Journal des Maladies Vasculaires (2015) 40, 270—272

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LETTRE À LA RÉDACTION

Le syndrome des loges. Point de vue du médecin du sport夽 Compartment syndrome from a sports medicine point of view L’approche du syndrome des loges par le médecin du sport est parfois très différente de celle effectuée par un praticien spécialisé en pathologie vasculaire. Ceci est dû au fait que chez le sportif, les autres étiologies de douleurs sont très fréquentes. C’est ainsi que l’on rencontre bien sûr de nombreuses lésions musculaires, qu’elles soient aiguës ou chroniques, des douleurs d’origine neurologiques ou osseuses ou des douleurs tendineuses. C’est la raison pour laquelle le diagnostic de syndrome de loge est souvent posé avec retard, parfois après plusieurs mois voire plusieurs années d’évolution. L’examen clinique a donc une importance capitale car c’est lui qui va permettre dans la plupart des cas de pouvoir orienter le sportif dans la bonne direction.

Définition Ce syndrome chronique de loge est à bien distinguer du syndrome aigu qui constitue une urgence médico-chirurgicale. Dans le syndrome chronique, le contexte est différent avec une douleur qui survient chez un patient sportif, pendant et après la pratique sportive. On retrouve une claudication intermittente d’effort à pouls conservés. Le plus souvent, les douleurs sont localisées au niveau des jambes mais d’autres localisations sont possibles.

La localisation C’est un des éléments d’orientation majeure puisqu’il s’agit le plus souvent d’une douleur antéro-externe de jambe alors

que les douleurs de type périostite ou fracture de fatigue réveillent une douleur à la partie médiale du tibia. Pour les autres localisations (loge postérieure de jambe, cuisse, avant-bras), la localisation n’est pas un facteur d’orientation. L’autre élément qui peut orienter vers un syndrome de loge, bien qu’il soit parfois asymétrique, est le caractère le plus souvent bilatéral (dans 50 à 80 % des cas).

L’interrogatoire L’interrogatoire dans la plupart des cas permet d’orienter le diagnostic. On interrogera le patient sur la durée d’évolution et on lui demandera également s’il y eu un arrêt du sport. Si la réponse est positive, il est très important de faire préciser la raison de cet arrêt, c’est-à-dire de savoir si c’est la douleur qui l’empêche de pratiquer le sport ou si ce sont des recommandations médicales ou la prudence qui l’ont incité à arrêter. Ensuite, il faut préciser le type de geste qui réveille la douleur. On l’interrogera également sur les examens réalisés et les différents traitements effectués : utilisation d’antalgiques, d’AINS, d’infiltrations, de séances de médecine manuelle, d’ostéopathie et de rééducation. Dans ce dernier cas, il est très important de faire préciser la nature et le contenu des séances de rééducation. Le terrain est le plus souvent le même et un interrogatoire bien conduit permet de faire le diagnostic. Le syndrome de loge se retrouve essentiellement chez des sportifs jeunes, entre 20 et 30 ans. Il n’y a pas de notion de début brutal de la douleur comme dans une élongation ou un claquage. On retrouve souvent un caractère bilatéral et la topographie peut être évocatrice. À cette étape, il est important d’éliminer une étiologie, par exemple inflammatoire qui se traduirait par la présence d’une douleur nocturne.

Caractéristiques de la douleur 夽 Travail présenté au 48e Congrès du Collège franc ¸ais de pathologie vasculaire, Paris, mars 2014.

http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.05.005 0398-0499/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

C’est l’élément essentiel de l’interrogatoire. Celle-ci surviendra pour un patient toujours pour un même temps de

Lettre à la rédaction course sauf s’il a fait un effort récent (dans les jours qui précèdent). Dans ce cas, la douleur peut survenir de fac ¸on plus précoce. La précision et la reproductibilité du délai d’apparition de la douleur est probablement le signe le plus évocateur. Cette douleur peut s’accompagner d’une sensation de tension musculaire et de crampe avec parfois une « ambiance neurovasculaire » à type de paresthésie. C’est une douleur globale du muscle sans le point douloureux précis que l’on va retrouver dans une lésion musculaire et cette douleur va obliger le sportif à s’arrêter. Lors de l’arrêt, la douleur va nettement diminuer mais la gêne peut persister quelques heures, voire quelques jours. Les sports concernés sont essentiellement la course à pied mais également le football, le ski de fond, la natation surtout si elle est pratiquée avec des palmes. En revanche, on ne retrouvera pas de syndrome de loge lors de la pratique du vélo. Pour ce qui concerne les membres supérieurs, on retrouve ces syndromes de loge habituellement lors de la pratique de la moto, du motocross, de la planche à voile ou du VTT. Enfin, on peut retrouver des syndromes de loge chez des professionnels pratiquant des activités contraignantes et prolongées comme les travailleurs manuels ou les musiciens. Le fait d’avoir une douleur dans un sport spécifique et pas de douleurs dans un autre sport est très évocateur. Classiquement, c’est le triathlète qui souffrira en course à pied mais pas en vélo ni en natation. En résumé, si l’interrogatoire permet le plus souvent de s’orienter vers un syndrome de loge, il faudra de fac ¸on systématique rechercher les diagnostics différentiels évoqués ci-dessous et qui peuvent se présenter de fac ¸on trompeuse.

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Les diagnostics différentiels Ils sont beaucoup plus fréquents que le syndrome de loge et c’est en les éliminant que l’on s’orientera vers le syndrome de loge. Il s’agit essentiellement des lésions musculaires (claquages, élongations), mais qui se manifestent en général avec un début brutal, de manière asymétrique et dont l’examen clinique mettra en évidence des signes objectifs. Les atteintes neurologiques provoqueront des douleurs parfois au repos dans un territoire neurologique avec parfois des signes associés. Les delayed onset muscle soreness (DOMS) qui sont des courbatures. Elles ne vont pas apparaître pendant l’effort mais 12 à 48 heures après l’effort et sont liées à des microlésions musculaires qui surviennent à la suite d’un exercice excentrique. Les myopathies sont parfois évoquées mais en général ne sont pas limitées à une topographie précise. Il y a les diagnostics différentiels moins faciles : les périostites et les fractures de fatigue qui se traduisent par des douleurs d’effort avec une localisation proche mais différente puisque le plus souvent il s’agit de la partie médiale du tibia. L’artère poplitée piégée donne des douleurs d’effort mais celle-ci ne persiste pas après l’effort et dans certains cas on peut observer une diminution du pouls surtout lors de la contraction du triceps. Les pathologies veineuses peuvent également simuler un syndrome de loge mais dans ce cas, elles vont être aggravées par le port de chaussettes de contention, ce qui peut être un élément d’orientation important.

Les examens complémentaires L’examen clinique Il est surtout intéressant par les signes négatifs. En effet, le but de cet examen est essentiellement d’éliminer les diagnostics différentiels. En tout premier lieu, la palpation des pouls distaux est normale. De plus, on ne retrouvera pas de douleurs à la palpation ni à l’étirement ni lors des tests isométriques et même les tests dynamiques (par exemple pour le mollet, la montée sur pointe ou les sautillements) ne réveilleront pas de douleurs. Tout ceci ira nettement à l’encontre d’une étiologie d’une lésion musculaire. Pour obtenir des signes cliniques positifs, l’idéal est de pratiquer un examen post-effort et de constater de fac ¸on objective la « dureté » du muscle. Parfois, on observera une hernie musculaire majorée en position debout. Enfin, le test de flexion/extension répété de la cheville (150 dorsiflexions en 4 minutes) peut réveiller la douleur du patient qui alors va reconnaître sa symptomatologie. On recherchera tout de même de manière systématique les facteurs de risques vasculaires. En effet, quel que soit le contexte, il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’une douleur déclenchée par la pratique du sport peut révéler une pathologie sous-jacente vasculaire, rhumatologique ou liée à une autre étiologie.

En pratique, l’échographie musculaire est pratiquée au moindre doute afin d’éliminer une lésion musculaire. D’autres examens peuvent être proposés comme le doppler artériel et veineux qui permet de rechercher des pathologies vasculaires associées. Dans certains cas, l’IRM voire la scintigraphie musculaire peuvent être proposées. L’examen de référence est la mesure des pressions intramusculaires qui n’est pas un test de dépistage mais qui permet de confirmer le diagnostic. Il doit être effectué en période symptomatique et fait par un praticien ayant une expérience de ce type de mesure. Cette prise de pression est effectuée avant et juste après une épreuve d’effort standardisée comme la course sur un tapis roulant. Ce test est considéré positif lorsque la pression après l’effort est supérieure d’au moins 30 mmHg par rapport à la pression initiale de repos. Celle-ci dans la plupart des cas est supérieure à 15 mmHg.

Le traitement C’est la grande difficulté rencontrée avec les sportifs. En effet, la plupart des pathologies de l’appareil locomoteur vont répondre à un traitement médical basé sur de la rééducation comme c’est le cas pour toutes les lésions

272 musculaires, tendineuses ou ostéochondrales. En revanche, dans le cas du syndrome de loge, le seul traitement est chirurgical. Il consiste en une aponévrectomie et non en une simple aponévrotomie qui risque de laisser persister des adhérences. Les complications sont celles de toute chirurgie. Il faut prévenir le patient sur les risques neurologiques et surtout, en particulier pour les femmes, de la présence d’une cicatrice postopératoire. D’ailleurs, cette perspective les fait souvent renoncer au traitement chirurgical auquel elles préfèreront une modification des activités sportives. Le problème « éthique » est que ce traitement n’est pas nécessaire d’un point de vue médical mais que l’on est dans la situation où l’on propose une intervention chirurgicale pour continuer à pratiquer un sport. Cette démarche nécessite donc une longue discussion avec le patient. En général, le patient est hospitalisé pendant 2 jours. Il est gêné pendant 1 à 2 semaines et la reprise du sport s’effectue le plus souvent 6 à 8 semaines après l’intervention.

Conclusion Le diagnostic de syndrome de loge est souvent fait tardivement car les diagnostics différentiels et en particulier les lésions musculaires sont rencontrés plus souvent. C’est très pénalisant pour le sportif car cette pathologie souvent négligée peut avoir un retentissement fonctionnel important. Ceci est regrettable d’autant plus qu’un interrogatoire bien conduit avec quelques questions simples permet le plus souvent de faire le diagnostic. L’examen clinique qui suit l’interrogatoire sera utile pour éliminer la plupart de ces diagnostics différentiels. Le sportif devra choisir le plus souvent entre un geste chirurgical ou l’arrêt de son sport c’est-à-dire le plus souvent la course à pied. Une autre alternative possible consiste en une adaptation des activités physiques (arrêt ou réduction

Lettre à la rédaction de la course à pied remplacée par un autre sport) et c’est ce qui sera accepté dans la plupart des cas. Pour ceux qui souhaitent continuer à tout prix leur pratique sportive, la chirurgie est une solution qui donne de bons résultats.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Pour en savoir plus Roscoe D, Roberts AJ, Hulse D. Intramuscular compartment pressure measurement in chronic exertional compartment syndrome: new and improved diagnostic criteria. Am J Sports Med 2015;43:392—8. Sarlon-Bartoli G, Lazraq M, Bartoli MA, Lagrange G, Coudreuse JM, Jau P, et al. Endofibrose de l’artère iliaque externe diagnostiquée par écho-Doppler post-effort. J Mal Vasc 2012;37:150—4. Pedowitz RA, Hargens AR, Mubarak SJ, Gershuni DH. Modified criteria for the objective diagnosis of chronic compartment syndrome of the leg. Am J Sports Med 1990;18:35—40. Pierret C, Tourtier JP, Blin E, Bonnevie L, Garcin JM, Duverger V. Le syndrome chronique des loges. À propos d’une série de 234 patients opérés. J Mal Vasc 2011;36:254—60. Van den Brand JG, Nelson T, Verleisdonk EJ, van der Werken C. The diagnostic value of intracompartmental pressure measurement, magnetic resonance imaging, and near-infrared spectroscopy in chronic exertional compartment syndrome: a prospective study in 50 patients. Am J Sports Med 2005;33:699—704.

J.-M. Coudreuse Unité de médecine du sport, pôle de médecine physique et de réadaptation — médecine du sport, hôpital Salvator, AP—HM Marseille, 249, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 13 novembre 2014 Accepté le 13 mai 2015 Disponible sur Internet le 15 juin 2015

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