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Mise au point

Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Drug–food interactions in internal medicine: What physicians should know? S. Mouly a,∗,b , M. Morgand b , A. Lopes b , C. Lloret-Linares a,b , J.-F. Bergmann a,b a b

Faculté de médecine Paris-Diderot, UMR-S1144, 10, avenue de Verdun, 75010 Paris, France Service de médecine interne A, clinique thérapeutique, hôpital Lariboisière, AP–HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Interactions médicament–aliment Cytochrome P450 3A4 P-glycoprotéine Jus de pamplemousse Plantes médicinales

r é s u m é Les interactions médicament–aliment sont définies par les modifications de concentrations plasmatiques, d’efficacité ou de toxicité d’un médicament par le biais de l’alimentation, d’extraits de plantes, de compléments alimentaires pris simultanément et sont généralement méconnues des internistes. Les interactions médicament–aliment peuvent engendrer une baisse des concentrations plasmatiques du médicament prédisposant à l’échec thérapeutique, ou à l’opposé, une augmentation des concentrations à l’origine d’un risque accru de toxicité parfois gravissime. Les patients âgés, polymédiqués, les transplantés, les patients cancéreux, les patients séropositifs pour le VIH, dénutris, et ceux sous nutrition entérale sont théoriquement les plus exposés. Cette mise au point propose une synthèse la plus exhaustive possible des différentes interactions médicament–aliment observées ou démontrées en pratique clinique quotidienne, leur risque potentiel et les messages clés pour l’interniste. Ce travail insiste notamment sur le rôle majeur du pamplemousse, de ses dérivés, du millepertuis et des autres plantes médicinales au cours des interactions médicament–aliment courantes en pratique clinique. Certaines situations cliniques particulières sont abordées, telles que le Ramadan, la polymédication et la nutrition entérale ou parentérale, de même que les interactions observées par les grandes familles de médicaments. De gros efforts ont été déployés pour mieux comprendre et prédire les interactions médicament–aliment en pratique clinique mais leur épidémiologie et leurs réelles conséquences restent méconnues. Une meilleure connaissance de ce type d’interactions est essentielle pour une meilleure diffusion de l’information auprès des cliniciens et des patients, et une optimisation de la prise en charge transversale multidisciplinaire en médecine interne. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Drug–food interactions Cytochrome P450 3A4 P-glycoprotein Grapefruit juice Herbal medicines

Orally administered medications may interact with various fruits, vegetables, herbal medicines, functional foods or dietary supplements. Drug–food interactions, which are mostly unknown from prescribers, including internists, may be responsible for changes in drug plasma concentrations, which may decrease efficacy or led to sometimes life-threatening toxicity. Aging, concomitant medications, transplant recipients, patients with cancer, malnutrition, HIV infection and those receiving enteral or parenteral feeding are at increased risk of drug–food interactions. This review focused on the most clinically relevant drug–food interactions, including those with grapefruit juice, Saint-John’s Wort, enteral or parenteral nutrition, their respective consequences in the clinical setting in order to provide thoughtful information for internists in their routine clinical practice. Specific clinical settings are also detailed, such as the Ramadan or multiple medications especially in elderly patients. Drug–food interactions are also presented with respect to the main therapeutic families, including the non-steroidal anti-inflammatory drugs, analgesics, cardiovascular medications, warfarin as well as new oral anticoagulants, anticancer drugs and

∗ Auteur correspondant. Service de médecine interne A, hôpital Lariboisière, AP–HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France. Adresse e-mail : [email protected] (S. Mouly). http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010 0248-8663/© 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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immunosuppressant medications. Considerable effort has been achieved to a better understanding of food–drug interactions and increase clinicians’ ability to anticipate their occurrence and consequences in clinical practice. Describing the frequency of relevant food–drug interactions in internal medicine is paramount in order to optimize patient care and drug dosing on an individual basis as well as to increase patients and doctors information. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Généralités – problématiques des interactions médicamenteuses L’administration simultanée de deux ou plusieurs médicaments peut être à l’origine d’interactions pharmacocinétiques (modification du devenir du médicament dans l’organisme) (Fig. 1), pharmacodynamiques (modification de l’action du médicament sur sa cible thérapeutique), ou pharmaceutique (incompatibilité physico-chimique de deux molécules prises simultanément ou de fac¸on rapprochées par voie orale). Toutes les interactions médicamenteuses peuvent être source d’inefficacité thérapeutique ou de toxicité accrue risquant parfois de menacer le pronostic vital des patients [1]. Une interaction médicamenteuse peut être également souhaitée, comme celle utilisée entre le ritonavir et les inhibiteurs de protéase du VIH (effet « booster »), ou au contraire redoutée et imprévisible, comme lors de l’administration simultanée d’érythromycine et de cisapride majorant le risque de torsades de pointes. Le risque d’interactions médicamenteuses augmente avec le nombre de médicaments pris simultanément, une posologie élevée, un traitement au long cours, autant de situations cliniques quotidiennes pour un interniste. L’âge, la malnutrition, la présence d’une hépatopathie chronique ou d’une altération de la fonction rénale sont autant de facteurs augmentant le risque d’interactions médicamenteuses. Dans une étude conduite auprès de 205 patients, la prévalence d’interactions médicamenteuses potentielles était de 13 % chez ceux prenant deux médicaments au long cours et 82 % chez ceux en prenant au moins 7 [2]. En dehors des interactions pharmacodynamiques synergiques classiques (associations d’antihypertenseurs, d’antalgiques, d’anticoagulants), de nombreuses interactions médicamenteuses pharmacocinétiques liées à une modification du métabolisme ou du transport d’un médicament dans l’organisme vers les organes d’élimination, par un ou plusieurs autres médicaments simultanément associés existent [3]. Ces modifications peuvent être liées à une accélération du métabolisme et du transport (induction enzymatique), source d’élimination rapide et de sous-dosage ou au

Fig. 1. Rappel des principales étapes pharmacocinétiques des médicaments pris par voie orale.

contraire à une diminution de ce même métabolisme ou transport (inhibition enzymatique), source de surdosage et de toxicité. Pour les médicaments pris par voie orale, l’intestin grêle humain constitue la première barrière contre la pénétration des xénobiotiques dans l’organisme en raison de sa richesse en cytochromes P450 (CYP), principales enzymes de détoxification de l’organisme [4,5]. L’expression des CYP est variable d’un individu à l’autre, expliquant les différences de biodisponibilité observées de certains médicaments, et par conséquent leur efficacité et toxicité. Le foie et l’intestin grêle humain sont les sites privilégiés de détoxification des xénobiotiques en raison de leur richesse en CYP, notamment CYP3A4, voie métabolique principale de plus de 60 % des médicaments actuellement commercialisés, de leur vascularisation et leur situation anatomique, définissant l’effet de premier passage des médicaments (Fig. 2) [4,5]. L’importance de l’intestin grêle au cours du métabolisme des médicaments a été d’ailleurs confirmée grâce aux premières descriptions d’interactions survenant avec certains aliments ou boissons non métabolisés par le foie. 2. Généralités sur les interactions médicament–aliment La biodisponibilité des médicaments est la fraction de dose administrée réellement absorbée au niveau de l’intestin grêle et qui échappe à l’effet de premier passage intestinal et hépatique. Les interactions médicament–aliment (IMA) sont définies par les modifications de biodisponibilité entraînant des variations de concentrations (pharmacocinétiques), d’efficacité ou de toxicité (pharmacodynamie) d’un médicament par le biais de l’alimentation, d’extraits de plantes, de compléments alimentaires [6]. Les IMA sont communément négligées par les médecins car longtemps limitées à l’influence du type ou de l’horaire des repas sur l’absorption d’un médicament. En effet, la nourriture ralentit la vidange gastrique, élève le pH de l’intestin grêle proximal, augmente le débit sanguin hépatique et prolonge le temps de transit gastro-intestinal par rapport au jeûne [7]. Le repas diminue de

Fig. 2. Expression et localisation du CYP3A4 au niveau de la bordure en brosse des entérocytes et inhibition du métabolisme intestinal des médicaments par le jus de pamplemousse. CYP3A4 : cytochrome P450 3A4 ; P-gp : P-glycoprotéine.

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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50 % les concentrations plasmatiques d’isoniazide, de rifampicine et d’éthambutol, nécessitant une prise à jeun et à distance des repas pour préserver l’efficacité de ces traitements [8]. L’effet anticoagulant des antivitamines K est réduit par l’ingestion répétée de choux, choux de Bruxelles, asperges, laitue, épinards, avocat ou foie, autant d’aliments riches en vitamine K [9]. Depuis plus de 15 ans, il a été montré que certains aliments pouvaient affecter la pharmacocinétique des médicaments pris par voie orale, en agissant au niveau de leur métabolisme intestinal ce qui reste très mal connu des prescripteurs [6]. Les IMA peuvent engendrer une baisse des concentrations plasmatiques du médicament et un risque d’échec thérapeutique, ou inversement, une augmentation des concentrations et un risque accru de toxicité parfois gravissime. Les patients âgés polymédiqués, les transplantés, les patients cancéreux, les patients séropositifs pour le VIH, dénutris, et ceux sous nutrition entérale sont théoriquement les plus exposés aux IMA [6]. Quatre types d’IMA sont habituellement reconnus selon leur mécanisme respectif [6,10] :

• type 1 « bio-inactivation ex vivo » : le médicament est rendu inactif par l’alimentation en raison de ses propriétés physicochimiques et de réactions chimiques locales intraluminales (hydrolyse, oxydation, neutralisation, précipitation, complexation, chélation). L’alendronate ou l’étidronate, la didanosine, les tétracyclines sont à prendre à distance du repas en raison d’un risque de chélation et de malabsorption [11]. D’autres médicaments courants (ciprofloxacine, norfloxacine, avitriptan, indinavir, itraconazole en sirop, lévodopa, melphalan, périndopril, mercaptopurine) sont également à risque d’IMA de nature biochimique [11]. Ce type d’IMA inclut également les modifications d’ionisation du médicament par la réponse physiologique induite par l’alimentation, en particulier la sécrétion acide gastrique susceptible de diminuer la biodisponibilité de certains antibiotiques (ampicilline, azithromycine, didanosine, érythromycine, isoniazide) [11]. Inversement, l’alimentation (albendazole, atovaquone, griséofulvine, isotrétinoine, lovastatine, méfloquine, saquinavir, tacrolimus) ou les sécrétions acides gastriques (itraconazole en comprimés) ou biliaire (griséofulvine, halofantrine) physiologiques peuvent augmenter la biodisponibilité de certains médicaments par augmentation de leur absorption intestinale [11] ; • type 2 : il s’agit d’IMA affectant l’absorption intestinale par au moins un des mécanismes suivants : modification du pH gastrique, du temps de transit intestinal, de la dissolution du médicament, ou par induction ou inhibition des enzymes du métabolisme intestinal (CYP) ou des transporteurs intestinaux. Ce type d’IMA a été particulièrement étudié avec les jus d’agrumes, notamment le jus de pamplemousse et sera détaillé plus loin ; • type 3 : IMA affectant l’effet pharmacologique du médicament une fois qu’il a pénétré la circulation systémique. On peut citer par exemple les interactions avec les aliments affectant la synthèse ou l’activation des facteurs de coagulation et susceptible d’engendrer une interaction avec certains anticoagulants oraux ; • type 4 : IMA susceptible d’affecter l’élimination biliaire (cycle entérohépatique) ou plus exceptionnellement rénale des médicaments.

La complexité des mécanismes physiologiques et physiopathologiques impliqués dans les IMA, la grande diversité des repas ou des solutions de nutrition entérale rendent les informations concernant la compatibilité avec les médicaments d’utilisation courante ou spécifique et le risque d’IMA incomplètes [12]. Cet article propose donc une synthèse des différentes IMA observées ou

3

Jonction serrée CYP3A4

P-gp

Mitochondrie

MRP-1 LUMIERE INTESTINALE

MRP-2

CYP3A4

CYP3A4

CYP2C19

CYP2C9

OATP

MRP-3

CYP3A4

MRP-3

Noyau

UGT1A1

BCRP

MRP-1

MRP-5 UGT2B7

OATP

S A N G P O R T A L

Fig. 3. Représentation schématique et non exhaustive d’un entérocyte. P-gp : Pglycoprotéine ; MRP : multidrug resistance protein ; BCRP : breast cancer related peptide ; OATP : organic anion-transporting peptide ; CYP : cytochrome P450 ; UGT : uridyl-diphosphate-glucuronosyl-transférase.

démontrées en pratique clinique quotidienne, leur risque potentiel et les messages clés pour l’interniste. 3. Le métabolisme et le transport intestinal : mécanisme physiopathologique des interactions médicament–aliment 3.1. Contexte Les aliments, vitamines et compléments alimentaires à base de plantes ou de produits dits « naturels » peuvent modifier l’absorption, la distribution, le métabolisme, voire l’élimination des médicaments, par des phénomènes physiques ou physicochimiques. La phénytoïne se lie par exemple aux sels et protéines des formulations de nutrition entérale, réduisant son absorption et son efficacité thérapeutique [12]. Les tétracyclines sont chélatées par tous les produits alimentaires à base de calcium [13]. Inversement, un repas gras optimise la biodisponibilité des médicaments très lipophiles comme les inhibiteurs de protéase du VIH [13]. Les jus d’agrumes, certains compléments alimentaires et certaines plantes médicinales modulent l’action des enzymes du métabolisme (CYP, enzymes de phase II) et des transporteurs d’influx et d’efflux exprimés le long de la bordure en brosse des entérocytes de l’intestin grêle (Fig. 3). Ces mécanismes, démontrés in vitro et in vivo, ont un rôle majeur au cours des IMA [13]. 3.2. L’effet de premier passage intestinal L’intestin grêle est une étape majeure de l’effet de premier passage et constitue une authentique barrière au passage des médicaments et xénobiotiques vers la circulation systémique (Fig. 4) [14,15]. La majorité des CYPs et enzymes de phase II (UDP-glucuronosyl-transférases, sulfotransférases, glutathionS-transférase, N-acétyltransférase) sont exprimés au niveau de la bordure en brosse de l’intestin grêle (Fig. 3) [14–16]. Ce dernier est majoritairement responsable du métabolisme de nombreux médicaments d’utilisation courante parmi lesquels midazolam, vérapamil, amiodarone, nifédipine, saquinavir, ciclosporine [1–5,14,17]. Associés aux CYPs, les transporteurs d’efflux (empêchant l’entrée des xénobiotiques dans l’organisme), d’influx (favorisant l’absorption intestinale des médicaments) ou bidirectionnels sont également exprimés le long de la bordure de l’intestin grêle et du côlon (Fig. 3) [17]. Parmi eux, la P-glycoprotéine (P-gp) pompe d’efflux ATP-dépendante, exprimée le long de l’intestin grêle assure un rôle de barrière à l’absorption de très nombreux médicaments

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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Fig. 4. Schématisation de l’effet de premier passage d’un médicament pris par voie orale chez l’Homme. CYP3A4 : cytochrome P450 3A4 ; P-gp : P-glycoprotéine ; D : drogue (médicament) ; M : métabolite.

et xénobiotiques [17,18]. La plupart des médicaments métabolisés par le CYP3A4 étant également substrats de la P-gp, ce réseau enzymatique et de transporteurs, dont la localisation est proche au niveau entérocytaire, assure donc une véritable barrière contre l’absorption intestinale des médicaments et xénobiotiques, en amont du foie permettant en principe un contrôle optimal des concentrations plasmatiques (Fig. 4) [17–21]. 3.3. Conséquences et implications au cours des interactions médicament–aliment L’utilisation de produits dits « naturels » [extraits de plantes, millepertuis (Saint-John’s Wort ou Hypericum perforatum), compléments alimentaires] à des fins médicinales est de plus en plus répandue dans le monde [22]. Les jus d’agrumes sont également largement consommés au quotidien. L’association de compléments alimentaires, de jus d’agrumes ou de plantes médicinales à des médicaments peut donc être source d’IMA en raison de modifications du métabolisme et du transport intestinal [13,22]. Ces modifications de l’effet de premier passage intestinal sont liées aux composés chimiques (le plus souvent dénommés flavonoïdes) contenus dans les fruits, légumes, plantes et autres boissons incriminées [13]. Les médicaments et les aliments détaillés ci-dessous constituent des exemples cliniques d’IMA chez l’Homme. Leur mécanisme est souvent multiple mais par souci de clarté, seul le mécanisme principal est mentionné. 4. Interactions médicament–aliment avec les fruits, légumes, jus de fruits et autres boissons Les fruits et légumes sont d’importants composants de l’alimentation fortement recommandés en raison de leur faible apport calorique contrastant avec un apport important de micronutriments et fibres alimentaires [23]. Certains fruits et légumes consommés sous forme de fruit entier ou de concentré sont cependant à l’origine d’IMA dont certaines sont parfois mortelles. Le Tableau 1 synthétise les principaux composés chimiques contenus dans les fruits et légumes les plus couramment consommés [23].

Plus de 85 médicaments disponibles sont connus ou susceptibles d’interagir avec le pamplemousse, en raison d’une inhibition par ce dernier de leur métabolisme intestinal (Fig. 2) avec pour conséquence une majoration de leurs concentrations plasmatiques et un risque accru d’événements indésirables graves pour plus de la moitié d’entre elles, parmi lesquels torsades de pointes, rhabdomyolyse, myélotoxicité, dépression respiratoire, hémorragie gastro-intestinale, néphrotoxicité sont couramment publiés ou rapportés (Tableau 2). Entre 2008 et 2012, le nombre de médicaments avec lesquels de sérieuses complications ont été rapportées en cas de prise concomitante de pamplemousse a été multiplié par 3 [24–27]. Les furanocoumarines (bergamottine, 6 7 -dihydroxybergamottine), responsables de l’inhibition du métabolisme intestinal des médicaments par le pamplemousse ne traversent pas la barrière intestinale mais forment une liaison covalente avec le CYP3A4 inhibant son activité de manière irréversible et prolongée jusqu’à la synthèse de nouvelles enzymes actives (environ 24 heures). L’absence d’interaction au niveau hépatique explique pourquoi les principales modifications observées sont une augmentation majeure des concentrations plasmatiques et notamment du pic plasmatique des médicaments concernés, sans modification de l’accumulation et de la demi-vie d’élimination qui dépendent majoritairement du métabolisme hépatique, de la distribution tissulaire et de l’élimination rénale. Que ce soit le fruit entier, le jus de fruit frais ou le concentré congelé, toutes les formes de pamplemousse peuvent être responsables d’IMA [24–27]. Un pamplemousse entier ou 200 mL de jus de pamplemousse frais suffit à entraîner une interaction médicamenteuse cliniquement pertinente, voire gravissime, menac¸ant le pronostic vital. Les interactions médicament–pamplemousse ne sont pas des effets de classe mais « médicament spécifique ». Les médicaments concernés sont majoritairement pris par voie orale, ont une biodisponibilité faible (< 50 %) en raison d’un métabolisme intestinal extensif par le CYP3A4. Plus la biodisponibilité est faible, plus l’interaction est potentiellement dangereuse en raison de l’augmentation potentiellement importante des concentrations en présence de pamplemousse [24–27]. Grâce aux mentions légales du médicament détaillant ses propriétés pharmacocinétiques, cet aspect pourrait être anticipé par le clinicien. En revanche, la quantité de CYP3A4 actif exprimé dans l’intestin varie d’un facteur 10 à 20 chez l’Homme et ne peut pas être anticipée en pratique [28]. Il a été observé avec les inhibiteurs calciques que plus la quantité de CYP3A4 intestinal actif est élevée, plus le risque d’interaction est important [24]. Ce risque est également maximal lorsque l’intervalle séparant la consommation de pamplemousse de la prise médicamenteuse est inférieur à 4 heures. Cependant, un intervalle de 10 heures expose encore un risque d’interaction d’environ 50 % et un intervalle de 24 heures expose à un risque de 25 % [29,30]. Un délai de trois jours entre l’ingestion de pamplemousse et la prise médicamenteuse annule complètement ce risque car il correspond au temps nécessaire pour le renouvellement total de l’activité CYP3A4 intestinale. En résumé, les patients âgés de plus de 45 ans, polymédiqués (notamment sous hypolipémiants, sédatifs ou traitements cardiovasculaires) et consommateurs de pamplemousse sont les plus à risque d’interaction. Au delà de 70 ans, les interactions sont les plus graves, voire mortelles [24].

4.2. Les fruits dérivés du pamplemousse 4.1. Le pamplemousse (Citrus paradisi, Citrus) Les interactions de certains médicaments avec le pamplemousse (fruit ou jus) ont été découvertes il y a plus de 20 ans [24–27].

Tous les fruits dérivés du pamplemousse (orange de Séville, citron vert, Pomelo) sont également riches en furanocoumarines et susceptibles d’engendrer le même type d’IMA. Les

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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Tableau 1 Principaux composés chimiques de fruits et légumes de consommation courante et susceptibles d’être à l’origine d’interactions médicament–aliment [23]. Composés chimiques Fruits Pamplemousse Orange, tangérine Raisins Cranberries Pomégranate Pomme Framboise Légumes Broccoli Épinards Cresson Tomate Carotte Avocat

Furanocoumarines (bergamottine, dihydroxybergamottine), flavonoïdes (nobilétine, tangérétine, quercétine, diosmine, naringénine, kaempférol) Flavonoïdes Stilbens (resvératrol, viniférin) et flavonoïdes Quercétine, caroténoïdes, anthocyanidine Acides phénoliques (punicalagine, tannins), pectine, anthocyanine Acides phénoliques, flavonoïdes, mangiférine, saponines Flavonoïdes, acide phénolique, catéchines, acide salicylique Isothiocyanate sulforaphane, glucosinolate glucoraphanin, glucosinolates, acide phénolique, indol, dithiolthiones Flavonoïdes acide p-coumarique, acide lipoïque, poliphénols, lutéine, zeaxantine, bétaïne Phényléthyl isothiocyanate, flavonoïdes, méthylsulfphinylakyl isothiocyanate, acide hydroxycinnamique, caroténoïdes Caroténoïdes, phytoène, neurosporène, lycopène, phytoène, phytofluène, quercétine, polyphénols, kaempférol Polyphénols, caroténoïdes, quercétine, myrecétine, panaxynol Persin, caroténoïdes, lutéine, glutathion

Tableau 2 Liste non exhaustive de médicaments couramment prescrits impliqués dans les interactions avec le pamplemousse ou ses dérivés [24–27,33]. Médicaments

Biodisponibilité (%)

Inhibiteurs calciques (tous)

5–40

150–300

Inhibiteurs de tyrosine kinase (erlotinib, nilotinib, crisotinib, venurafénib, etc.) Agents anti-infectieux (érythromycine, primaquine, halofantrine, maraviroc, primaquine, rilpivirine, quinine) Triazolam, midazolam Ciclosporine, évérolimus, sirolimus, tacrolimus Amiodarone, dronédarone, apixaban, éplérénone, quinidine, rivaroxaban, ticagrélor, ivabradine Clopidogrel Oxycodone, pimozide, quétiapine, alfentanil, fentanyl Buspirone, dextromethorphan, kétamine, lurasidone Dompéridone Simvastatine, lovastatine Atorvastatine

< 30

150–250

Hypotension orthostatique, malaises, œdèmes périphériques Torsades de pointe, myélotoxicité

30–60

> 250

Torsades de pointe, myélotoxicité

30–40 20 30–70

150 150–1000 150–300

< 20 30–60

< 20 > 300

< 20

> 500

< 30 5–20 5–20

> 300 900–1600 300–600

Somnolence, dépression respiratoire Effet bénéfiquea , néphrotoxicité, myélotoxicité Torsades de pointe, hémorragie digestive, arythmie, hyperkaliémie Perte d’efficacitéb Somnolence, torsades de pointes, dépression respiratoire Dépression respiratoire, hallucinations, vertiges, instabilité, sédation somnolence Torsades de pointes

a b

Concentration (%)

Conséquences

Rhabdomyolyse

Le jus de pamplemousse augmente la biodisponibilité de la ciclosporine et réduit la variabilité inter- et intraindividuelle de ses concentrations. Le clopidogrel est une prodrogue dont l’effet thérapeutique nécessite un métabolisme initial par le CYP2C19 et le CYP3A4.

oranges, dépourvues de furanocoumarines, n’inhibent pas l’activité CYP3A4 intestinale et ne sont pas responsables d’IMA [24]. 4.3. Les nouvelles interactions médicamenteuses avec les jus de fruit De récentes études in vitro ont révélé que certaines flavonoïdes (naringine, naringénine, quercétine, hespéridine) contenues dans le pamplemousse, les pommes et les oranges inhibaient l’activité de transporteurs d’influx (favorisant donc l’entrée des médicaments et xénobiotiques dans l’organisme) exprimés le long de la bordure en brosse des entérocytes favorisant l’entrée des médicaments et autres xénobiotiques dans l’organisme (Fig. 3) [31,32]. Contrairement aux IMA vues précédemment, l’inhibition de tels transporteurs d’influx par les jus de fruits, essentiellement les OATPs (organic anion-transporting peptide) engendre une baisse des concentrations plasmatiques des médicaments substrats de ces transporteurs avec un risque de perte d’efficacité. Le nombre de médicaments concernés par ce type d’IMA est cependant faible et comprend la féxofénadine (analogue de la terfénadine) non utilisée en France (baisse de 30 à 60 % en cas de prise concomitante de jus d’orange ou de pamplemousse), les bêta-bloquants (céliprolol, aténolol, acébutolol), la ciprofloxacine, la lévofloxacine, l’aliskiren et l’étoposide dont les concentrations respectives chutent de 80 % en cas de prise concomitante de jus de pamplemousse [32–34]. Tous

les médicaments substrats des OATPs ne sont pas concernés par ce type d’interaction. Les antidiabétiques oraux (glyburide, glybenclamide, répaglinide), la l-thyroxine et les statines non métabolisées par le CYP3A4 mais substrats des OATPs (pravastatine, rosuvastatine, fluvastatine, pitavastatine) ne sont pas affectés par les jus de pamplemousse, d’orange ou de pomme. De plus, ce type d’IMA est transitoire, l’effet des jus de fruit sur ces transporteurs se dissipant en quelques heures, si bien qu’une prise du médicament plus de quatre heures après l’ingestion du jus de fruit réduit de plus de 60 % le risque d’interaction [34]. Par ailleurs, de grandes quantités (> 300 mL/jour) de jus de fruit doivent être consommées quotidiennement pour observer de telles IMA en pratique clinique. 4.4. Interactions avec le jus de « cranberries » (Vaccinium macrocarpon) Le « cranberry » (airelle, canneberge) est un fruit largement consommé aux États-Unis sous forme de jus, en raison de vertus antiseptique urinaire [23,35]. Les IMA impliquant le jus de « cranberries » semblent liées à la présence de flavonoïdes et d’acide organique et phénolique, inhibant les CYP2C9 et CYP3A4 intestinal (Tableau 1, Fig. 4). À ce jour, seuls 8 cas d’IMA avec la warfarine (augmentation de l’INR et l’apparition de saignement) et un cas avec le midazolam (somnolence) ont été publiés [23,35]. Ces deux exemples cliniques d’IMA sont cependant survenus après ingestion

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de 250 à plus de 700 mL/jour de jus de « cranberries » sur une heure ou une journée et pendant plusieurs jours consécutifs [35]. D’autres médicaments peuvent être à risque potentiel d’IMA avec le jus de « cranberries » parmi lesquels les anti-inflammatoires non stéroïdiens substrats du CYP2C9 et CYP3A4 (diclofénac, flurbiprofène), les inhibiteurs calciques, les immunosuppresseurs de la famille des inhibiteurs de la calcineurine substrats du CYP3A4 (ciclosporine), certains antibiotiques (amoxicilline, céfaclor) nécessitant donc la vigilance des prescripteurs [23,35]. 4.5. Interactions avec les autres fruits et légumes De nombreux autres composés chimiques contenus en quantité significative dans les pommes, mangues, goyaves, framboises, ail, brocolis, cresson, tomates (et jus de tomate), carottes, avocat, céleri (Tableau 1) ont été largement étudiés in vitro pour leur capacité de moduler, à des concentrations cliniquement pertinentes, l’activité de nombreux CYP et transporteurs chez l’Homme. À ce jour, seul l’ail a été incriminé au cours d’IMA avec les antivitamines K (risque accru de saignement) et les antirétroviraux (saquinavir, perte d’efficacité antivirale) [13,23,36,37]. 4.6. Interactions avec d’autres boissons Du fait de son niveau d’oxydation minimal, le thé vert contient de grandes quantités de polyphénols (catéchines notamment) susceptibles d’interagir avec l’effet de premier passage des médicaments [13]. Un seul cas d’IMA a été décrit à ce jour chez un patient de 58 ans transplanté rénal traité par tacrolimus et chez qui les concentrations de ce dernier ont doublé, avec retour aux valeurs initiales après arrêt de la consommation de thé vert [13]. Le vin et la bière sont riches en flavonoïdes et polyphénols susceptibles de moduler l’activité CYP intestinale. Les deux seules IMA cliniquement significatives concernent à ce jour la chlorzoxazone et la ciclosporine dont les concentrations ont diminué de 50 % en cas de prise concomitante de vin rouge (riche en quercétine) [38]. En raison du risque de rejet de greffe pour les patients traités au long cours par cyclosporine, une telle association devrait être évitée. 5. Interactions médicamenteuses avec les plantes médicinales et suppléments vitaminiques Les plantes médicinales et suppléments nutritifs à base de plantes, nutriments ou de vitamines sont d’utilisation courante et croissante à travers le monde [39–42]. Plus de 30 % des Américains utilisent au moins un complément alimentaire, dont un tiers contient une plante médicinale [43]. Un tiers des Américains consommant ces plantes médicinales et suppléments nutritifs prennent simultanément un traitement par voie orale [43,44]. Les extraits de Gingko biloba riches en flavonoïdes (« ginkgolides ») préconisés dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, des vertiges de Ménière ou de la maladie artérielle périphérique sont essentiellement consommés par les sujets âgés polypathologiques et polymédiqués [38]. Malheureusement, leur fabrication et la qualité de ces suppléments nutritifs et plantes médicinales n’est contrôlée par aucune agence réglementaire en France ou dans le monde [42]. Le problème majeur rencontré en pratique clinique est la méconnaissance par le médecin, et parfois le patient lui-même de la consommation de ces compléments alimentaires. Ces derniers étant en vente libre dans les supermarchés, les pharmacies ou chez les herboristes, le médecin en ignore souvent la consommation effective, la posologie (parfois excessive ou toxique), l’horaire des prises, notamment par rapport à l’horaire des prises médicamenteuses et ne peut donc anticiper le risque d’IMA ni en établir le lien de causalité [42]. Celui-ci est particulièrement important chez

les patients polymédiqués, ayant une ou plusieurs affections chroniques, recevant des médicaments ayant un index thérapeutique étroit et porteur d’un (ou plusieurs) polymorphisme génétique au niveau des enzymes ou transporteurs impliqués dans l’effet de premier passage des médicaments, cette dernière information étant rarement disponible et accessible en pratique clinique en dehors des essais thérapeutiques [40–42]. Avec les extraits de G. biloba, le risque d’IMA est faible (sauf avec certains médicaments, en raison d’une inhibition de l’agrégation plaquettaire par les « ginkgolides », Tableau 3) à condition de consommer des doses quotidiennes inférieures à 250 mg [38,44]. À plus fortes doses (10–100 mg/kg/jour), il peut exister une inhibition significative des CYP3A4, CYP2C9, CYP2C19, P-gp, OATP2B1 au niveau intestinal (Fig. 3) [38]. Nous rapportons ici les seules IMA pertinentes et susceptibles d’être observées en pratique quotidienne mais une distinction est nécessaire et urgente entre les interactions « potentielles » donc non prouvées et « documentées » indiquant pour ces dernières, les associations à éviter et l’orientation à donner à l’interrogatoire des patients (Tableau 3) [42].

5.1. Interactions avec les analgésiques : exemples d’interactions pharmacodynamiques Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, en particulier l’aspirine, interagissent volontiers avec les suppléments nutritifs à base de plantes possédant une activité anti-agrégante plaquettaire (Gingko, ail, gingembre, Ginseng, myrtille, camomille, curcuma, saule, reine des prés) ou contenant de la coumarine (camomille, fenugrec, trèfle rouge) en raison d’une augmentation du risque de saignement. Le paracétamol peut également interagir avec le Gingko et toutes les plantes citées ci-dessus, en augmentant le risque de saignement [39]. Son hépatotoxicité et sa néphrotoxicité sont potentiellement augmentées en présence d’échinacéa, de kava ou de saule, toutes trois hépatotoxiques. L’utilisation de suppléments nutritifs à base de valériane, kava ou camomille n’est pas recommandée en association avec les opioïdes analgésiques, l’alcool, les barbituriques, les antidépresseurs et les antipsychotiques en raison du risque de somnolence accrue et de dépression respiratoire d’origine centrale [39,42]. L’effet analgésique des opioïdes peut également être inhibé par le Ginseng.

5.2. Interactions médicamenteuses avec le millepertuis (Saint-John’s Wort, Hypericum perforatum) Le millepertuis (Saint-John’s Wort, H. perfortatum) est un extrait de plante de la famille des Guttiferae que l’on trouve principalement en Europe Centrale et en Asie, utilisé depuis des siècles pour traiter l’insomnie et la dépression. De nombreuses données précliniques et cliniques indiquent que l’hyperforine contenue dans le millepertuis et aux propriétés antidépressives est également un puissant inducteur enzymatique pour les CYP1A2, CYP2C9, CYP2C19, CYP3A4, CYP2E1 (alcool deshydrogénase) et Pgp au niveau hépatique et intestinal [44,45]. De nombreuses IMA cliniquement pertinentes survenant avec des médicaments très couramment prescrits sont associées au millepertuis (Tableau 3) [38,42,44,45]. Dans tous les cas, l’interaction est liée à une induction du métabolisme et de l’élimination du médicament pris simultanément ou dans les jours qui suivent l’ingestion de tisanes ou infusions à base de millepertuis avec un risque majeur d’inefficacité et d’échec thérapeutique [38,42,44,45]. Cette induction enzymatique est dose-dépendante si bien que la gravité des IMA constatées augmente avec la dose.

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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Tableau 3 Principales interactions pharmacocinétiques/pharmacodynamiques médicament-plante médicinale/supplément nutritif cliniquement pertinentes [38,42,44,45]. Plantes médicinales

Interaction documentée

Gingko

Augmentation du risque hémorragique sous antivitamines K et sous aspirine et anti-inflammatoire non stéroïdien ; risque de perte d’efficacité anti-comitiale du valproate de sodium Augmentation du risque hémorragique sous antivitamines K Augmentation du risque d’hypoglycémie sous antidiabétique oraux Perte d’efficacité par induction enzymatique et accélération de l’élimination de nombreux médicaments (digoxine, ivabradine, nifédipine, talinolol, vérapamil indinavir, névirapine, théophylline, cyclosporine, tacrolimus, contraceptifs oraux, anticoagulants oraux, sédatifs, amytriptiline, buspirone, méthadone, sertraline, phénytoïne, simvastatine, atorvastatine, imatinib, irinotecan, cimétidine, oméprazole) Effet laxatif potentialisant la toxicité cardiaque des antiarythmiques Hypokaliémie potentialisant la toxicité cardiaque des thiazidiques, digoxine et antiarythmiques Effet laxatif potentialisant la toxicité cardiaque des antiarythmiques Risque accru d’hypertension avec les IMAOs, risque d’arythmie cardiaque sous antiarythmique Augmentation du risque de saignement sous antivitamines K

Ail Ginseng Millepertuis (Saint-John’s Wort)

Rhubarbe Réglisse Aloe Ma-huang Salvia

6. Interactions médicament–aliment selon les grandes familles de médicaments d’utilisation courante 6.1. Médicaments antiarythmiques et antihypertenseurs En raison d’un métabolisme complexe et d’une biodisponibilité variable, l’efficacité thérapeutique des antiarythmiques est hétérogène d’un patient à l’autre. D’après une revue récente de la littérature, les concentrations plasmatiques des antiarythmiques, à l’exception des bêta-bloqueurs, augmentent d’au moins 50 % lors d’un repas gras [46]. Le pamplemousse augmente significativement les concentrations plasmatiques et le risque de toxicité de l’amiodarone, dronédarone, quinidine, disopyramide, vérapamil, félodipine et propafénone par inhibition de leur métabolisme intestinal (CYP3A4, Fig. 2, Tableaux 1 et 2) [46]. En pratique, en cas de traitement au long cours, la consommation de pamplemousse ou de ses dérivés n’est pas recommandée chez ces patients. Inversement, le millepertuis diminue significativement les concentrations plasmatiques et l’efficacité des antiarythmiques par induction du CYP3A4 et de la P-gp intestinale et hépatique [46]. La glycyrrhizine (réglisse, « licorice ») accroît le potentiel arythmogène de la digoxine en raison de son effet hypokaliémiant. Une étude clinique conduite chez 17 volontaires sains a montré que les concentrations plasmatiques (notamment au pic) de quinidine étaient significativement diminuées par la prise concomitante de sel de régime, sans modification de l’activité métabolique de ces patients [47]. Une revue récente de 236 articles concernant les principales IMA avec les traitements antihypertenseurs a montré qu’en dehors des inhibiteurs calciques (nifédipine, amlodipine, nicardipine, félodipine, nisoldipine, barnidipine, isradipine, vérapamil, diltiazem) substrat du CYP3A4 et de la P-gp intestinale et hépatique et dont la biodisponibilité et les effets indésirables (œdèmes, flush, hypotension orthostatique) augmentent en cas de prise concomitante de pamplemousse, aucune IMA cliniquement pertinente n’a été mise en évidence avec les autres classes, à l’exception du valsartan, du furosémide et de l’hydralazine dont la prise à jeun doit être recommandée en raison d’une réduction respective de 50 %, 50 % et 70 % de leur biodisponibilité en cas de prise lors du repas [48]. 6.2. Médicaments anticoagulants oraux Les antivitamines K continuent d’être le traitement de référence des thromboses veineuses profondes et de la prévention des accidents thromboemboliques artériels au cours de l’arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire, à condition d’être données à la bonne posologie permettant d’atteindre durablement l’INR cible [43,49,50]. Ils sont principalement métabolisés au niveau hépatique par le CYP2C9, génétiquement déterminé et en dépit des nombreuses interactions médicamenteuses et IMA décrites

avec ces traitements, la première revue de la littérature n’est apparue qu’en 1994 ! Une revue systématique récente de plus de 180 citations a permis d’identifier 120 interactions médicamenteuses ou IMA impliquant la warfarine, résumées dans le Tableau 4 selon leur niveau de probabilité et de leur conséquence clinique [43,49]. La fréquence des interactions médicamenteuses avec la warfarine est nettement supérieure à celle des IMA, mais ces dernières sont rarement détectées en pratique clinique et pourraient expliquer en partie cette différence. Une étude récente a rappelé que de nombreux aliments, plantes et compléments alimentaires sont riches en dérivés de la warfarine (arnica, camomille, radis noirs, sel de céleri, fenouil, laitue sauvage, carotte sauvage) et peuvent être à l’origine d’une potentialisation de l’effet anticoagulant de la warfarine sans qu’il ne s’agisse d’une interaction au niveau du métabolisme de l’anticoagulant [43]. Depuis 5 ans, plusieurs anticoagulants oraux directs ont été mis sur le marché parmi lesquels le dabigatran, le rivaroxaban, l’apixaban et plus récemment, l’édoxaban [43,50]. Rivaroxaban, apixaban et édoxaban sont métabolisés principalement par le CYP3A4 intestinal et hépatique et tous, y compris dabigatran, sont substrats de la P-gp [43,50]. Peu d’IMA ont été décrites à ce jour mais leur profil métabolique les expose indiscutablement au risque d’IMA, notamment avec le pamplemousse susceptible d’augmenter chez ces patients le risque de saignement. Inversement, le millepertuis risque de diminuer l’efficacité de ces anticoagulants oraux directs, comme cela a déjà été suspecté avec dabigatran et la consommation de millepertuis a été vivement déconseillée avec ces molécules [43]. Aucun effet des repas gras sur leur biodisponibilité n’a en revanche été mis en évidence. Le caractère très récent de leur mise sur le marché et le grand nombre d’interactions médicamenteuses et d’IMA observées avec les antivitamines K depuis 30 ans impose cependant la prudence au clinicien et le signalement de toute suspicion d’IMA impliquant ces molécules pour lesquelles de nombreuses inconnues demeurent en particulier l’influence de modifications du pH gastrique ou de la motilité intestinale sur leur pharmacocinétique, autant de paramètres modifiés par l’alimentation [43]. 6.3. Médicaments anticancéreux En 20 ans, le nombre de médicaments anticancéreux disponibles par voie orale a augmenté avec l’apparition notamment des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) [7]. Les repas gras et lactés retardent, voire diminuent l’absorption intestinale et les concentrations plasmatiques des agents alkylants (melphalan, chlorambucil, busulfant), antimétabolites (méthotrexate, 5-fluorouracile, 6-mercaptopurine), vinorelbine, topotécan, rubitécan et de certains ITK (géfitinib, ionafamib) [7]. Parallèlement aux mécanismes physico-chimiques impliqués dans l’effet du repas sur l’absorption intestinale des anti-néoplasiques, le rôle des

Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

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Tableau 4 Interactions cliniquement pertinentes entre la warfarine et l’alimentation [43,49]. Niveau de preuve

Potentialisation

Inhibition

Aucun effet

I (hautement probable)

Alcool (en cas d’hépatopathie), fenouil, huile de poisson, mangue, quillingao

II (probable)

Danshen, Dong quai, jus de pamplemousse, bergamottine, eucalyptus, ail, Lycium barbarum Acarbose, jus de cranberry –

Nutrition entérale/parentérale, choux, choux de Bruxelles, asperges, laitue, épinards, avocat, foie Compléments alimentaires riches en vitamine K, lait de soja, Ginseng, millepertuis Sushi à base d’algue Thé vert

Alcool (sans hépatopathie), vitamine E Gingko biloba

III (possible) IV (hautement improbable)

flavonoïdes (kaempférol, quercétine, galangine) contenues dans les fruits (pamplemousse), légumes (oignons, etc.) et boissons (thé, vin) a été évoqué en raison de leur caractère modulateur de la P-gp intestinale [7]. Ces flavonoïdes peuvent être inductrices ou inhibitrices du CYP3A4 et de la P-gp intestinale et dans ce dernier cas, augmenter l’absorption du cytotoxique (étoposide, vinblastine) (Tableaux 1 et 2) [7]. Singh et al. ont synthétisé les recommandations de prise des principaux agents cytotoxiques oraux par rapport aux repas. En dehors des agents dont l’absorption est réduite par le repas gras ou lacté, la majorité des agents cytotoxiques doivent être pris au cours ou immédiatement après le repas pour optimiser leur absorption intestinale et en réduire la variabilité [7]. 6.4. Médicaments de la transplantation d’organe Le succès de la transplantation d’organe repose sur l’administration de la dose optimale d’agents immunosuppresseurs, notamment les inhibiteurs de la calcineurine [ciclosporine tacrolimus (FK506), sirolimus (rapamycine), évérolimus] dont l’index thérapeutique est étroit [51]. Une fois les problèmes d’observance et l’impact des polymorphismes génétiques des enzymes du métabolisme et transporteurs éliminés, les échecs thérapeutiques ou leur toxicité sont généralement imputables aux interactions médicamenteuses ou aux IMA [51]. Les inhibiteurs de la calcineurine sont majoritairement métabolisés par le CYP3A4 hépatique et intestinal et sont substrats de la P-gp et d’OATP1B1, responsables d’une biodisponibilité faible et variable [51]. En conséquence, la consommation de pamplemousse ou de ses dérivés est déconseillée, voire contre-indiquée avec ces molécules en raison du risque de majoration de leur concentration plasmatique et de leur toxicité notamment rénale par inhibition de leur métabolisme intestinal (Tableau 2) [51]. Inversement, la prise concomitante de millepertuis expose au risque de rejet du greffon en raison d’une induction de leur effet de premier passage (Fig. 4) [51]. D’autres IMA impliquant le soja, « cranberry », poivre, ail, thé, réglisse, Dong quai, valériane, Ginseng, Gingko ont été étudiées in vitro mais sans nécessaire traduction clinique [51]. Seul le vin rouge diminue les concentrations résiduelles de cyclosporine chez le volontaire sain, probablement à cause de l’effet inducteur de la quercétine sur la P-gp intestinale [38,51]. 7. Interactions médicament–aliment et situations cliniques particulières 7.1. Nutrition entérale, parentérale, compléments alimentaires et régimes riches en fibres alimentaires L’utilisation croissante de la nutrition entérale, parentérale et des compléments alimentaires a soulevé la problématique de l’impact de ces « interventions » nutritionnelles sur la pharmacocinétique des médicaments pris simultanément [12]. Les conséquences de la nutrition entérale sur l’absorption intestinale de certains médicaments sont variables, l’absorption pouvant être retardée ou diminuée (nifédipine, phénytoïne) réduisant l’efficacité

– Tabac

(mais améliorant la tolérance), ou augmentée (hydrochlorothiazide, diazépam, propranolol, griséofulvine) augmentant le risque de toxicité [12]. Ces IMA sont variables d’un patient à l’autre ou chez un même patient et dépendent de l’âge (nouveau-nés, enfant, sujet âgé étant les principaux groupes à risque), de la position de la sonde de nutrition entérale au niveau du tube digestif (en raison des variations de pH gastro-intestinal potentiellement induites) et de la composition (protido-lipidique, fibres, osmolarité) de la nutrition entérale. Leur signification clinique dépend de l’index thérapeutique du médicament concerné et de sa courbe dose–réponse [12]. Les nutritions entérales riches en fibres alimentaires (pectine, gomme de Guar, etc.) réduisent d’au moins 50 % l’absorption intestinale et l’efficacité du paracétamol, glibenclamide, metformine, amoxicilline, antidépresseurs tricycliques, carbamazépine, cimétidine et lovastatine par phénomène d’adsorption [12,52]. La prise de lithium et de graines d’ispagules (ispagula husk) réduit la lithémie de 48 % [52]. Inversement, la prise de lévodopa avec un régime riche en fibres insolubles augmente ses taux plasmatiques [52]. La prise concomitante de gomme de Guar et de gemfibrozil augmente de 95 % son effet hypolipémiant (ratio HDL/LDL) [52]. La richesse en minéraux (fer, zinc, ion, calcium) engendre un phénomène de complexation à certains médicaments (tétracyclines, fluoroquinolones, anti-acides, lévodopa) réduisant donc leur absorption intestinale [12]. L’absorption intestinale de l’isoniazide, du kétoconazole, du sucralfate, des vitamines B1 et B12 est augmentée en cas d’acidification du pH gastroduodénale par la nutrition entérale. Inversement, l’alcalinisation du pH augmente l’absorption de l’oméprazole, la didanosine ou la ciprofloxacine [12]. La biodisponibilité de la théophylline est diminuée en cas de prise avec une alimentation entérale hyperprotéinée et augmentée en cas de prise avec une alimentation riche en lipides [12]. En cas de prise concomitante d’antivitamine K, il est préférable d’éviter toute alimentation entérale comprenant plus de 75 mg de vitamine K/1000 kcal pour prévenir le risque d’inefficacité [12]. En pratique clinique, chez tout patient nécessitant une alimentation entérale et prenant des médicaments au long cours, il est préférable d’interrompre l’alimentation entérale 2 heures avant et 2 heures après la prise des médicaments par voie orale, de surveiller régulièrement leurs concentrations plasmatiques si possible, de surveiller tout événement clinique évoquant une perte d’efficacité thérapeutique ou un effet secondaire non observé jusqu’alors, et de collaborer avec le pharmacien pour adapter chaque fois que possible la forme galénique du médicament afin de le rendre compatible avec la nutrition entérale [12]. La nutrition parentérale est un mélange complexe de dextrose, acides aminés, émulsion lipidique, électrolytes, vitamines et oligo-éléments associés à de nombreux additifs ayant chacun leurs propres caractéristiques physico-chimiques [53]. La compatibilité des médicaments avec la nutrition parentérale a été très peu étudiée et celle-ci interfère peu ou pas avec les traitements pris par voie orale. Concernant les traitements administrés par voie parentérale, peu d’études sont disponibles mais la compatibilité a été démontrée pour les antiulcéreux, la ciclosporine, l’insuline, l’héparine, l’aminophylline, l’hydromorphone, les vitamines A et

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Tableau 5 Interactions médicament–aliment impliquant les compléments alimentaires (suppléments vitaminiques, oligo-éléments, acides aminés essentiels) [54]. Complément alimentaire

Médicament concerné

Conséquence(s)

Conduite à tenir

Vitamine A Vitamine B9 (acide folique) Vitamine C Vitamine D Vitamine E Calcium Calcium, fer, magnésium, aluminium, zinc

Paclitaxel Phénytoïne Acétazolamide Calcium–vitamine D Warfarine Digoxine d-pénicillamine, tétracyclines, Fluoroquinolones, risédronate, alendronate Fluvoxamine, paroxétine Isoniazide

Myélosuppression Convulsions Risque de lithiase rénale Hypercalcémie Risque hémorragique accru Intoxication digitalique Diminution de leur absorption intestinale et chute des concentrations plasmatiques Syndrome sérotoninergique Hypertension artérielle

Réduire la dose ou espacer les prises Association fortement déconseillée Contre indication d’association Précaution d’emploi Association déconseillée Association déconseillée Prise du complément alimentaire séparée de la prise médicamenteuse d’au moins deux heures Association déconseillée Association déconseillée

l-tryptophane Tyramine (yaourt)

B1, et le fer dextran [53]. Parmi les médicaments incompatibles avec les nutritions parentérales incluant une émulsion lipidique, on retrouve l’ampicilline, le midazolam, les barbituriques, la dopamine, la gentamicine, la doxorubicine, le 5-fluorouracile, l’aciclovir et le ganciclovir, et la phénytoïne [53]. Le Tableau 5 résume les principales IMA impliquant les compléments alimentaires d’utilisation courante et croissante, tels que les suppléments vitaminiques, oligo-éléments et acides aminés essentiels, les compléments alimentaires à base de plantes médicinales (G. biloba, millepertuis, etc.) ayant été abordés précédemment [54]. Comme pour les plantes médicinales, de nombreux compléments alimentaires de formulation très diverse sont vendus sans ordonnance. Le risque d’IMA impliquant ces compléments alimentaires est difficile à anticiper, faute de contrôle de qualité suffisant et en raison de la posologie consommée par les patients souvent complexe à déterminer et nécessitant un interrogatoire « policier ». 7.2. Cas particulier du Ramadan Pendant le Ramadan (neuvième mois du calendrier islamique lunaire), les adultes musulmans doivent observer un jeûne total et quotidien entre le lever et le coucher du soleil [55]. Selon la période de l’année, la durée quotidienne du jeûne varie de 11 à 18 heures. Durant cette période, et selon une étude auprès de 81 patients, 42 % d’entre eux ne modifiaient pas leur traitement habituel tandis que 58 % arrêtaient leur traitement, prenaient tous leurs comprimés en une seule fois, ou changeait simplement les horaires de prise [55]. Peu d’études se sont intéressées à l’impact du Ramadan sur l’efficacité et la toxicité des médicaments pris par voie orale. Si aucun impact n’a, à ce jour, été mis en évidence avec les antihypertenseurs, les anticoagulants oraux et antiagrégants plaquettaires, le monitoring plasmatique des anti-comitiaux est en revanche fortement recommandé chez les musulmans épileptiques traités au long cours et modifiant leur prise médicamenteuse pendant la période du Ramadan [55]. La teneur en graisse et hydrates de carbone des repas servis pendant le Ramadan en dehors des horaires de jeûne peut augmenter la biodisponibilité des immunosuppresseurs, de la théophylline ou de la phénytoïne avec un risque accru d’effet secondaires, et diminuer en revanche la biodisponibilité de la lévothyroxine ou des bisphosphonates [55]. 7.3. Sujets âgés et polymédication La polymédication est définie comme l’utilisation simultanée et au long cours d’au moins 5 médicaments [56]. Les patients âgés de plus de 65 ans représentent actuellement 13 à 15 % de la population générale dans les pays occidentaux et les patients âgés de plus de 85 ans, actuellement 5 % de la population générale, sont en constante augmentation. La majorité (90 %) sont sous polythérapie, allant jusqu’à 31 médicaments pris simultanément en raison d’une fréquence accrue de polypathologie mais également à visée purement symptomatique, certains délivrés sans prescription préalable.

Une étude récente menée chez 893 sujets âgés non institutionnalisés a montré que plus de 75 % d’entre elles consommaient des plantes médicinales et/ou compléments alimentaires en vente libre [56]. Le nombre d’événements indésirables sous polythérapie augmente proportionnellement avec le nombre de médicaments pris simultanément, passant de 50 % avec 5 médicaments à plus de 80 % avec 7 médicaments et plus [57]. Plus de 30 % des hospitalisations après 65 ans sont liées à des événements indésirables graves, source de morbi-mortalité. La survenue d’IMA chez le sujet âgé est donc favorisée par la polythérapie, les altérations physiologiques responsables de modifications pharmacocinétiques observées chez le sujet âgé (diminution de la fonction rénale, du débit sanguin hépatique, de la fonction hépatique, de la masse maigre, augmentation de la masse grasse et du volume de distribution avec risque d’accumulation), le pourcentage de traitements inappropriés prescrits et le recours à des médecines alternatives [56,57]. Alléger les ordonnances des sujets âgés chaque fois que possible pourrait réduire le risque de survenue d’IMA dans cette population. 8. Conclusion Les IMA sont de plus en plus fréquemment rapportées ou suspectées, notamment chez les sujets âgés et/ou polymédiqués représentant la population la plus à risque mais restent méconnues des internistes. De gros efforts ont été déployés pour mieux comprendre et prédire les IMA en pratique clinique mais leur épidémiologie et leurs réelles conséquences restent méconnues. Ces efforts passent par une meilleure compréhension des phénomènes d’induction et d’inhibition des CYP et transporteurs impliqués dans l’effet de premier passage des médicaments pris par voie orale au niveau hépatique et intestinal, grâce à l’utilisation de modèles in vitro, in silico, animaux mais aussi d’études cliniques chez l’Homme. L’anticipation du risque d’IMA passe également, pour les plantes médicinales notamment, par une meilleure connaissance du contenu des préparations à base de plantes d’utilisation courante, de leur pureté, de leur procédé de fabrication, avec comme principal objectif l’élaboration de standards de fabrication et de contrôles sanitaires garantissant l’innocuité et la qualité de ses préparations rendues compatibles avec la prise concomitante de médicaments [44]. L’identification précoce au cours de leur utilisation ou de leur développement clinique de médicaments à risque d’IMA est essentielle pour une meilleure diffusion de l’information auprès des cliniciens et des patients, et une optimisation de la prise en charge transversale multidisciplinaire, quotidienne en médecine interne. Déclaration d’intérêts S. Mouly déclare des activités de conseil ou de formation dans le domaine des interactions médicamenteuses pour Abbott Products SAS, Bristol Myers Squibb, GlaxoSmithKline & Gilead Sciences. Les

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Pour citer cet article : Mouly S, et al. Interactions médicaments–aliments en médecine interne : quels messages pour le clinicien ? Rev Med Interne (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.12.010

[Drug-food interactions in internal medicine: What physicians should know?].

Orally administered medications may interact with various fruits, vegetables, herbal medicines, functional foods or dietary supplements. Drug-food int...
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