Bull Cancer 2015; 102: 53–56

Synthèse

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Le point sur la prédisposition génétique pour le cancer de la prostate Olivier Cussenot 1,2,3, Géraldine Cancel-Tassin 2,3

Reçu le 17 septembre 2014 Accepté le 6 novembre 2014 Disponible sur internet le : 29 décembre 2014

1. AP–HP, hôpital Tenon, service d'urologie, CeRePP, GHU Est, 4, rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20, France 2. UPMC université Paris 06, GRC no 5, Oncotype-Uro, Paris, France 3. Hôpital de la Salpêtrière, CeRePP, Paris, France

Correspondance : Olivier Cussenot, AP–HP, service d'urologie, hôpital Tenon, CeRePP, GHU Est, 4, rue de la Chine, 75970 Paris 20, France. [email protected]

Keywords Prostate cancer Genetic predisposition Hereditary Susceptibility BRCA2 HOXB13

Résumé La prédisposition génétique aux cancers de la prostate répond, peu fréquemment, à un mode de transmission héréditaire mendélien à forte pénétrance. Ces formes héréditaires constituent des entités particulières pour lesquelles il faut rechercher spécifiquement des mutations du gène BRCA2, du gène HOXB13 (variant G84E), ou, à un moindre degré, du gène BRCA1. La majorité des cancers de prostate ont une part de prédisposition génétique polygénique, impliquant une combinaison défavorable de variants génétiques fréquents, issue du mélange du patrimoine génétique du père et de la mère. Cent de ces variants de susceptibilité génétique sont maintenant identifiés et validés. Le principal caractère phénotypique associé à la prédisposition héréditaire est l'âge plus précoce de la maladie, justifiant une surveillance particulière pour rester dans la fenêtre de curabilité lors du diagnostic. L'impact psychologique des antécédents familiaux de cancer de la prostate ou du sein favorise la mise en place d'une surveillance et de procédures de diagnostic précoce.

Summary Update on genetic predisposition to prostate cancer Genetic predisposition to prostate cancer rarely corresponds to a high penetrance Mendelian pattern of inheritance. These hereditary forms are specific entities for which mutations in the BRCA2 gene, the HOXB13 gene (variant G84E) or, to a lesser extent BRCA1 gene, must be researched. In contrast, the genetic component of the majority of prostate cancer is polygenic, involving an unfavorable combination of common genetic variants, resulting from a mixture of the genetic inheritance of the father and the mother. One hundred of these genetic susceptibility variants have now been identified and validated. The main phenotypic trait associated with hereditary predisposition is the younger age at onset, which warrants special monitoring in order to stay in the window of curability at diagnosis. The psychological impact of a family history of prostate cancer or breast cancer favors the establishment of a dedicated monitoring and procedures for early diagnosis.

tome 102 > n81 > janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2014.12.007 © 2014 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Mots clés Cancer de prostate Dépistage Génétique Héréditaire Prédisposition Susceptibilité

Synthèse

O. Cussenot, G. Cancel-Tassin

Introduction

Encadre 1

La prédisposition génétique aux cancers de la prostate (CaP) répond, peu fréquemment, à un mode de transmission héréditaire mendélien à forte pénétrance. La majorité des CaP ont une part de prédisposition génétique polygénique, impliquant une combinaison défavorable de variants génétiques fréquents, issue du mélange du patrimoine génétique du père et de la mère. Cent de ces variants de susceptibilité génétique sont maintenant identifiés et validés [1]. Le principal caractère phénotypique associé à la prédisposition héréditaire est l'âge plus précoce de la maladie, justifiant une surveillance particulière pour rester dans la fenêtre de curabilité lors du diagnostic. L'impact psychologique des antécédents familiaux de cancer de la prostate ou du sein favorise la mise en place d'une surveillance et de procédures de diagnostic précoce.

Critères évoquant une forme « héréditaire » de prédisposition au cancer de prostate Trois cas de cancer de la prostate chez des apparentés du premier (père, fils ou frères) ou du deuxième (neveux, oncles du côté maternel ou paternel) degré. Deux cas de cancer de la prostate, diagnostiqués avant l'âge de 55 ans, chez des apparentés du premier (père, fils ou frères) ou du deuxième (neveux, oncles du côté maternel ou paternel) degré. D'après [2].

Les études françaises Les études sur la prédisposition génétique des CaP sont menées, en France, depuis 1995, au sein de l'étude épidémio-génétique PROGENE, promue par le Centre de recherche sur pathologies prostatiques (CeRePP, www.cerepp.org). L'étude PROGENE a permis d'établir une cohorte de plus de 10 000 hommes stratifiés en fonction de leurs antécédents familiaux de cancers et de génotypes à risque. Cette étude est impliquée, d'une part, dans les grands consortiums internationaux : « International Consortium on Prostate Cancer Genetics » (ICPCG, www.icpcg.org), « Cancer Genetic Markers of Susceptibility » (CGEMS, cgems.cancer.gov), « Prostate Cancer Association Group to Investigate Cancer Associated Alterations in the Genome » (PRACTICAL, practical.ccge.medschl.cam. ac.u), et « Clinical ELLIPSE (ELucidating Loci Involved in Prostate cancer SuscEptibility) Consortium » qui ont pour but d'identifier des polymorphismes génétiques de prédisposition aux CaP et, d'autre part, dans des programmes nationaux de recherche clinique sur le dépistage des CaP associant ces facteurs génétiques.

L'état des lieux

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Selon l'influence des facteurs génétiques sur leur prédisposition, les cancers de la prostate peuvent, schématiquement, être classifiés en deux entités :  une forme rare « héréditaire », déterminée par une hérédité de type mendélienne (monogénique). Elle est suspectée par un âge inhabituellement précoce de début de la maladie (avant 55 ans), ou de nombreux cas (plus de 3) de CaP ou d'autres cancers chez des parents proches (parents, frères, sœurs, enfants, oncles ou tantes) (encadré 1) [2]. Ces formes font suspecter et rechercher une anomalie génétique (mutation délétère) héritée du père ou de la mère et donnant un risque élevé (plus de 80 %) de développer un CaP. Cette situation implique des structures familiales particulières, et



n'est retrouvée que pour 5 % de l'ensemble des patients atteints d'un CaP, mais représente près de 15 % des cancers diagnostiqués avant l'âge de 55 ans. Ces formes constituent des entités particulières pour lesquelles il faut rechercher spécifiquement des mutations du gène BRCA2 (5 %), du gène HOXB13 (variant G84E) [3], ou, à un moindre degré, du gène BRCA1. De façon isolée, des familles ont été décrites avec une ségrégation de mutation délétère des gènes ATM, BRIP1, MUTYH, PALB2, FLII, MSH2, MSH6 et PMS2 [4]. Hormis pour les formes associées à des mutations du gène BRCA2 qui ont une agressivité particulièrement élevée [5], l'hétérogénéité génétique qui détermine les formes héréditaires et la rareté des études de corrélation génotype/phénotype réalisées à ce jour ne permettent pas de conclusion formelle sur une évolutivité particulière de certaines formes familiales. Seul l'âge de survenue plus précoce (de 5 à 10 ans) est le principal facteur phénotypique associé à la prédisposition héréditaire [6], justifiant une surveillance spécifique pour rester dans la fenêtre de curabilité lors du diagnostic, d'autant que l'impact psychologique des antécédents familiaux facilite le dépistage au sein des familles exposées ; une forme « polygénique », correspondant à la majorité (95 %) des CaP où les facteurs génétiques dits à risque sont une combinaison défavorable issue du mélange du patrimoine génétique du père et de la mère. Cette combinaison de facteurs génétiques interfère avec des facteurs de l'environnement (pollution, suralimentation. . .) [7] qu'ils soient aggravants ou protecteurs. Ces facteurs génétiques associés aux formes « polygéniques » expliquent que les CaP soient plus fréquents dans certaines populations et également, à l'échelle individuelle, que certains CaP soient plus agressifs que d'autres [8]. Pour 20 % des patients atteints de CaP, des antécédents familiaux (au moins un apparenté au premier degré avec un CaP) sont retrouvés et différentes entités cliniques associées à différents modes de transmission héréditaire, ou à certaines mutations ou polymorphismes de susceptibilité définissent des profils évolutifs différents. Une centaine de variants génétiques ont été identifiés comme associés à une augmentation

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Synthèse

Le point sur la prédisposition génétique pour le cancer de la prostate

TABLEAU I Différents niveaux de risque de cancer de prostate et la prise en charge diagnostique adaptée Niveau de risque

Phénotype

Génotype

Suivi recommandé de 45 à 65 ans (/2 ans)

Elevé (RR >  5)

Critères de prédisposition héréditaire décrit dans le tableau I Début précoce et tumeur agressive (< 50 ans/score Gleason > 7)

Mutation délétère de BRCA2 Variant G84E de HOXB13

Examen clinique (toucher rectal) IRM prostatique multiparamétrique PSA sanguin

Histoire familiale de cancer sans les critères de risque élevé

Mutation délétère de BRCA1

Examen clinique (toucher rectal) PSA sanguin

Aucun critère

Aucun critère

Modéré (RR >  2,5)

Bas

IRM : imagerie par résonance magnétique ; RR : risque relatif ; PSA : antigène prostatique spécifique.

du risque de CaP (1,5 à 3,5 fois), à travers différentes populations d'origine caucasienne, africaine ou asiatique [1]. L'utilisation de combinaison de certains de ces marqueurs génétiques a montré qu'ils pouvaient être pris en compte au même titre que les antécédents familiaux de cancer dans la stratégie diagnostique du CaP. Leur apport pour une prédiction individuelle et la mise en œuvre d'un dépistage efficace nécessite, cependant, une interprétation « intelligente » dans un contexte médical qui doit prendre en compte les différents facteurs de risque acquis ou constitutionnels et leurs « poids » respectifs dans le calcul du risque. De plus, certains de ces marqueurs génétiques sont également particulièrement associés aux CaP les plus évolutifs ou impliqués dans la résistance aux traitements.

Situation clinique Mise en œuvre d'une analyse génétique Outre le contexte familial de cancer du sein justifiant une recherche de mutation BRCA2 et BRCA1, la recherche de mutation du gène BRCA2 ou du variant G84E pour le gène HOXB13 peut être proposée (positivité dans environ 10 % des cas) pour des cas avec cancers de la prostate agressifs (score de Gleason > 7 ou stade non localisé) et diagnostiqués avant 50 ans.

Mise en œuvre du dépistage pour les hommes a haut risque

dépistage par l'examen clinique et le dosage de l'antigène prostatique spécifique (PSA) sanguin n'est pas recommandé en population générale, suite aux contradictions entre l'étude PLCO qui ne montrait pas de réduction du taux de mortalité spécifique dans la population en intention de dépistage [9] et l'étude ERSPC qui montrait une réduction du taux de mortalité spécifique de 20 % [10]. Toutefois, les derniers résultats de l'étude PLCO confirment l'impact du dépistage en présence d'un risque familial/génétique avec une réduction de la mortalité spécifique de 50 % pour les patients dépistés dans un contexte d'histoire familiale de CaP [11]. Le dépistage par l'examen clinique et le dosage du PSA sanguin n'est pas optimal pour la population à haut risque, en particulier associée aux mutations délétères du gène BRCA2 (normes non adaptées, tumeurs peu différenciées avec une faible élévation du taux de PSA, détection des tumeurs palpables d'un certain volume. . .) [12]. L'apport de l'IRM multiparamétrique dans cette situation de diagnostic précoce apparaît dès lors évident, de part ses performances diagnostiques pour les tumeurs de petit volume et peu différenciées. Il lui reste toutefois à être évalué en termes de fréquence et de durée de suivi. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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Le risque individuel, à ce jour, peut être stratifié en 3 niveaux sur des données phénotypiques ou génotypiques (tableau I). Le

Synthèse

O. Cussenot, G. Cancel-Tassin

Références [1]

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[Update on genetic predisposition to prostate cancer].

Genetic predisposition to prostate cancer rarely corresponds to a high penetrance Mendelian pattern of inheritance. These hereditary forms are specifi...
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