Thérapie 2014 Mars-Avril; 69 (2): 163–168 DOI: 10.2515/therapie/2014017

PHARMACOVIGILANCE

© 2014 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Traitement par erlotinib après une toxicité hépatique induite par le géfitinib : revue de la littérature à propos d’une observation Marjorie Durand1, Sophie Logerot1, Xavier Fonrose2et Edith Schir1 1 Centre régional de Pharmacovigilance de Grenoble, Pavillon E, CHU de Grenoble, Grenoble, France 2 Laboratoire de Pharmacologie et Toxicologie, Institut de Biologie et de Pathologie, CHU de Grenoble, Grenoble, France Texte reçu le 15 avril 2013 ; accepté le 15 octobre 2013 Mots clés : cancer bronchique non à petites cellules ; géfitinib ; erlotinib ; inhibiteur de l’activité tyrosine kinase de l’EGFR ; hépatotoxicité

Résumé – Le géfitinib et l’erlotinib sont des inhibiteurs de la tyrosine kinase du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR-TK). Ils sont indiqués chez les adultes dans le traitement du cancer bronchique non à petites cellules localement avancé ou métastatique avec mutations activatrices de l’EGFR-TK. Nous rapportons le cas d’une hépatotoxicité cytolytique survenue chez un patient traité par géfitinib ayant présenté une récidive lors de la réintroduction de la molécule. Un relais par erlotinib a été initié par la suite et n’a pas entraîné la réapparition d’une toxicité hépatique. À partir de cette observation et d’une revue de la littérature, des arguments ont été avancés pour proposer l’erlotinib comme une option efficace et bien tolérée chez les patients chez qui le géfitinib a été stoppé du fait de la survenue d’une hépatotoxicité sévère.

Keywords: non-small-cell lung carcinoma; gefinitib; erlotinib; molecular inhibitors of EGFR tyrosine kinase activity; hepatotoxicity

Abstract – Treatment with Erlotinib after Gefitinib Induced Hepatotoxicity: Literature Review and Case Report. Gefitinib and erlotinib are selective epidermal growth factor receptor-tyrosine kinase (EGFR-TK) inhibitor. They are approved for the treatment of adults with locally advanced or metastatic non-small cell lung cancer (NSCLC) with activating mutations of EGFR-TK. We report the case of a hepatitis cytolytic during gefitinib treatment with a positive rechallenge. A relay by erlotinib has been initiated and doesn't give recurrence of hepatotoxicity. From a literature review and this observation, arguments have been provided to justify erlotinib as a safe and well-tolered alternative for patients who have to stop gefitinib after a severe hepatotoxicity.

Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction Le géfitinib (Iressa®) est un inhibiteur de la tyrosine kinase du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR-TK). Cette spécialité est indiquée chez les adultes dans le traitement du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) localement avancé ou métastatique avec mutations activatrices de l’EGFR-TK. En France, le cancer bronchique est la 1re cause de mortalité par cancer chez l’homme et la 3e chez la femme. Le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) localement avancé ou métastatique représente 80 à 85 % des cancers bronchiques.[1] Chez les patients atteints d’un CBNPC localement avancé et inopérable, le traitement de choix est une chimioradiothérapie à base de sels de platine.[2]

Au stade métastatique, la stratégie thérapeutique est orientée selon la présence ou non d’une mutation du gène EGFR (EGFR TK+/ TK-). On estime que chez les patients atteints d’un CBNPC, la prévalence de la mutation activatrice de l’EGFR est estimée en France à 16,5%.[1] La présence de cette mutation varie en fonction des types de population puisque 30 % des asiatiques souffrants d’un CBNPC présentent une mutation ponctuelle ou une/des délétions au niveau du domaine kinase de l’EGFR. Ces mutations augmentent l’activité kinase du récepteur ayant pour conséquence une augmentation de la prolifération cellulaire, de la motilité cellulaire et une diminution de l’apoptose.[3] Dans les cellules cancéreuses, les inhibiteurs de l’EGFR-TK, tels le géfitinib et l’erlotinib, se lient au domaine C-terminal intracellulaire qui porte l’activité tyrosine kinase de cette protéine permettant ainsi d’inhiber la transduction

Article publié par EDP Sciences

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Durand et al.

Gefitinib

Gefitinib

450 400

367 339

350

Transaminases (UI/L)

Erlotinib

420

300

363

ASAT 262

ALAT

250

223

200 158 135

150

165

199

134

206

155 82

100 23 16

41

50

87

75

94

102

27 -1

0

32

64 45

0 -2

54 79

1

2

3

4

5

6

7

8

9

33

10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24

Temps (en semaines) Initiation

Fig. 1. Évolution du bilan hépatique au cours du traitement par géfitinib. ALAT : alanine aminotransferases ; ASAT : aspartate aminotransferases ; L : litre ; UI : unité internationale.

du signal en aval du récepteur. L’inactivation de ces voies de signalisation freine alors la prolifération des cellules cancéreuses, la production du facteur de croissance angiogénique, l’angiogenèse tumorale et l’invasion des cellules cancéreuses. Chez les patients atteints d'un CBNPC dont la tumeur est EGFR TK+, en première ligne, le géfitinib constitue donc une nouvelle modalité de prise en charge[2,4-6] avec une amélioration du service médical rendu mineure (ASMR IV) par rapport à l’association carboplatine/paclitaxel.[1,7] En traitement de deuxième ou troisième ligne du CBNPC à ce stade, les données disponibles avec le géfitinib sont très limitées et le géfitinib n'apporte pas d'amélioration du service médical rendu (ASMR V) dans la prise en charge habituelle des patients. L’intérêt du géfitinib n’a pas été établi chez les patients ayant une tumeur EGFR-TK ; dans ce cas, la chimiothérapie à base d'un sel de platine reste la référence.[2] En France, le géfitinib a d’abord été disponible dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de type nominative puis a fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne en juin 2009. Nous rapportons ici le cas d’une hépatite cytolytique de grade 3 selon la terminology criteria for adverse events[8] (CTC) [version 4.03] survenue chez un patient traité par géfitinib avec une récidive lors de la réintroduction du géfitinib. Le relais par erlotinib n’a pas entraîné la réapparition d’une toxicité hépatique. Ce cas a été notifié au centre de pharmacovigilance de Grenoble (France) le 6 octobre 2011 et a été analysé selon la méthode d’imputabilité française.[9]

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2. Observation Un homme de 71 ans est suivi pour la prise en charge d’un adénocarcinome pulmonaire du lobe inférieur droit d’emblée métastatique au niveau osseux diagnostiqué le 21 juin 2011. Ses antécédents médicaux principaux sont un adénome prostatique et une insuffisance veineuse. Devant le statut mutationnel de la tumeur (mutation de l’exon 21 de l’EGFR et gène KRAS sauvage), le patient est traité par géfitinib en première ligne. Le bilan biologique du 15 juin 2011 réalisé avant l’instauration du traitement retrouve des transaminases et gamma-glutamyl transpeptidase (GGT) normales et des phosphatases alcalines (PAL) augmentées à 323 UI/L (valeurs normales N : 40-130 UI/L) dans un contexte de métastases osseuses (figure 1). Le 26 juin 2011, le géfitinib (250 mg par jour) est instauré, associé à la prescription de doxycycline en prévention de la toxicité cutanée. Un suivi est réalisé 9 semaines après l’instauration du traitement : le patient présente une amélioration de l’état général avec amélioration de la dyspnée et de la douleur depuis le début du traitement. Sur le scanner, les lésions pulmonaires sont stables. Toutefois, sur le plan biologique, des augmentations des transaminases CTC grade 1 et 2 apparaissent : les aspartate aminotransférases (ASAT) sont à 1,5 fois la limite supérieure de la normale (N) et les alanine aminotransférases (ALAT) 1,8 N. Les anomalies persistent et s’aggravent progressivement avec des ASAT à 3 N et ALAT à 4 N le 27 septembre 2011, soit 3 mois après l’instauration du traitement.

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Toxicité hépatique et géfitinib

Le bilan étiologique réalisé est négatif : sérologies virales hépatite B et C négatives, échographie abdominale sans lésion focale avec cependant une exploration du dôme hépatique et de la région céphalo-pancréatique incomplète, tomodensitométrie thoraco–abdomino-pelvienne retrouvant des kystes hépatiques anciens (pas de métastases, ni d’obstruction biliaire). Enfin, l’enquête médicamenteuse ne rapporte pas de prise d’automédication. Le 3 octobre 2011, au vu de ces résultats et de l’élévation constante des transaminases, le géfitinib est arrêté. Devant la stabilisation du bilan hépatique et l’efficacité thérapeutique objectivée depuis l’introduction de géfitinib, il est décidé de reprendre le traitement le 8 octobre 2011. À 4 jours de la réintroduction, les transaminases s’élèvent à nouveau (ASAT à 5 N, ALAT à 8,5 N) pour atteindre des valeurs maximales le 27 octobre 2011 (ASAT à 6,7 N et ALAT à 10,5 N). Le 28 octobre 2011, le géfitinib est définitivement arrêté. Un traitement par un second inhibiteur de l’EGFR-TK est instauré : Tarceva® (erlotinib), toujours en association avec de la doxycycline. Une surveillance hebdomadaire du bilan hépatique est réalisée. L’évolution du bilan hépatique est rapidement favorable en 2 semaines (ASAT à 1,5 N ; ALAT à 2 N) et se normalise complètement en 3 semaines.

3. Discussion et revue de la littérature Dans les données poolées des études cliniques de phase III ISEL, INTEREST et IPASS (2 462 patients traités par géfitinib), les effets indésirables les plus fréquemment rapportés, survenant chez plus de 20 % des patients, sont ceux attendus avec les inhibiteurs des récepteurs à l’EGFR qui présentent une toxicité pour les épithéliums cutanés (éruption cutanée, acné, sécheresse cutanée et prurit), digestifs (diarrhées) et pulmonaires (pneumopathies interstitielles). L’hépatotoxicité du géfitinib est connue mais sous-estimée : des augmentations, en général légères à modérées et parfois transitoires des transaminases et de la bilirubine totale ont été décrites et, peu fréquemment, des hépatites incluant des cas isolés d'insuffisance hépatique qui ont, dans certains cas, conduit à une issue fatale.[5,10] A ce titre, le résumé des caractéristiques du produit (RCP) Iressa® recommande la réalisation d’un bilan hépatique mensuel pendant les 3 premiers mois puis, si ce dernier est équilibré, un bilan hépatique trimestriel.[11] La toxicité hépatique du géfitinib semble dose-dépendante. Ainsi, dans l’essai clinique iressa dose evaluation in advanced lung cancer (IDEAL 1), dans lequel le géfitinib a été administré seul à la dose journalière de 250 mg et 500 mg, une élévation des ALAT de grade 1 et 2 (< 5 fois N) a été retrouvée chez respectivement 10,7 % et 17,9 % des patients. D’autre part, 2 % des patients recevant 250 mg/jour ont présenté une élévation des enzymes hépatiques grade 3 (transaminases > 5 N et < 20 N) et grade 4 (> 20 N voire hépatite fulminante) versus 8,25 % à la posologie de 500 mg/ jour.[12] Dans l’essai IDEAL 2, des augmentations de grade 1 à 4

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des transaminases ont été observées chez 1 % des patients recevant 250 mg/jour et 2,6 % des patients recevant 500 mg/j.[13] Toutefois, dans l’étude de Gross et al.[14] la toxicité du géfitinib n’a pas semblé être dose-limitante puisque la tolérance était identique avec une escalade de doses de 1 500 mg à 3 500 mg, que cette dose soit administrée une fois par semaine ou deux fois par semaine.[14] Toutefois, la dernière étude rétrospective de Chen et al.[15] a confirmé pour une patiente la notion de dose-dépendance de l’hépatotoxicité du géfitinib puisqu’elle a présenté une hépatotoxicité de grade 2 avec une dose de géfitinib à 250 mg/j et une amélioration du bilan hépatique en réduisant la posologie à 250 mg/j tous les 2 jours. Mais, dans cette même étude, chez 5 autres patientes ayant présenté une hépatotoxicité de grade 1, le bilan hépatique s’est amélioré avec la poursuite du géfitinib sans diminution des doses ou arrêt du médicament. Dans le reste de la littérature, des cases-reports d’atteinte hépatique sous géfitinib sont décrits.[16-23] Certains cas rapportent des tentatives de réintroduction à mi-dose[18] ou à dose équivalente[16,17] mais qui ont nécessité l’arrêt de la spécialité du fait d’une réélévation rapide des transaminases. Toutefois, dans d’autres cas, le géfitinib est réintroduit par intermittence à raison de 250 mg/jour tous les 5 jours.[17] Mais, l’efficacité d’un tel schéma thérapeutique n’est pas connue et l’interruption médicamenteuse peut être associée à une émergence de résistance au géfitinib. Malgré une période courte de suivi de ces patients (8 semaines), ce schéma thérapeutique a permis cependant de réduire l’hépatotoxicité et suggère plutôt un effet dose-dépendant.[17] Une requête réalisée dans la base nationale de pharmacovigilance (consultation le 18 février 2013) rapporte dix autres cas suspects de cytolyse hépatique sous géfitinib. Les délais d’apparition des atteintes varient de 1 à 2 mois suivant l’introduction du géfitinib. Dans tous les cas décrits, le traitement est suspendu avec une nette amélioration du bilan biologique à l’arrêt en 2 à 3 semaines. Dans un cas, le géfitinib a été réintroduit 2 fois, avec à chaque fois une reprise de l’élévation des enzymes hépatiques (rechallenge positif). Dans un autre cas, une reprise du géfitinib à demi-dose a été réalisée. Cette dernière stratégie est discutable car le comprimé n’est pas sécable (oro-dispersible) et l’efficacité de géfitinib n’a pas été évaluée avec des posologies infra-thérapeutiques. Les données de la littérature ainsi que les rapports de cas ne sont pas en faveur d’une reprise du géfitinib. Enfin, dans 5 cas, un relais par erlotinib a été effectué avec succès. L’erlotinib, qui présente un mécanisme d’action et une efficacité similaire au géfitinib, s’avère être une alternative thérapeutique en cas d’hépatotoxicité,[18-22,24] même si des cas cliniques d’hépatite fulminante fatale sont aussi rapportés avec l’erlotinib.[10,25] Dans la littérature, l’illustration d’une toxicité hépatique non croisée entre les 2 molécules a été mise en évidence[19-22,26] avec notamment, deux patients ayant présenté une hépatotoxicité sévère (avec nécrose et fibrose) secondaire au géfitinib et dont l’évolution fut favorable lors du switch par erlotinib.[18-20] De même, deux articles ont décrits la situation inverse, à savoir une hépatotoxicité sévère survenue sous erlotinib et qui a été résolutive sous géfitinib.[26,27]

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Ces données ont été confirmées dans une analyse rétrospective récente, dans laquelle le switch d’une molécule à l’autre a été testée chez des patients atteints de cancer du poumon à non petites cellules avec mutation EGFR, ayant présenté un effet indésirable ou une progression de la maladie. Sur les 14 patients inclus, 3 ont présenté une hépatotoxicité alors qu’ils étaient traités par géfitinib ou erlotinib. Le changement de molécule a permis de poursuivre le traitement sans récidive de la toxicité hépatique.[28] Toutefois, la toxicité hépatique du géfitinib n’a pas été comparée directement à celle de l’erlotinib seul.[19] D’un point de vue structural, le géfitinib et l’erlotinib, possèdent un noyau chimique commun (4-anilinoquinazoline) mais portent des substituants différents au niveau des noyaux quinazoline et aniline.[29] De ce fait, ces différences structurales mineures pourraient expliquer des profils de toxicité différents et une absence de réaction croisée entre ces deux molécules. Le géfitinib et l’erlotinib subissent un métabolisme principalement au niveau des cytochromes P450 (CYP) 3A4 mais également via le CYP 2D6 (géfitinib) et le CYP 1A2 (erlotinib).[22,30,31] Au vu de ces données pharmacocinétiques, des interactions médicamenteuses sont à prévoir avec les inhibiteurs et inducteurs du CYP 3A4. Swaisland et al.[32] ont démontré qu’une administration unique d’itraconazole (inhibiteur du CYP 3A4), augmente l’aire sous la courbe (AUC) du géfitinib de 78 % et que la rifampicine (inducteur du CYP 3A4) entraîne une réduction de 83 % de l’AUC. Dans le cas clinique que nous rapportons, aucune interaction médicamenteuse n’est retrouvée qui pourrait augmenter le risque d’hépatotoxicité du géfitinib. Par ailleurs, le gène CYP 2D6 présente une variabilité dans la population et entre les différents groupes ethniques qui serait responsable de différences dans la pharmacocinétique des médicaments substrats de ce cytochrome avec un risque de sous efficacité ou de toxicité.[33,34] Ainsi, Kijima et al.[22] ont rapporté les cas de 3 patients atteints d’un CBNPC qui ont présenté une hépatotoxicité sévère lors d’un traitement par géfitinib, switché par erlotinib sans récidive de toxicité par la suite. Les 3 patients possédaient des variants alléliques du CYP 2D6 (CYP2D6*5 ou CYP2D6*10) et étaient donc considérés comme des métaboliseurs lents. Cette étude confirme qu’une activité enzymatique diminuée du CYP 2D6 peut partiellement induire une hépatotoxicité du géfitinib et qu’un switch par erlotinib, dont le métabolisme ne passe pas par le CYP 2D6, est une alternative possible chez ces patients. Le géfitinib est également substrat de la protéine ABCG2 qui appartient à la superfamille des transporteurs ABC (ATP-binding cassette).[33] La protéine ABCG2 est une protéine membranaire d’efflux exprimée principalement au niveau des cellules épithéliales intestinales, des cellules proximales tubulaires rénales et au pôle caniculaire des hépatocytes. Les protéines de la superfamille ABC utilisent l’hydrolyse de l’ATP pour transporter les substrats du milieu intracellulaire au milieu extracellulaire.[35,36] Dans une étude menée par Cusatis et al.[37] en 2006, la pharmacogénétique du gène ABCG2 a été étudiée chez 124 patients caucasiens. Seize

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patients présentaient une mutation du gène codant pour la protéine ABCG2 (variant allélique SNPSNP rs2231142 (421C > A, Gln141Lys, exon 5). Cette mutation entraîne une diminution de l’expression et/ou de la fonction d’efflux de la protéine ABCG2 et conduit à une augmentation des concentrations plasmatiques résiduelles de géfitinib. Après un cycle de traitement par géfitinib (2 mois), les diarrhées étaient plus importantes pour les porteurs hétérozygotes du variant allélique (44 %) que chez les homozygotes sauvages (12 %), confirmant l’hypothèse d’une plus grande toxicité du géfitinib. Enfin, il reste à souligner que l’insuffisance rénale ou hépatique n’a pas d’effet sur la pharmacocinétique du géfitinib.[38,39] Le mécanisme physiopathologique de la toxicité hépatique sous géfitinib n’est pas clairement élucidé. Toutefois, un mécanisme immunoallergique est suspecté. En effet dans un cas rapporté de la littérature, la survenue d’une hépatotoxicité immédiatement après la prise de quelques comprimés de géfitinib est en faveur d’un mécanisme immunoallergique. De même, Takeda et al.[19] ont rapporté une hépatotoxicité sous géfitinib avec un test de stimulation lymphocytaire positif, qui pourrait confirmer l’hypothèse d’un mécanisme immunoallergique. Dans notre cas, la responsabilité du géfitinib a été retenue avec un score d’imputabilité intrinsèque I3 (très vraisemblable) d’après l’association de plusieurs éléments : – le rechallenge positif et l’évolution rapidement favorable permettent de retenir une chronologie vraisemblable (C3) ; – l’absence d’autres étiologies possibles à cette atteinte hépatique, en particulier origine virale, biliaire et carcinomateuse (S2). Dans notre observation, l’élévation des transaminases sans élévation de la bilirubine et sans élévation significative des phosphatases alcalines (PAL) est en faveur d’une atteinte hépatocellulaire. Il faut noter qu’aucun signe de toxicité immunologique n’était présent : fièvre, rash et hyperéosinophilie. Toutefois, au vu de la réapparition de l’hépatotoxicité suite à la réintroduction du géfitinib, un mécanisme immunoallergique reste suspecté. De même que le délai plus court de réapparition de la cytolyse (1 semaine) ainsi que l’évolution rapidement favorable à l’arrêt de la spécialité sont très évocateurs de ce type de mécanisme. D’autre part, l’imputabilité de la doxycycline n’est pas retenue sur ce dossier au vu de la chronologie non évocatrice.

4. Conclusion L’hépatotoxicité des inhibiteurs EGFR-TK est rare. Mais ces molécules présentant de nombreuses perspectives potentielles dans différents cancers (tête et cou, pulmonaire et gastro-intestinal) vont avoir un usage de plus en plus répandu. Ainsi, le risque même faible de survenue d’une hépatotoxicité sous géfitinib doit être connu des prescripteurs et une surveillance hépatique est recommandée après l’instauration du traitement puis régulière du fait de la longue

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demi-vie de la spécialité. Il est intéressant de voir que l’erlotinib semble être une option efficace et bien tolérée chez les patients chez qui le géfitinib a été stoppé du fait de la survenue d’une hépatotoxicité sévère. Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. ABC : ATP-binding cassette (superfamille des transporteurs ABC) ; AMM : autorisation de mise sur le marché ; ALAT : alanine aminotranférases ; ASAT : aspartate aminotransférases ; ASMR : amélioration du service médical rendu ; ATU : autorisation temporaire d’utilisation ; AUC : aire sous la courbe ; CBNPC : cancer bronchique non à petites cellules ; CTC : terminology criteria for adverse events ; CYP : cytochromes ; EGFRTK : inhibiteur de la tyrosine kinase du récepteur du facteur de croissance épidermique ; GGT : gamma-glutamyl transpeptidase ; N : (valeurs) normales ; PAL : phosphatases alcalines ; RCP : résumé des caractéristiques du produit.

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Correspondance et offprints : Marjorie Durand, CHU de Grenoble, Pôle Pharmacie, Pharmacie Vercors, BP 217, 38043 Grenoble Cedex 9, France. E-mail : [email protected]

© Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

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[Treatment with erlotinib after gefitinib induced hepatotoxicity: literature review and case report].

Gefitinib and erlotinib are selective epidermal growth factor receptor-tyrosine kinase (EGFR-TK) inhibitor. They are approved for the treatment of adu...
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