire Œdème du visage

(+) Oméprazole Lansoprazole (-) Ésoméprazole

Pantoprazole Lansoprazole

NF

(+) Oméprazole Pantoprazole (-) Lansoprazole Ésoméprazole

Pantoprazole

(+) Oméprazole Pantoprazole (-) Lansoprazole Ésoméprazole

Pantoprazole

NF

Pantoprazole

Pantoprazole

Patient n° 3

Oméprazole

EMP

NF

Patient n° 4

Oméprazole

EMP

Pantoprazole Lansoprazole

Patient n° 5

Oméprazole

EMP

Lansoprazole

Pas de réaction

NF

NP

Patient n° 6

Oméprazole

Urticaire

Lansoprazole

Pas de réaction

NF

NP

Patient n° 7

Oméprazole

Urticaire

Lansoprazole

Pas de réaction

NF

NP

Pantoprazole

Réaction de photoallergie

Lansoprazole

Pas de réaction

NF

NP

NF

(+) Oméprazole Ésoméprazole (-) Pantoprazole Lansoprazole

NP

NF

(+) Oméprazole (-) Pantoprazole Ésoméprazole Lansoprazole

NP

Lansoprazole

(+) Oméprazole (-) Pantoprazole Lansoprazole Ésoméprazole

NP

Patient n° 8

Patient n° 9

Patient n° 10

Patient n° 11

Oméprazole

Oméprazole

Oméprazole

EMP

EMP

EMP

Prurit généralisé Pas de réaction

Pas de réaction

EMPa: exanthème maculo-papuleuxa; IPPa: inhibiteurs de la pompe à protonsa; NF : non fait ; NP : non prouvée ; (+) : positif ; (-) : négatif)

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Allergie croisée et inhibiteurs de la pompe à protons

élevé de réactivité croisée entre l’oméprazole, l’ésoméprazole et le pantoprazole, ainsi qu’entre le lansoprazole et le rabéprazole.[5] Dans notre étude, une réactivité croisée pattern 2 a été constatée chez 8 patients. Ces patients présentent une allergie à l’oméprazole avec une réactivité croisée au pantoprazole ou à l’ésoméprazole. Le lansoprazole a été bien toléré dans tout les cas. Pattern 3 : allergie limitée à un seul IPP Ce modèle correspond à des patients qui ont une allergie à un seul IPP avec tolérance des autres IPP. Une allergie pattern 3 a été signalée chez 2 de nos patients. Ces patients présentent une allergie à l’oméprazole avec tolérance aux autres IPP.

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7.

Dangoumeau J, Evreux JC, Jouglard J. Méthode d’imputabilité des effets indésirables des médicaments. Therapie 1978; 33: 373-81

8.

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9.

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5. Conclusion Bien que l’incidence des réactions allergiques aux IPP semble être très faible,[4] elle existe et peut être sévère. Le phénomène de réactivité croisée entre les différentes molécules de cette classe est possible et peut être expliqué par la similitude dans leurs structures chimiques. Dans la majorité des cas, le lansoprazole semble être une bonne alternative en cas d’allergie à l’oméprazole, à l’ésoméprazole ou au pantoprazole. Dans tous les cas, une enquête de pharmacovigilance appuyée par une exploration allergologique semble être bénéfique pour une meilleure conduite pratique.

Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. EMPa: exanthème maculo-papuleuxa; ICDRGa: international contact dermatitis research groupa; IPP : inhibiteurs de la pompe à protonsa; SLS (détergent)a: sodium lauryl sulfate.

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Correspondance et offprints : Hanen Affes, Laboratoire de Pharmacologie, Faculté de Médecine de Sfax, Avenue Majida Boulila, 3029 Sfax, Tunisie. E-mail : [email protected]

Thérapie 2013 Novembre-Décembre; 68 (6)

[Study of cross reactivity between proton pump inhibitors].

Although rare, anaphylactic reactions induced by PPIs have been reported. The presence of cross-reactivity between different members of the group is n...
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