Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 364—368

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Plasmocytomes cutanés primitifs multiples Multiple primary cutaneous plasmacytoma N. Malissen a,∗, C. Fabre a, J.-M. Joujoux b, P. Bourquard c, M. Dandurand a, M. Marque a, P. Stoebner a, L. Meunier a a

Service de dermatologie, CHU de Nîmes, place du Pr R. Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France Service d’anatomopathologie, CHU de Nîmes, place du Pr R. Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France c Service d’hématologie et oncologie médicale, CHU de Nîmes, place du Pr R. Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France b

Rec ¸u le 3 avril 2013 ; accepté le 9 janvier 2014 Disponible sur Internet le 17 f´ evrier 2014

MOTS CLÉS Plasmocytome cutané multiple ; Traitement ; Abstention



Résumé Introduction. — Les plasmocytomes cutanés primitifs (PCP) sont une forme rare de lymphome B cutané. Nous en rapportons un nouveau cas. Observation. — Un homme de 51 ans, sans antécédent notable, consultait devant l’apparition progressive, en deux ans, de plaques érythémateuses, papulo-nodulaires et infiltrées, sur l’ensemble du corps. L’analyse histologique d’une biopsie cutanée posait le diagnostic de plasmocytome cutané multiple, dont les explorations paracliniques permettaient d’affirmer le caractère primitif. L’abstention thérapeutique était décidée compte tenu du caractère primitif de l’atteinte cutanée et de l’absence de gêne fonctionnelle. Il n’y a pas eu d’évolutivité après quatre ans de surveillance régulière. Discussion. — Le plasmocytome cutané primitif (PCP) est issu d’une prolifération clonale plasmocytaire uniquement cutanée. Les PCP multiples sont très rares et ont été traités dans la plupart des cas par de la chimiothérapie associée ou non à de la radiothérapie. Leur pronostic est mauvais, la survie à deux ans étant de 25 %. Cette observation est originale car c’est à notre connaissance la seule où l’abstention thérapeutique a été suivie d’une absence d’évolutivité avec un recul de quatre ans. Il existe donc des formes peu évolutives de PCP ne justifiant pas d’emblée d’une chimiothérapie. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Malissen).

0151-9638/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.003

Plasmocytomes cutanés primitifs multiples

KEYWORDS Primary cutaneous plasmacytoma; Treatment; Therapeutic abstention

365

Summary Background. — Primary cutaneous plasmacytoma is a rare form of cutaneous B-cell lymphoma. Patients and methods. — A 51 year-old male with an unremarkable history gradually presented erythematous papulonodular lesions that had appeared gradually over the whole body throughout a two-year period and showing histologic and immunohistochemical features of cutaneous plasmacytoma. Staging investigations confirmed the primary character of the disease, and because of this and the absence of functional impairment, we opted for therapeutic abstention. No progression was noted after 4 years of regular monitoring. Discussion. — Primary cutaneous plasmacytoma (PCP) is characterized by clonal proliferation of plasma cells in skin. Multiple PCPs are extremely rare and to date have been treated in most cases by chemotherapy, either with or without radiotherapy. The prognosis is poor, with 2-year survival of only 25%. The present case is original, being the only one to our knowledge in which therapeutic abstention was followed by a lack of progression after 4 years of regular follow-up. Consequently, certain indolent forms of PCP do not warrant automatic institution of chemotherapy. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le plasmocytome cutané primitif (PCP) est défini par une prolifération cutanée clonale maligne de plasmocytes, en général non sécrétants. Cette entité appartient au groupe des lymphomes B cutanés, sa prise en charge thérapeutique est mal codifiée et son pronostic mal connu. Les PCP se présentent en général sous forme d’une tumeur isolée, les formes multiples étant exceptionnelles.

Observation Nous rapportons le cas d’un homme de 51 ans, ébéniste sculpteur, qui présentait des plaques érythémateuses papulo-nodulaires infiltrées, bien délimitées, non prurigineuses et indolores. Ces lésions évoluaient depuis deux ans ; elles avaient débuté sur la région axillaire gauche et s’étaient étendues progressivement à l’ensemble du corps, la face restant épargnée (Fig. 1a et b). Le jour de la consultation, on pouvait dénombrer une trentaine de plaques ; il n’y avait pas d’atteinte muqueuse associée et le reste de l’examen clinique était normal. Les antécédents du patient se résumaient à une discopathie L5-S1 traitée par amitryptiline (Laroxyl© ), une tachycardie sinusale traitée par propranolol (Avlocardyl© ), la survenue d’épisodes dépressifs et l’exérèse d’un carcinome basocellulaire. La biopsie cutanée (Fig. 2) montrait à faible grossissement la présence d’un infiltrat dermique dense formant de volumineux amas péri-vasculaires et péri-annexiels au contact d’un épiderme non remanié ; il n’y avait ni réaction inflammatoire ni fibrose associée. Au sein de certains massifs, on notait quelques cellules d’aspect proplasmocytaire, à chromatine moins mottée, avec un petit nucléole. À fort grossissement, on notait la présence d’un infiltrat monomorphe de cellules d’allure plasmocytaire, bien différenciées, avec un rapport nucléocytoplasmique conservé et de rares mitoses. L’analyse immuno-histochimique montrait une expression diffuse du marqueur plasmocytaire CD138, avec présence d’un

marquage aberrant cytoplasmique et nucléaire. Il n’y avait pas d’expression des antigènes CD20 et CD56. Enfin, l’immunomarquage par les anticorps anti-IgA, IgG et IgM était négatif mais il existait une forte expression des chaînes légères lambda qui, associée à une faible expression focale des chaînes kappa, était en faveur d’une monotypie lambda. Il s’agissait donc d’une néoplasie cutanée plasmocytaire bien différenciée, primitive ou secondaire. Les explorations complémentaires réalisées étaient en faveur de sa nature primitive. L’hémogramme, la calcémie corrigée, la créatininémie, l’électrophorèse et l’immunofixation des protéines plasmatiques et urinaires, la protéinurie des 24 heures et la ␤2microglobulinémie étaient normales. Les radiographies du rachis retrouvaient le spondylolisthésis L5-S1 connu, celles du crâne, du thorax et des os longs étaient normales. L’imagerie en résonance magnétique (IRM) lombaire, la tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominopelvienne et la tomographie à émission de positons (TEP scanner) ne montraient rien de particulier. Le myélogramme était normal. La prise en charge thérapeutique a été discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) hématologique. L’étendue des lésions ne permettait pas de proposer un traitement chirurgical ou par radiothérapie. L’évaluation du rapport bénéfice/risque nous a fait opter pour une surveillance rapprochée conjointe plutôt qu’une chimiothérapie, compte tenu du caractère primitif des lésions cutanées et du recul de deux ans sans transformation myélomateuse au moment de la décision. Cette attitude était renforcée par la faible demande de prise en charge exprimée par le patient. L’évolution a été marquée par un effet transitoirement favorable de l’héliothérapie sur l’infiltration des lésions et l’érythème. Les étés suivant, cette amélioration n’a cependant pas été constatée et il est dans ces conditions difficile de retenir un effet bénéfique de l’héliothérapie. Actuellement, avec près de quatre ans de recul, il n’y a pas d’évolution systémique et le nombre de plaques est resté stable.

366

N. Malissen et al.

Discussion

Figure 1. tiples.

a et b : lésions papulo-nodulaires érythémateuses mul-

Il existe quatre types de néoplasies plasmocytaires : le myélome multiple, la leucémie à plasmocytes, le plasmocytome solitaire osseux et le plasmocytome extra-médullaire sans myélome multiple, cette dernière représentant moins de 5 % de l’ensemble des néoplasies plasmocytaires. Il existe deux types de plasmocytomes cutanés : le plasmocytome cutané primitif et le plasmocytome cutané secondaire ou métastatique. Le plasmocytome cutané primitif (PCP) est issu d’une prolifération clonale plasmocytaire uniquement cutanée, tandis que le plasmocytome cutané métastatique (PCM) est secondaire soit à l’extension directe de lésions osseuses, soit à une prolifération lymphatique ou vasculaire d’un myélome multiple. Les diagnostic, prise en charge et pronostic de ce dernier sont alors identiques à ceux d’un myélome multiple. La moyenne d’âge des patients atteints de plasmocytomes cutanés est d’environ 60 ans (16—88), le sex-ratio H/F étant de 4/1. Les formes solitaires (60 %) sont plus fréquentes que les formes multiples (40 %). Les localisations préférentielles sont le visage, puis le tronc et les membres [1]. Sur le plan clinique, elles se manifestent par des papulonodules non prurigineux de 1 à 5 cm, enchâssés dans le derme, de couleur rouge violacée, voire ecchymotique. En périphérie, il peut exister des signes inflammatoires, voire des ulcérations. On ne peut distinguer cliniquement les formes primitives des formes secondaires, même si ces dernières sont en général plus évolutives, plus bourgeonnantes ou infiltrées [2]. Sur le plan anatomopathologique [3,4], il s’agit d’une prolifération composée de plasmocytes matures monomorphes avec de rares atypies cytonucléaires, située dans le derme moyen, s’étendant parfois jusqu’à l’hypoderme, avec respect du derme superficiel et de l’épiderme. L’immunohistochimie met en évidence une expression de CD138, CD79, CD38, mais pas CD20 ni CD19. La recherche d’une monotypie lambda ou kappa doit être effectuée. On ne peut pas déterminer sur les seuls critères anatomopathologiques s’il s’agit d’un plasmocytome primitif ou secondaire, mais la présence d’un dépôt amyloïdien doit faire penser en premier lieu à une forme secondaire. Les explorations complémentaires à réaliser devant un plasmocytome cutané sont identiques à celles effectuées lors d’une suspicion de myélome multiple. Elles comprennent des examens biologiques (hémogramme, calcémie, albuminémie, créatininémie, électrophorèse des protéines et immunofixation sanguines et urinaires, recherche de chaînes légères, protéinurie des 24 heures, CRP, ␤2microglobulinémie, LDH, myélogramme et caryotype médullaire) et radiologiques (radiographies du rachis cervico-dorsolombaire, du thorax, du crâne, des os longs, complétées le plus souvent par une IRM dorsolombaire permettant une détection plus précoce des lésions osseuses). D’après Soutar et al. [5], les critères permettant d’affirmer le diagnostic de PCP sont : la présence d’une localisation extra-médullaire de plasmocytes clonaux, la normalité du myélogramme voire de la biopsie ostéo-médullaire, l’absence d’anémie, d’insuffisance rénale ou d’hypercalcémie dues à la prolifération plasmocytaire, l’absence d’immunoglobuline monoclonale dans le sang et les urines et la normalité des examens radiologiques.

Plasmocytomes cutanés primitifs multiples

367

Figure 2. Aspect histologique de plasmocytome cutané ; a : infiltrat dermique dense ; b : cellules monomorphes d’allure plasmocytaire, bien différenciées ; c : marquage aberrant CD138+ cytoplasmique et nucléaire.

Les PCP sont le plus souvent représentés par des tumeurs uniques [4,6]. Le traitement de référence de ces formes solitaires repose sur la radiothérapie. La dose optimale est évaluée entre 40 et 50 grays, avec une marge d’au moins 2 cm ; les lésions de moins de 5 cm ont une excellente chance de contrôle local en une vingtaine de fractions [7—9]. Une prise en charge chirurgicale peut aussi être discutée au cas par cas, en contre-indiquant tout geste mutilant compte tenu de la grande radiosensibilité de ces tumeurs [10]. Les formes multiples sont plus rares [1,11—15] ; nous n’en avons retrouvé qu’une quinzaine d’observations publiées (dont la nôtre). Dans 75 % des cas, les malades ont rec ¸u un traitement par chimiothérapie (traitement de référence du myélome), associé dans 25 % des observations à de la radiothérapie. Un quart des malades ont été traités chirurgicalement ou ont rec ¸u une corticothérapie générale. Les indications de la chimiothérapie dans les PCP multiples ne sont pas bien définies et l’association de melphalan et de prednisone ne modifierait pas le risque de transformation en myélome multiple mais le retarderait [16]. Compte tenu du rapport bénéfice/risque, ce type de traitement serait surtout destiné aux formes multiples, résistantes et récidivantes. Les formes pauci-lésionnelles peuvent dans un premier temps être traitées par chirurgie et/ou

radiothérapie. Une observation a également rapporté l’efficacité d’applications de miltéfosine [14]. Le choix d’une surveillance active rapprochée a été rapporté par une autre équipe chez une patiente âgée de 87 ans atteinte de maladie d’Alzheimer, avec un recul d’un an sans transformation [15]. De fac ¸on analogue, une abstention thérapeutique pendant trois ans chez une patiente de 79 ans dans les suites d’une régression complète de ses lésions après un mois de corticothérapie générale mérite également d’être signalée [12]. Le suivi à deux ans des PCP multiples retrouvait un quart de sujets vivants et 50 % de décès liés à l’évolution de la maladie, les 25 % restants étant décédés d’une autre cause. Cependant, le faible nombre de cas décrits ne permet pas d’apprécier le pronostic, ce d’autant moins que certains cas de PCP multiples publiés pourraient en fait correspondre à des formes secondaires, compte tenu de l’absence d’explorations initiales exhaustives. En conclusion, l’originalité de cette observation réside dans l’absence d’évolutivité vers un myélome multiple avec quatre ans de recul chez un patient porteur de PCP multiples. La description de cas similaires dans la littérature suggère l’existence de formes de PCP peu évolutives, indolentes, qu’il faudrait pouvoir caractériser par des critères

368 pronostiques. Cependant, la rareté de cette maladie et le pronostic sévère des formes multiples incitent, dans l’attente de tels marqueurs, à suivre les recommandations de prise en charge.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Muscardin LM, Pulsoni A, Cerroni L. Primary cutaneous plasmacytoma: report of a case with review of the literature. J Am Acad Dermatol 2000;43:962—5. [2] Hauschild A, Haferlach T, Löffler H, Christophers E. Multiple myeloma first presenting as cutaneous plasmacytoma. J Am Acad Dermatol 1996;34:146—8. [3] Kazakov DV, Belousova IE, Müller B, Palmedo G, Samtsov AV, Burg G, et al. Primary cutaneous plasmacytoma: a clinicopathological study of two cases with a long-term follow-up and review of the literature. J Cutan Pathol 2002;29:244—8. [4] Dhouib Sellami R, Sassi S, Mrad K, Abess I, Driss M, Ben Romdhane K. Primary cutaneous plasmacytoma. Ann Pathol 2007;27:130—2. [5] Soutar R, Lucraft H, Jackson G, Reece A, Bird J, Low E, et al. Guidelines on the diagnosis and management of solitary plasmacytoma of bone and solitary extramedullary plasmacytoma. Br J Haematol 2004;124:717—26. [6] Tüting T, Bork K. Primary plasmacytoma of the skin. J Am Acad Dermatol 1996;34:386—90.

N. Malissen et al. [7] Bolek TW, Marcus Jr RB, Mendenhall NP. Solitary plasmacytoma of bone and soft tissue. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1996;36:329—33. [8] Jyothirmayi R, Gangadharan VP, Nair MK, Rajan B. Radiotherapy in the treatment of solitary plasmacytoma. Br J Radiol 1997;70:511—6. [9] Tsang RW, Gospodarowicz MK, Pintilie M, Bezjak A, Wells W, Hodgson DC, et al. Solitary plasmacytoma treated with radiotherapy: impact of tumor size on outcome. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2001;50:113—20. [10] Alexiou C, Kau RJ, Dietzfelbinger H, Kremer M, Spiess JC, Schratzenstaller B, et al. Extramedullary plasmacytoma: tumor occurrence and therapeutic concepts. Cancer 1999;85:2305—14. [11] Wollersheim HC, Holdrinet RS, Haanen C. Clinical course and survival in 16 patients with localized plasmacytoma. Scand J Haematol 1984;32:423—8. [12] Miyamoto T, Kobayashi T, Hagari Y, Mihara M. The value of genotypic analysis in the assessment of cutaneous plasmacytomas. Br J Dermatol 1997;137:418—21. [13] Tsuboi R, Morioka R, Yaguchi H, Shimokawa R, Inaba M, Ogawa H. Primary cutaneous plasmacytoma: treatment with intralesional tumour necrosis factor-alpha. Br J Dermatol 1992;126:395—7. [14] Viseux V, Schoenlaub P, Danhier S, Vilque J-P, Plantin P. Plasmocytomes cutanés multiples traités par applications locales de miltefosine. Ann Dermatol Venereol 2004;131:204—5. [15] Saback TL, Botelho LFF, Enokihara MMS, da S, Michalany NS, Floriano MC. Multiple primary cutaneous plasmacytoma: first reported case in Brazil. An Bras Dermatol 2012;87: 629—31. [16] Holland J, Trenkner DA, Wasserman TH, Fineberg B. Plasmacytoma. Treatment results and conversion to myeloma. Cancer 1992;69:1513—7.

[Multiple primary cutaneous plasmacytoma].

Primary cutaneous plasmacytoma is a rare form of cutaneous B-cell lymphoma...
2MB Sizes 0 Downloads 4 Views