Annales de pathologie (2014) 34, 160—163

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HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANC ¸ AISE DE PATHOLOGIE

Tumeurs rares du rein. Cas no 7. L’oncocytome « atypique ». Combien d’atypies peut-on accepter ? Rare renal tumors. Case No. 7. ‘‘Atypical’’ oncocytoma: How many atypia can we accept? Eva Compérat Service d’anatomie et cytologie pathologiques 1, université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France evrier 2014 Accepté pour publication le 8 f´ Disponible sur Internet le 16 mars 2014

Renseignements cliniques Femme de 78, lombalgies et découverte d’une tumeur rénale. La tumeur est relativement bien limitée, mais semble infiltrer/adhérer macroscopiquement au tissu adipeux périrénal.

Diagnostic Oncocytome au contact d’un tissu adipeux périrénal.

Description La tumeur correspond à un oncocytome typique. Alors qu’elle est au contact du tissu adipeux périrénal, il faut noter l’absence de capsule tumorale ou de réaction du tissu conjonctif à ce niveau. Normalement, en cas d’infiltration de la graisse péri-rénale, on observe fréquemment une réaction desmoplastique ou des signes inflammatoires. S’il s’agit d’un oncocytome, l’image n’est pas inflammatoire et les cellules tumorales sont au contact du tissu adipeux sans la moindre stroma-réaction. Il n’existe généralement pas de capsule à ce niveau (Fig. 1).

Adresses e-mail : [email protected], [email protected] 0242-6498/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.015

Tumeurs rares du rein. Cas no 7. L’oncocytome « atypique »

Figure 1. Oncocytome au contact avec des cellules adipeuses. Absence de stroma réaction ou d’inflammation (HES × 20). Oncocytoma in contact with adipocytes. Absence of stromal reaction or inflammation (H&E × 20).

Commentaires L’oncocytome est une tumeur bénigne du rein et représente 3 à 5 % des néoplasmes rénaux chez l’adulte. En général il s’agit d’une lésion unique, bien limitée, sans nécrose, n’infiltrant pas le tissu adipeux périrénal, sans atypie ni mitose. Il existe une nette prédominance masculine et l’âge de découverte se situe entre 50 et 70 ans [1]. L’aspect macroscopique est assez typique. La lésion est de couleur brunâtre ou acajou, généralement bien limitée, avec une cicatrice centrale dans environ 30 % des cas. Parfois la cicatrice est excentrée, son absence n’excluant pas le diagnostic. Souvent elle est entourée par un stroma lâche. Cette tumeur peut atteindre une taille assez importante et détruire le parenchyme rénal, des cas dont la taille pouvait atteindre 16 cm ont été décrits dans la littérature, la taille moyenne étant de 4 cm [2]. Des aspects kystiques sont vus dans environ 30 % des cas. La plupart du temps il s’agit de petits kystes. Néanmoins des formations intratumorales avec un kyste plus important sont possibles. Cette lésion est normalement unique, mais des cas d’oncocytomes multiples, bilatéraux et des cas familiaux ont été rapportés [2]. Histologiquement, il s’agit d’une tumeur d’aspect assez caractéristique composée de cellules éosinophiles au cadre cellulaire bien visible mais non accentué. Les noyaux sont ronds et réguliers centrés par un nucléole. Différents types d’architecture ont été décrits. Le plus fréquemment, on observe des aspects en nappes, en massifs ou en îlots agencés les uns contre les autres. Un stroma lâche et hypocellulaire est souvent présent, notamment au centre de la lésion et entoure des îlots de cellules tumorales. Des aspects microkystiques, trabéculaires et tubulaires ont aussi été observés. Rarement, de l’hémorragie et de la nécrose ont été rapportés [1,2]. Des cas d’oncocytomes tubulokystiques ont été décrits. Ils sont constitués de structures tubulaires avec un cadre réticulé, des formes mixtes organoïd-tubulocystic existent également [3]. Généralement, l’oncocytome est bien limité et n’infiltre pas la graisse périrénale. Néanmoins, des cas ont été décrits avec une extension dans le tissu adipeux périrénal. Dans leur série de 109 oncocytomes avec des aspects particuliers, Trpkov et al. rapportent que 15,6 % de cas présentent un envahissement du tissu adipeux adjacent [2]. Typiquement il n’existe pas de réaction desmoplastique ou fibreuse autour

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Figure 2. Atypies importantes au sein de la tumeur (HES × 10). Important atypia within the tumor (H&E × 10).

de l’infiltration du tissu adipeux. La tumeur est généralement, comme dans le cas présenté, directement au contact des adipocytes. Dans environ 3 à 4 % des cas, des extensions intravasculaires ont été rapportées. Dans une étude de Hes et al., sept oncocytomes avec invasion de la veine rénale ont été décrits [3]. Tous les malades étaient en bonne santé après un suivi moyen de 3,4 ans. Aucun de ces cas n’a récidivé ni développé de métastase. Néanmoins, il s’agissait plus d’une extension dans les vaisseaux par propagation que d’une véritable adhérence sur la paroi vasculaire [4]. Des aspects atypiques, comme des inclusions intranucléaires, une binucléation, ainsi que d’exceptionnelles mitoses ont été rapportées (Fig. 2 et 3). Des atypies nucléaires focales sont relativement bien connues et présentes dans environ un quart des cas, des oncoblastes sont encore plus fréquents. Il s’agit de cellules de taille plus petite, avec un cytoplasme peu abondant, des petits noyaux foncés, qui s’agencent en nids et qui sont au contact de cellules oncocytaires plus habituelles. Des mitoses peuvent être extrêmement problématiques. Dans la plupart des cas, les mitoses ne sont pas atypiques et restent uniques, mais des cas avec des aspects atypiques ont été décrits et peuvent poser un véritable problème diagnostique. Même s’il s’agit

Figure 3. Mitose atypique et augmentation des noyaux au sein d’un oncocytome (HES × 40). Mitosis and increased atypical nuclei within an oncocytoma (H&E × 40). Remerciements aux Drs Lerintiu et Lindner.

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Figure 4. Angiomyolipome épithélioïde, les atypies sont marquées, il existe des cellules multinuclées (HES × 20). À noter quelques rares adipocytes au sein de la tumeur. Epithelioid angiomyolipoma: marked atypia and multinucleated cells. Note some adipocytes within the tumor (H&E × 20).

de signes histologiques qui peuvent évoquer la malignité, ils n’ont aucun caractère malin dans l’oncocytome. Des calcifications des tubes rénaux inclus dans la tumeur et des petits secteurs de nécrose (souvent une nécrose de coagulation) peuvent également être présents, mais une fois de plus n’ont aucune valeur péjorative. La présence de cellules claires au sein de la tumeur peut constituer un piège car le principal diagnostic différentiel de l’oncocytome est le carcinome chromophobe. Dans une série rapporté par Wang et Fu ; des aspects à cellules claires étaient décrits dans 22 % des cas, (22 % dans la série de Trpkov et al.) [2,5] Souvent on observe ces aspects à cellules claires dans des zones hyalinisées. Tant que ces secteurs ne dépassent pas 5 % de la surface tumorale, la tumeur doit rester dans la catégorie oncocytome. Néanmoins, il est conseillé de multiplier les prélèvements. Il faut analyser les noyaux des cellules tumorales en cas de doute. L’oncocytome a des noyaux ronds avec une membrane nucléaire uniforme et un nucléole proéminent. Le carcinome chromophobe a des noyaux plus irréguliers, en forme de « raisin » avec des encoches et souvent un halo clair autour des noyaux. L’angiomyolipome épithélioïde, constitue un autre diagnostic différentiel à éliminer, mais l’immuno-histochimie avec la positivité de HMB-45 et de l’actine musculaire lisse permettra de redresser le diagnostic facilement. Les adipocytes intratumoraux fournissent un argument complémentaire en faveur d’un angiomyolipome (Fig. 4). Enfin, le carcinome à cellules claires ne pose pas trop de problème diagnostique. L’architecture est généralement plus dense et les cellules tumorales montrent plus d’irrégularités cytonucléaires ainsi que des mitoses. Mais il existe des cas de carcinomes à cellules claires à cytoplasme éosinophile et peu d’atypies cytonucléaires, où le diagnostic peut devenir problématique. Tous ces aspects atypiques ont été appelés par Amin et al. permissible atypical features [6]. La coloration de Hale va permettre de faire surtout la différence entre un oncocytome et un carcinome chromophobe. Le KL-1 est, comme la coloration de Hale, exprimé au niveau apical de la cellule oncocytaire. Si des doutes persistent, l’immuno-histochimie peut apporter une aide au diagnostic. Dans l’oncocytome, la CK7 est exprimée soit de

E. Compérat fac ¸on focale sous la forme de quelques rares cellules éparses (< 5 %) ou est négative. Dans 30 % des cas, on peut observer un marquage par le CD10 ou le CD117. Le carcinome chromophobe exprime généralement fortement la CK7 et montre un marquage membranaire par le CD117. Environ 45 % des cas sont positifs pour CD10 [7]. Une étude turque a montré une forte expression de CD63 au sein des oncocytomes avec une sensibilité de 95 % et une spécificité de 100 % [8]. La multifocalité (11 %) et/ou la bilatéralité (4,6 %) ont également été décrites ainsi que des cas familiaux [9,10]. Dans ces cas, plusieurs hypothèses doivent être émises. La maladie de Birt-Hogg-Dubé doit être recherchée. Cette dernière se caractérise cliniquement par la présence de fibrofolliculomes, essentiellement de la face, associés à des tumeurs du rein (oncocytomes, carcinomes chromophobes, tumeur hybrides, carcinomes à cellules claires), des hamartomes et des kystes pulmonaires, pouvant induire un pneumothorax sporadique. Génétiquement il existe une mutation du gène de la folliculine (17p11.2). Ce syndrome doit également être évoqué chez des patients avec une tumeur rénale de type oncocytome, carcinome chromophobe ou à cellules claires ou tumeur hybride associée à une histoire familiale [11]. L’oncocytomatose est plus volontiers observée chez des patients insuffisants rénaux. Il s’agit de plusieurs foyers de cellules oncocytaires réalisant parfois d’authentiques tumeurs. S’il s’agit d’un patient jeune, la maladie de von Hippel-Lindau pourra être recherchée. L’hereditary paraganglioma-pheochromocytoma syndrome ou syndrome PGL/PC est un syndrome génétique moins bien connu. Ce syndrome est lié à une mutation d’un des gènes succinate dehydrogenase A-D (SDHA, SDHB, SDHC ou SDHD genes) [12]. Les malades développent des paragangliomes, des phéochromocytomes et des tumeurs rénales qui sont le plus souvent des carcinomes à cellules claires, mais qui peuvent aussi être des oncocytomes, parfois avec des aspects assez particuliers [13]. Des tumeurs rénales éosinophiles, des tumeurs mixtes où la distinction entre carcinome chromophobe et oncocytome est impossible, et des oncocytomes ont aussi été décrits. Dans l’étude de Gill et al., la plus importante sur ce syndrome publiée en 2011, les auteurs rapportent cinq tumeurs du rein associées à une mutation de SDHB [14]. Quatre des cinq tumeurs avaient au premier abord une morphologie d’oncocytome d’aspect particulier avec des cellules au cytoplasme éosinophile mais dont les membranes cellulaires sont un peu floues, et présentant un noyau rond parfois centré par un nucléole. Les cellules tumorales ont souvent des inclusions cytoplasmiques comportant un matériel éosinophile ; une vacuolisation cytoplasmique a également été décrite. Ces tumeurs peuvent avoir une architecture kystique mais aussi solide, des tubes rénaux peuvent être inclus dans la lésion. Elles sont en règle générale bien limitées, et leur pronostic semble bon. Un cas dédifférencié dont le pronostic était sombre a aussi été rapporté. Les tumeurs ressemblant à des oncocytomes sont toujours négatifs pour les anticorps anti-SDHB, CD117, p63 et constamment positifs pour CaIX. PAX-8 est. Une faible expression d’AE1/AE3 a été rapportée. Les résultats pour CD10 sont plus discordants, avec une faible positivité dans trois quarts des cas. En revanche, comme dans les oncocytomes, le CK7 est négatif sauf dans un cas. Il serait donc important de penser à rechercher un syndrome de mutation de SDHB en cas d’oncocytome familial. Les malades avec une mutation connue doivent être surveillés de fac ¸on systématique, car ils risquent de développer une tumeur. Les malades avec un

Tumeurs rares du rein. Cas no 7. L’oncocytome « atypique » phéochromocytome et un paragangliome doivent être surveillés au niveau rénal de fac ¸on systématique.

POINTS IMPORTANTS À RETENIR • L’oncocytome est toujours une tumeur bénigne. • Une présentation atypique comme une infiltration du tissu adipeux périrénal, une invasion vasculaire ou des atypies cytonucléaires ainsi que d’exceptionnelles mitoses ne va pas à l’encontre de ce diagnostic. • La multifocalité ou des formes familiales doivent faire évoquer des syndromes familiaux sousjacents.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe. Votes. Questions pour vote en ligne : 1 : Comment classez-vous cette tumeur ? A. Malin à cause de l’infiltration de la graisse périrénale. B. Bénin malgré l’infiltration de la graisse périrénale. C. De pronostic indéterminé. D. Il s’agit d’un carcinome chromophobe. (Réponse : B)

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2 : Donnez-vous un stade pT dans votre conclusion et si oui lequel ? A. Non 8 B. Oui, pT1b 1 C. Oui, pT3a D. Il ne faut pas donner de stade pT pour des 1 tumorectomies (Réponse : A)

Références [1] Davis CJ, Mostofi FK, Sesterhenn IA, Ho CK. Renal oncocytoma. Clinicopathological study of 166 patients. J Urogenital Pathol 1991;1:41—52.

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[Rare renal tumors. Case no 7. "Atypical" oncocytoma: how many atypia can we accept?].

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