Revue des Maladies Respiratoires (2014) 31, 463—467

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ÉDITORIAL

Le poids grandissant des maladies respiratoires chroniques obstructives chez la femme. Une recherche qui s’accélère (enfin !) The increasing burden of chronic respiratory diseases in women. An expanding area of research

Bien qu’il soit admis depuis longtemps que le risque d’asthme est plus élevé chez le garc ¸on dans l’enfance et plus élevé chez la femme après la puberté, il reste aujourd’hui toujours difficile d’avancer des hypothèses étayées sur les raisons de cette inversion des courbes autour de la puberté et sur les raisons de la plus grande susceptibilité des femmes vis-à-vis de l’asthme tout au long de la vie reproductive. Il reste également difficile de conclure quant aux différences hommes/femmes vis-à-vis de l’incidence de l’asthme avec le vieillissement, et l’existence d’un effet de la ménopause sur l’asthme de la femme. Chez l’adulte vieillissant se pose de plus le problème de recouvrement avec la BPCO et de diagnostic différentiel lié au sexe. Si les différences hommes/femmes dans la présentation et le pronostic de la BPCO sont largement décrites, le rôle des hormones sexuelles dans la BPCO n’a quasiment pas été exploré. Alors que l’on s’oriente de plus en plus vers une prise en charge personnalisée de l’asthme et de la BPCO, la nécessité de mieux comprendre les spécificités liées au sexe est évidente. L’article de Taillé et al., publié dans ce numéro de la Revue des maladies Respiratoires, aborde les spécificités de l’asthme de la femme et fait le point des hypothèses actuelles sur le rôle des hormones sexuelles féminines dans l’asthme [1]. Cet article montre clairement les lacunes qui persistent sur le sujet, et alors que les modèles animaux ont permis d’identifier différents mécanismes par lesquels les hormones sexuelles pourraient intervenir dans l’asthme ou la BPCO, le rôle de ces hormones chez l’humain reste incertain [2]. Avant d’aller plus avant dans ce domaine de recherche, une meilleure

compréhension des différences hommes/femmes vis-à-vis de l’asthme et de la BPCO, en termes d’histoire naturelle et de phénotype, est nécessaire pour définir des stratégies de recherche plus pertinentes. Un point des données épidémiologiques est présenté ici.

Incidence de l’asthme selon le sexe autour de la puberté De nombreuses études (détaillées dans la revue d’Almqvist et al. [3]) indiquent que l’asthme est plus fréquent chez les garc ¸ons dans l’enfance, et plus fréquent chez les filles après la puberté. Cette inversion des courbes autour de la puberté a conduit à formuler l’hypothèse d’un rôle des hormones sexuelles dans l’asthme. Plusieurs commentaires doivent être faits ici. Tout d’abord, l’âge auquel se produit cette inversion n’est pas clairement établi. Peu d’études ont estimé la prévalence de l’asthme sur des tranches d’âge suffisamment fines et avec des effectifs suffisants pour répondre à cette question [3]. Dans une étude portant sur près de 28 000 écoliers dans la région de Nottingham, Venn et al. ont montré que la proportion d’enfants rapportant des sifflements était plus élevée chez les garc ¸ons que chez les filles à l’âge de 11 ans, et diminuait chez les garc ¸ons entre 11 et 15 ans tandis qu’elle augmentait chez les filles, l’inversion des courbes se situant à l’âge de 12 ans. Si à la place des questionnaires administrés aux enfants, ils analysaient les réponses des parents, le même schéma était

http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.05.002 0761-8425/© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

464 observé mais l’inversion des courbes avait lieu à 13 ans. À partir des fichiers de données de plus de 60 000 adhérents d’un grand organisme de gestion des soins en Californie, Schatz et al. ont trouvé une inversion de la prévalence et de la sévérité de l’asthme autour de l’âge de 13 ans. Dans une autre étude transversale portant sur les hospitalisations pour asthme aux États-Unis, Debley et al. montrent que le sex ratio (fille : garc ¸on) pour les hospitalisations par asthme est à peu près constant (0,5 : 1) entre la naissance et 13 ans, puis augmente rapidement à partir de 13 ans, pour passer à 1 : 1 autour de 14—15 ans et devient significativement plus grand que 1 après 15 ans [3]. Ces études transversales indiquent donc que le risque d’avoir de l’asthme chez les filles « rattrape » le risque chez les garc ¸ons à un âge situé entre 12 et 15 ans. Notons cependant que les rapports d’Osman et al. en Écosse et de Mommers et al. aux PaysBas indiquent que la prépondérance des garc ¸ons parmi les enfants ayant des sifflements ou de l’asthme a diminué entre les années 1989 et 1999/2001 voire quasiment disparu [3]. L’âge auquel le risque d’asthme chez les filles dépasse celui des garc ¸ons pourrait donc être également plus précoce. Inversement, plusieurs analyses transversales chez des adolescents plus âgés ou chez des adultes jeunes ne montrent pas une prévalence de l’asthme plus élevée chez les filles par rapport aux garc ¸ons avant l’âge de 35 ans [4,5]. Dans les études transversales, le risque d’avoir de l’asthme ou des symptômes d’asthme à un âge donné (prévalence), dépend du risque de développer un asthme (incidence) avant cet âge, mais aussi de la persistance et rémission de la maladie. L’analyse de données longitudinales est nécessaire pour étudier les relations entre les changements hormonaux à la puberté et l’incidence et la rémission de l’asthme à la puberté. La plupart des études longitudinales ont examiné un même groupe d’enfants à un moment donné dans l’enfance, puis après la puberté. Dans la cohorte britannique des sujets nés en 1958, sur les 4 périodes d’incidence considérées (de 0 à 7 ans ; 8 à 11 ans ; 12 à 16 ans ; 17 à 23 ans), le taux d’incidence de l’asthme restait plus élevé chez les garc ¸ons entre 12 et 16 ans, et c’est seulement sur la période 17—23 ans, que le taux d’incidence devenait plus élevé chez les filles [3]. Très peu de cohortes ont suivi un même groupe d’enfants lors de la puberté. Deux études ont porté sur des groupes d’enfants asthmatiques. Dans une première étude, Nicolaï et al. ont suivi 155 enfants ayant un asthme actif à l’âge de 10 ans, et suivi à l’âge de 14 ans [6]. Au suivi, 68 % des filles et 62 % des garc ¸ons n’avaient plus eu de symptômes d’asthme depuis plus de 12 mois et 76 % des filles et 87 % des garc ¸ons n’avaient plus d’hyperréactivité bronchique. Que ce soit chez les garc ¸ons ou chez les filles, la rémission de l’asthme ou la disparition de l’hyperréactivité bronchique n’était pas plus fréquente chez les enfants qui avaient atteint la puberté et n’était pas liée au niveau d’androstanediol glucuronide, un métabolite de la testostérone, lié au développement pubertaire [6]. Ainsi, cette étude ne montre pas un « meilleur » pronostic de l’asthme chez le garc ¸on. Ce résultat est plutôt contradictoire avec d’autres études qui suggèrent que la persistance des symptômes d’asthme de l’enfance à l’âge adulte est plus fréquente chez les filles [7]. D’autres études toutefois, trouvent également que le sexe n’a pas d’influence sur la probabilité de rémission de l’asthme de l’enfance [8]. Une autre étude a porté sur l’évolution du niveau de

Éditorial réactivité bronchique (PC20) chez 1 041 enfants asthmatiques, initialement âgés de 5 à 12 ans et suivi lors de la puberté [9]. Dans cette étude, Tantisira et al. ont mis en évidence un déclin de la réactivité bronchique chez les garc ¸ons après l’âge de 11 ans, mais pas chez les filles chez qui le niveau de PC20 restait constant entre 11 et 18 ans. Alors que le niveau de PC20 était identique chez les garc ¸ons et les filles à l’inclusion, un écart apparaissait à partir du stade 2 de l’échelle de Tanner et cet écart augmentait avec la maturation sexuelle [9]. Dans cette étude, la diminution de la réactivité bronchique chez les garc ¸ons, et l’absence de changement chez les filles, suggèrerait plutôt un effet « protecteur » de l’augmentation des niveaux de testostérone. À ce jour, deux études seulement ont porté sur les transitions à la puberté et l’incidence et la rémission de l’asthme, en population générale [5,10]. Dans l’étude TRacking Adolescents’ Individual Lives Survey, 2230 adolescents (asthmatiques ou non) ont été suivis à trois reprises (à 11,1, 13,6 et 16,3 ans) [5]. Cette étude montre une augmentation du risque d’asthme chez les filles par rapport aux garc ¸ons entre l’âge de 11 et 16 ans, qui est liée à la fois à une rémission plus fréquente de l’asthme chez le garc ¸on et à une incidence plus élevée de l’asthme chez la fille. Toutefois, cette étude ne montre aucune association entre les transitions dans les stades de la puberté et l’incidence de l’asthme, les niveaux d’IgE totales ou la chute du DEP durant un test à l’effort [5]. Le suivi de la cohorte BAMSE en Suède, ne trouve pas d’inversion du risque d’asthme entre 8 et 12 ans [10]. L’incidence de l’asthme restait plus élevée chez ¸ons que chez les filles. Non seulement le stade puberles garc taire n’était pas lié à l’incidence de l’asthme chez le garc ¸on, mais en plus, chez les filles, un stade pubertaire plus avancé était lié à un risque diminué d’asthme incident [10].

Interactions hormones sexuelles—obésité Ainsi, les données épidémiologiques actuelles ne permettent pas de conclure que les changements des niveaux des hormones sexuelles à la puberté puissent expliquer l’inversion des courbes de prévalence de l’asthme chez les garc ¸ons et les filles à cette période. D’autres facteurs sont vraisemblablement impliqués. La revue de Taillé et al. présente plus en détail ces facteurs [1]. Une première hypothèse concerne les différences de la croissance de la taille des voies aériennes par rapport à la capacité pulmonaire qui n’évolue pas proportionnellement (dysanapsis) et de la même fac ¸on chez les garc ¸ons et les filles à l’adolescence. Un effet des modifications survenant au niveau du tissu adipeux est également probable. Il est bien connu maintenant que l’obésité est un facteur de risque lié à l’incidence de l’asthme. Certaines études, mais pas toutes, suggèrent que cette relation est plus forte chez les femmes que chez les hommes. D’autres études indiquent que l’obésité est un facteur lié à l’incidence de l’asthme non atopique. Ce résultat est particulièrement intéressant ici. En effet, à partir des données longitudinales de la cohorte ECHRS, il a été montré que, tout au long de la vie reproductive, les femmes étaient plus à risque que les hommes de développer un asthme non allergique, alors qu’il n’y avait pas de différence pour l’asthme allergique [4]. À ce jour, les quelques études sur les relations entre la puberté et l’incidence ou la rémission de l’asthme

Éditorial n’ont pas (ou peu) tenu compte des différents phénotypes de la maladie. Même si l’on ne peut pas conclure que les changements des niveaux d’hormones sexuelles à la puberté puissent expliquer l’évolution des courbes de prévalence de l’asthme, d’autres éléments suggèrent un effet des hormones sexuelles dans l’asthme de la femme. La revue de Taillé et al. [1] fait le point sur le rôle des hormones sexuelles dans l’asthme pré/péri-menstruel, et sur les variations de l’asthme au cours de la grossesse. D’autres études indiquent également un risque d’asthme plus élevé chez les femmes ayant une puberté précoce ou des troubles du rythme menstruel [1]. À ce jour, il reste cependant difficile de conclure quant à la part relative d’un effet du statut hormonal ou du statut métabolique. L’obésité, le statut métabolique, et les hormones sexuelles sont étroitement liés et interagissent. Dans le Severe Asthma Research Program (SARP), les femmes ayant un asthme pré/périmenstruel avaient un index de masse corporelle (IMC) plus élevé que les autres femmes asthmatiques [11]. Chez les enfants de la cohorte de Tucson [12], les filles qui devenaient obèses entre 6 et 11 ans avaient plus de risque d’avoir développé des symptômes d’asthme à l’âge de 13 ans. Toutefois, cette augmentation du risque n’était observée que chez les filles obèses ayant une puberté précoce. Dans une autre analyse regroupant les garc ¸ons et les filles de la même cohorte, suivis jusqu’à l’âge de 16 ans, Guerra et al. ont trouvé qu’un âge jeune à la puberté et un IMC élevé à l’âge de 11 ans étaient tous deux indépendamment associés à la persistance des symptômes chez les asthmatiques [12]. D’autres études chez l’adulte trouvent également qu’un âge jeune à la puberté est un facteur de risque d’asthme chez la femme indépendamment de l’IMC [13]. Enfin, dans l’étude EGEA, Varraso et al. ont observé que les femmes ayant une puberté précoce avaient un asthme plus sévère. La sévérité de l’asthme augmentait également avec l’IMC, mais cette relation était plus marquée et significative uniquement chez les femmes ayant une puberté précoce (voir la revue de Macsali ; [13]). Les niveaux d’estrogènes augmentent rapidement après la puberté, et les niveaux d’œstrogènes et l’exposition cumulée aux œstrogènes seraient plus élevés chez des femmes ayant une puberté précoce. Aussi, les relations entre l’asthme et la puberté précoce ont été interprétées comme un argument supplémentaire en faveur d’un rôle des œstrogènes dans l’asthme de la femme. Toutefois, l’obésité et l’âge à la puberté peuvent également être influencés par des facteurs environnementaux communs qui pourraient avoir un effet dans l’asthme (perturbateurs endocriniens, alimentation, tabagisme. . .) et expliquer en partie les relations observées. À ce jour, la plupart des études sur les relations entre l’obésité et l’asthme à l’adolescence ont utilisé l’IMC ou d’autres indices de corpulence qui ne prennent pas suffisamment en compte l’évolution à l’adolescence de la distribution et la répartition des masses grasses/masses maigres et les changements des niveaux d’adipokines chez les garc ¸ons et les filles. Les publications des dix dernières années montrent un intérêt croissant pour le rôle des adipokines dans l’asthme, en particulier l’adiponectine qui aurait un effet anti-inflammatoire et la leptine, qui pourrait avoir un effet pro-inflammatoire. Or, la leptine semble être un

465 signal déterminant de l’âge de la puberté [12]. Inversement, les hormones sexuelles pourraient en partie moduler les niveaux de leptine.

Incidence de l’asthme à la ménopause En ce qui concerne la ménopause, les données sont encore plus lacunaires (voir la revue de Macsali et al., [13]). Alors que le terme « d’asthme de la ménopause » a été proposé comme définissant un phénotype particulier [1], il n’y a pas actuellement de données épidémiologiques permettant de conclure à un changement de l’incidence ou de la sévérité de l’asthme lié à la ménopause. Il y a également trop peu de données pour dire si l’asthme de la femme se développant après la ménopause présente un phénotype différent par rapport à un asthme se développant avant la ménopause, ou par rapport à un asthme se développant chez un homme au même âge. Dans la revue publiée ici, Taillé et al. rapportent une estimation de l’asthme de la ménopause, sur une cohorte de 98 995 femmes, évalué à 1,15 cas/1000 femmes/an. Cette estimation fait référence à l’estimation obtenue à partir des données de la cohorte franc ¸aise E3N, dans une recherche visant à étudier l’effet de l’utilisation d’un traitement hormonal de la ménopause (THM) [14]. À l’inclusion en 1990, 98 995 femmes nées entre 1925 et 1950 avaient été recrutées. La recherche a porté sur 57 664 femmes qui n’avaient jamais rapporté d’asthme au moment de leur ménopause, et l’estimation de 1,15 cas/1000 fait référence au nombre de cas d’asthme apparus à un moment quelconque du suivi, entre l’âge de la ménopause et le dernier suivi. Il s’agit donc de l’incidence de l’asthme sur toute la période post-ménopausique. Comme dans l’exemple détaillé ici, la plupart des études sur l’asthme autour de la ménopause ont porté sur l’effet de l’utilisation d’un THM, et n’ont pas étudié l’effet propre de la ménopause. À ce jour, une seule publication, datant de 1995, a estimé le risque de développer de l’asthme chez des femmes ménopausées par rapport aux femmes non ménopausées [4,13]. Dans la Nurses’ Health Study, après ajustement sur l’âge, l’IMC et le statut tabagique, Troisi et al. trouvent que les femmes ayant une ménopause naturelle et n’ayant jamais utilisé de THM, ont un risque diminué d’asthme incident, par rapport aux femmes pré-ménopausées. Cette diminution du risque après la ménopause était moins marquée et nonsignificative chez les femmes qui avaient utilisé un THM. Alors que cette étude a longtemps été référencée pour renforcer l’hypothèse d’un effet délétère des hormones sexuelles féminines dans l’asthme de la femme, aucune étude n’a confirmé ce résultat. Au contraire, le peu de données publiées depuis, montrent plutôt une aggravation des symptômes et une diminution de la fonction respiratoire autour de la ménopause [13].

Poids grandissant de la BPCO chez la femme Comparativement à l’asthme, les recherches sur le rôle des hormones sexuelles dans la BPCO sont quasi inexistantes. Alors que la BPCO a été longtemps considérée comme une

466 maladie typiquement masculine et associée au tabagisme, les données actuelles soulignent le poids grandissant de la maladie chez les femmes. D’une part, parmi les BPCO fumeurs, les femmes semblent être plus vulnérables à la fumée de tabac et ont un déclin de la fonction pulmonaire plus rapide par rapport aux hommes. D’autre part, les données récentes montrent qu’une partie non négligeable (> 25 %) des BPCO seraient non-fumeurs, et parmi les BPCO non-fumeurs, les femmes sont sur-représentées [15]. Si la BPCO reste encore plus fréquente chez les hommes, plusieurs études aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux indiquent que le poids de la BPCO s’est décalé pour devenir de plus en plus important chez la femme [16]. Dans l’étude de Gershon au Canada, à l’âge de 80 ans, 29,7 % des hommes et 25,6 % des femmes avaient eu un diagnostic de BPCO à un moment de leur vie [17]. Les statistiques de mortalité aux États-Unis montrent qu’en 2000 le nombre absolu de décès par BPCO chez la femme a dépassé celui chez l’homme [16]. En France, les taux de mortalité par BPCO ont augmenté chez les femmes entre 1979 et 2000, alors qu’ils sont restés stables chez les hommes. Parallèlement, les taux d’hospitalisation ont augmenté de fac ¸on plus marquée chez les femmes [18]. Les données épidémiologiques montrent que les femmes ont tendance à développer une BPCO à un âge plus précoce que les hommes [19], et, pour un même stade de sévérité, le pronostic de la BPCO pourrait être moins bon chez la femme que chez l’homme. En France, dans la cohorte Initiatives BPCO [20], la classification des patients par analyse de clusters a identifié 4 phénotypes (« jeune/sévère », « âgé/léger », « jeune/modéré », et « âgé/sévère »). Bien que la répartition des femmes n’était pas significativement différente dans les 4 clusters, le 1er cluster (sujets plus jeunes avec une obstruction sévère, des exacerbations fréquentes, un IMC bas et peu de comorbidités cardiovasculaires) comprenait 29,6 % de femmes (contre 15,7 %, 25,8 % et 25,0 % dans les autres clusters). L’évaluation du statut vital des patients en 2009 montre que ce cluster a le taux de mortalité le plus élevé, avec un âge de décès plus précoce [20]. Une analyse plus récente de la même cohorte, comparant l’expression de la maladie chez les hommes et les femmes, indique que pour un même âge et degré d’obstruction comparable, les femmes ont un score de BOD plus élevé lié à un niveau de dyspnée plus élevé et un IMC plus bas, suggérant également un moins bon pronostic chez la femme [21]. Dans la cohorte de patients BPCO ECLIPSE [22], il n’y avait pas de différence dans la prévalence ou la sévérité de l’emphysème selon le sexe, à l’intérieur d’un même stade de sévérité. La distribution des comorbidités était différente, les femmes ayant moins de maladies cardiovasculaires ou un diabète associés, tandis qu’elles avaient plus souvent de l’ostéoporose, des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, un reflux ou une dépression nécessitant un traitement. Pour un même stade de sévérité, les hommes et les femmes avaient un âge comparable, mais les femmes avaient une exposition tabagique moins importante, un IMC et un indice de masse maigre plus bas, et rapportaient plus d’exacerbations que les hommes. Ainsi, de fac ¸on cohérente avec d’autres études, les données de la cohorte ECLIPSE suggèrent une plus grande vulnérabilité des femmes à la fumée de tabac.

Éditorial Par ailleurs, les femmes semblent également plus à risque de BPCO chez les non-fumeurs. Dans la cohorte BOLD, plus de deux tiers des non-fumeurs avec une obstruction bronchique modérée à sévère (GOLD stade II +) étaient des femmes [15]. De même que pour la fumée de tabac, une plus grande vulnérabilité des femmes à d’autres expositions nocives a été avancée. Lamprecht et al. ont recherché si les facteurs pronostiques de BPCO chez les non-fumeurs étaient comparables chez les hommes et chez les femmes. Les facteurs associés à la présence d’une BPCO (GOLD stade II +) chez les femmes uniquement comprenaient les hospitalisations dans l’enfance pour des problèmes respiratoires, et un niveau bas d’éducation. L’exposition professionnelle à des poussières organiques était associée à une augmentation du risque de BPCO, de fac ¸on similaire chez les femmes et chez les hommes. Dans plusieurs études, l’utilisation de combustibles pour la cuisine ou le chauffage a été associé à un risque accru de BPCO chez les femmes non-fumeuses. Toutefois, le rôle de cette exposition semble moins pertinent en Europe. Dans l’analyse multivariée, l’existence d’un asthme était un facteur pronostique associé à une très forte augmentation du risque de BPCO, chez les hommes comme chez les femmes [15]. Ce résultat est à souligner. Si l’asthme est un facteur pronostique de BPCO parmi les non-fumeurs, les facteurs liés à l’augmentation du risque d’asthme chez la femme adulte (comme les hormones sexuelles) pourraient également être associés à l’augmentation du risque de BPCO chez les femmes. En population générale, il semble que les femmes soient plus à risque que les hommes de présenter à la fois un asthme et une BPCO (syndrome de recouvrement), mais on dispose ici d’encore trop peu de données [23].

Des pistes de recherche à explorer Alors que les facteurs de risque de l’asthme ont été bien étudiés chez l’enfant et le jeune adulte, et la BPCO a été particulièrement étudiée chez l’homme fumeur plus âgé, on manque actuellement de données sur les facteurs liés au développement et à l’évolution de l’asthme avec le vieillissement, et sur les interrelations entre l’asthme allergique et non allergique et la BPCO chez les hommes et les femmes. Dans les essais cliniques également, la nécessité d’inclure davantage de femmes et de patients ayant des phénotypes de recouvrement d’asthme et de BPCO a été soulignée. Malgré le poids important de l’asthme de la femme, et le poids grandissant de la BPCO chez la femme par rapport à l’homme, le rôle des hormones sexuelles dans ces pathologies reste insuffisamment exploré. Les données épidémiologiques indiquent que les femmes sont plus à risque de développer un asthme non allergique que les hommes, et plus à risque de développer une BPCO à un âge plus précoce, chez les non-fumeurs ou après une exposition plus courte à la fumée de tabac chez les fumeurs. Alors que de nombreuses données épidémiologiques pointent vers un effet significatif des hormones sexuelles dans l’asthme, il est nécessaire de poursuivre les recherches, en étudiant notamment des cohortes suffisamment larges pour pouvoir dissocier les effets du statut hormonal et du statut métabolique, et prendre en compte les différents phénotypes de la maladie.

Éditorial Les modèles expérimentaux indiquent que les hormones sexuelles féminines pourraient intervenir à plusieurs niveaux dans la réponse inflammatoire allergique, sans qu’il soit possible de résumer ces effets comme étant globalement protecteurs ou délétères [1,2]. De fac ¸on intéressante, les modèles expérimentaux d’inflammation non allergique ont montré que l’exposition chronique à la fumée de tabac conduisait à des modifications de la structure alvéolaire, proche de celle rencontrée dans l’emphysème, plus rapidement chez la femelle que chez le mâle. Une des explications avancée est qu’en cas d’exposition à la fumée de tabac, les œstrogènes pourraient favoriser la génération de métabolites intermédiaires, toxiques pour les voies aériennes, et augmenter le stress oxydant et les lésions pulmonaires [2]. Ainsi, les hormones sexuelles pourraient en partie contribuer à la plus grande vulnérabilité des femmes vis-à-vis des polluants chimiques et irritants bronchiques. Même si les mécanismes sont différents, cette piste de recherche semble particulièrement pertinente pour expliquer la plus grande susceptibilité des femmes vis-à-vis de l’asthme non allergique et de la BPCO. Il est nécessaire de poursuivre les recherches pour mieux comprendre les interactions complexes entre l’évolution du statut métabolique, l’évolution des niveaux hormonaux et le développement de l’asthme, tout au long de la vie. Il est également nécessaire de mieux comprendre le rôle des hormones sexuelles dans la BPCO. Ce domaine de recherche, qui commence à être exploré, représente un fort potentiel et devrait, à court terme, contribuer à définir des stratégies de traitement personnalisées.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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B. Leynaert ∗ Inserm UMR1152 — Épidémiologie, université Paris-Diderot Paris 7, Paris, France Inserm UMR1152, faculté de médecine X. Bichat, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 16 mai 2014 ; accepté le 17 mai 2014 Disponible sur Internet le 25 juin 2014

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